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Moi – Tu voudrais donc me voir pleurer?

ROSETTE. – Vous allez toujours d’une extrémité à l’autre. On ne vous demande pas de pleurer, mais de parler raisonnablement et de quitter ce petit ton persifleur qui vous va fort mal.

Moi. – Il m’est impossible de parler raisonnablement et de ne pas persifler; alors je vais te battre, puisque c’est dans tes goûts.

ROSETTE. – Faites.

Moi, lui donnant quelques petites tapes sur les épaules. – J’aimerais mieux me couper la tête moi-même que de me gâter ton adorable corps et de marbrer de bleu la blancheur de ce dos charmant. – Ma déesse, quel que soit le plaisir qu’une femme ait à être battue, en vérité, vous ne le serez point.

ROSETTE. – Vous ne m’aimez plus.

Moi. – Voici qui ne découle pas très directement de ce qui précède; cela est à peu près aussi logique que de dire: – Il pleut, donc ne me donnez pas mon parapluie; ou: Il fait froid, ouvrez la fenêtre.

ROSETTE. – Vous ne m’aimez pas, vous ne m’avez jamais aimée.

Moi. – Ah! la chose se complique: vous ne m’aimez plus et vous ne m’avez jamais aimée. Ceci est passablement contradictoire: comment puis-je cesser de faire une chose que je n’ai jamais commencée? – Tu vois bien, petite reine, que tu ne sais ce que tu dis et que tu es très parfaitement absurde.

ROSETTE. – J’avais tant envie d’être aimée de vous que j’ai aidé moi-même à me faire illusion. On croit aisément ce que l’on désire; mais maintenant je vois bien que je me suis trompée. – Vous vous êtes trompé vous-même; vous avez pris un goût pour de l’amour, et du désir pour de la passion. – La chose arrive tous les jours. Je ne vous en veux pas: il n’a pas dépendu de vous que vous ne soyez amoureux; c’est à mon peu de charmes que je dois m’en prendre. J’aurais dû être plus belle, plus enjouée, plus coquette; j’aurais dû tâcher de monter jusqu’à toi, ô mon poète! au lieu de vouloir te faire descendre jusqu’à moi: j’ai eu peur de te perdre dans les nuages, et j’ai craint que ta tête ne me dérobât ton cœur. – Je t’ai emprisonné dans mon amour, et j’ai cru, en me donnant à toi tout entière, que tu en garderais quelque chose…

Moi. – Rosette, recule-toi un peu; ta cuisse me brûle, – tu es comme un charbon ardent.

ROSETTE. – Si je vous gêne, je vais me lever. – Ah! cœur de rocher, les gouttes d’eau percent la pierre, et mes larmes ne te peuvent pénétrer. (Elle pleure.)

Moi. – Si vous pleurez comme cela, vous allez assurément changer notre lit en baignoire. – Que dis-je, en baignoire? en océan. – Savez-vous nager, Rosette?

ROSETTE. – Scélérat!

Moi. – Allons, voilà que je suis un scélérat! Vous me flattez, Rosette, je n’ai point cet honneur: je suis un bourgeois débonnaire, hélas! et je n’ai pas commis le plus petit crime; j’ai peut-être fait une sottise, qui est de vous avoir aimée éperdument: voilà tout. – Voulez-vous donc à toute force m’en faire repentir? – Je vous ai aimée, et je vous aime le plus que je peux. Depuis que je suis votre amant, j’ai toujours marché dans votre ombre: je vous ai donné tout mon temps, mes jours et mes nuits. Je n’ai point fait de grandes phrases avec vous, parce que je ne les aime qu’écrites; mais je vous ai donné mille preuves de ma tendresse. Je ne vous parlerai pas de la fidélité la plus exacte, cela va sans dire; enfin je suis maigri de sept quarterons depuis que vous êtes ma maîtresse. Que voulez-vous de plus? Me voilà dans votre lit; j’y étais hier, j’y serai demain. Est-ce ainsi que l’on se conduit avec les gens que l’on n’aime pas? Je fais tout ce que tu veux; tu dis: Allons, je vais; restons, je reste; je suis le plus admirable amoureux du monde, ce me semble.

