Oh! que je souhaiterais la prendre en faute, lui trouver un tort! comme j’attends avec impatience une occasion de dispute! mais il n’y a pas de danger que la scélérate me la fournisse! Quand, pour amener une altercation, je lui parle brusquement et d’un ton dur, elle me répond des choses si douces, avec une voix si argentine, des yeux si trempés, d’un air si triste et si amoureux que je me fais à moi-même l’effet d’un plus que tigre ou tout au moins d’un crocodile, et que, tout en enrageant, je suis forcé de lui demander pardon.
À la lettre, elle m’assassine d’amour; elle me donne la question, et chaque jour elle resserre d’un cran les ais entre lesquels je suis pris. – Elle veut probablement m’amener à lui dire que je la déteste, qu’elle m’ennuie à la mort, et que, si elle ne me laisse en repos, je lui couperai la figure à coups de cravache. – Pardieu! elle y arrivera, et, si elle continue à être aussi aimable, ce sera avant peu, ou le diable m’emportera.
Malgré toutes ces belles apparences, Rosette est soûle de moi comme je suis soûl d’elle; mais, comme elle a fait d’éclatantes folies pour moi, elle ne veut pas se donner aux yeux de l’honnête corporation des femmes sensibles le tort d’une rupture. – Toute grande passion a la prétention d’être éternelle, et il est fort commode de se donner les bénéfices de cette éternité sans en supporter les inconvénients. – Rosette raisonne ainsi: Voici un jeune homme qui n’a plus qu’un reste de goût pour moi, et, comme il est assez naïf et débonnaire, il n’ose pas le témoigner ouvertement, et ne sait de quel bois faire flèche; il est évident que je l’ennuie, mais il crèvera plutôt à la peine que de prendre sur lui de me quitter. Comme c’est une manière de poète, il a la tête pleine de belles phrases sur l’amour et la passion, il se croit obligé, en conscience, d’être un Tristan ou un Amadis. – Or, comme rien au monde n’est plus insupportable que les caresses d’une personne que l’on commence à n’aimer plus (et n’aimer plus une femme, c’est la haïr violemment), je m’en vais les lui prodiguer de manière à l’indigestionner, et, de toutes les façons, il faudra qu’il m’envoie à tous les diables ou qu’il se remette à m’aimer comme au premier jour, ce qu’il se gardera soigneusement de faire.
Rien n’est mieux imaginé. – N’est-il pas charmant de faire l’Ariane délaissée? – L’on vous plaint, l’on vous admire, l’on n’a pas assez d’imprécations pour l’infâme qui a eu la monstruosité d’abandonner une créature aussi adorable; on prend des airs résignés et douloureux, on se met la main sous le menton et le coude sur le genou, de façon à faire ressortir les jolies veines bleues de son poignet. On porte des cheveux plus éplorés, et l’on met, pendant quelque temps, des robes d’une couleur plus sombre. On évite de prononcer le nom de l’ingrat, mais on y fait des allusions détournées, tout en poussant de petits soupirs admirablement modulés.
Une femme si bonne, si belle, si passionnée, qui a fait de si grands sacrifices, à qui l’on n’a pas à reprocher la moindre chose, un vase d’élection, une perle d’amour, un miroir sans taches, une goutte de lait, une rose blanche, une essence idéale à parfumer une vie; – une femme qu’on aurait dû adorer à genoux, et qu’il faudra couper en petits morceaux, après sa mort, afin d’en faire des reliques: la laisser là iniquement, frauduleusement, scélératement! Mais un corsaire ne ferait pas pis! Lui donner le coup de la mort! – car elle en mourra assurément. – Il faut avoir un pavé dans le ventre, au lieu du cœur, pour se conduire de la sorte.
Ô hommes! hommes!
Je me dis cela; mais peut-être n’est-ce pas vrai.
Si grandes comédiennes que soient naturellement les femmes, j’ai peine à croire qu’elles le soient à ce point-là; et, au bout du compte, toutes les démonstrations de Rosette ne sont-elles que l’expression exacte de ses sentiments pour moi? – Quoi qu’il en soit, la continuation du tête-à-tête n’est plus possible, et la belle châtelaine vient d’envoyer enfin des invitations à ses connaissances du voisinage. Nous sommes occupés à faire des préparatifs pour recevoir ces dignes provinciaux et provinciales. – Adieu, cher.
Chapitre 5
Je m’étais trompé. – Mon mauvais cœur, incapable d’amour, s’était donné cette raison pour se délivrer du poids d’une reconnaissance qu’il ne veut pas supporter; j’avais saisi avec joie cette idée pour m’excuser devant moi-même; je m’y étais attaché, mais rien au monde n’est plus faux. Rosette ne jouait pas de rôle, et si jamais femme fut vraie, c’est elle. – Eh bien! je lui en veux presque de la sincérité de sa passion qui est un lien de plus et qui rend une rupture plus difficile ou moins excusable; je la préférerais fausse et volage. – Quelle singulière position que celle-là! – On voudrait s’en aller, et l’on reste; on voudrait dire: Je te hais, et l’on dit: Je t’aime; – votre passé vous pousse en avant et vous empêche de vous retourner ou de vous arrêter. – L’on est fidèle avec des regrets de l’être. Je ne sais quelle espèce de honte vous empêche de vous livrer tout à fait à d’autres connaissances et vous fait entrer en composition avec vous-même. On donne à l’un tout ce que l’on peut dérober à l’autre en sauvant les apparences; le temps et les occasions de se voir qui se présentaient autrefois si naturellement ne se trouvent plus aujourd’hui que difficilement. – L’on commence à se souvenir que l’on a des affaires qui sont d’importance. – Cette situation pleine de tiraillements est des plus pénibles, mais elle ne l’est pas encore autant que celle où je me trouve. – Quand c’est une nouvelle amitié qui vous enlève à l’ancienne, il est plus facile de se dégager. – L’espérance vous sourit doucement du seuil de la maison qui renferme vos jeunes amours. – Une illusion plus blonde et plus rosée voltige avec ses blanches ailes sur le tombeau, à peine fermé, de sa sœur qui vient de mourir; une autre fleur plus épanouie et plus embaumée, où tremble une larme céleste, a poussé subitement du milieu des calices flétris du vieux bouquet; de belles perspectives azurées s’ouvrent devant vous; des allées de charmilles discrètes et humides se prolongent jusqu’à l’horizon; ce sont des jardins avec quelques pâles statues ou quelque banc adossé à un mur tapissé de lierre, des pelouses étoilées de marguerites, des balcons étroits où l’on va s’accouder et regarder la lune, des ombrages coupés de lueurs furtives, – des salons avec des jours étouffés sous d’amples rideaux; toutes ces obscurités et cet isolement que