ROSETTE. – C’est précisément ce dont je me plains, – le plus parfait amoureux du monde en effet.

Moi. – Qu’avez-vous à me reprocher?

ROSETTE. – Rien, et j’aimerais mieux avoir à me plaindre de vous.

Moi. – Voici une étrange querelle.

ROSETTE. – C’est bien pis. – Vous ne m’aimez pas. – Je n’y puis rien, ni vous non plus. – Que voulez-vous qu’on fasse à cela? Assurément, je préférerais avoir quelque faute à vous pardonner. – Je vous gronderais, vous vous excuseriez tant bien que mal, et nous nous raccommoderions.

Moi. – Ce serait tout bénéfice pour toi. Plus le crime serait grand, plus la réparation serait éclatante.

ROSETTE. – Vous savez bien, monsieur, que je ne suis pas encore réduite à employer cette ressource et que si je voulais tout à l’heure, quoique vous ne m’aimiez pas, et que nous nous querellions…

Moi. – Oui, je conviens que c’est un pur effet de ta clémence… Veuille donc un peu; cela vaudrait mieux que de syllogiser à perte de vue comme nous faisons.

ROSETTE. – Vous voulez couper court à une conversation qui vous embarrasse; mais, s’il vous plaît, mon bel ami, nous nous contenterons de parler.

Moi. – C’est un régal peu cher. – Je t’assure que tu as tort; car tu es jolie à ravir, et je sens pour toi des choses…

ROSETTE. – Que vous m’exprimerez une autre fois.

Moi. – Oh çà, – mon adorable, vous êtes donc une petite tigresse d’Hyrcanie, vous êtes aujourd’hui d’une cruauté non pareille! – Est-ce que cette démangeaison vous est venue, de vous faire vestale? – Le caprice serait original.

ROSETTE. – Pourquoi pas? l’on en a vu de plus bizarres; mais, à coup sûr, je serai vestale pour vous. – Apprenez, monsieur, que je ne me livre qu’aux gens qui m’aiment ou dont je crois être aimée. – Vous n’êtes dans aucun de ces deux cas. – Permettez que je me lève.

Moi. – Si tu te lèves, je me lèverai aussi. – Tu auras la peine de te recoucher: voilà tout.

ROSETTE. – Laissez-moi!

Moi. – Pardieu non!

ROSETTE, se débattant. – Oh! vous me lâcherez!

Moi. – J’ose, madame, vous assurer le contraire.

ROSETTE, voyant qu’elle n’est pas la plus forte. – Eh bien! je reste; vous me serrez le bras d’une force!… Que voulez-vous de moi?

Moi. – Je pense que vous le savez. – Je ne me permettrais pas de dire ce que je me permets de faire; je respecte trop la décence.

ROSETTE, déjà dans l’impossibilité de se défendre. – À condition que tu m’aimeras beaucoup… Je me rends.

Moi. – Il est un peu tard pour capituler, lorsque l’ennemi est déjà dans la place.

ROSETTE, me jetant les bras autour du cou, à moitié pâmée. – Sans condition… Je m’en remets à ta générosité.

Moi. – Tu fais bien.

Ici, mon cher ami, je pense qu’il ne serait pas hors de propos de mettre une ligne de points, car le reste de ce dialogue ne se pourrait guère traduire que par des onomatopées.

Le rayon de soleil, depuis le commencement de cette scène, a eu le temps de faire le tour de la chambre. Une odeur de tilleul arrive du jardin, suave et pénétrante. Le temps est le plus beau qui se puisse voir; le ciel est bleu comme la prunelle d’une Anglaise. Nous nous levons, et, après avoir déjeuné de grand appétit, nous allons faire une longue promenade champêtre. La transparence de l’air, la splendeur de la campagne et l’aspect de cette nature en joie m’ont jeté dans l’âme assez de sentimentalité et de tendresse pour faire convenir Rosette qu’au bout du compte j’avais une manière de cœur tout comme un autre.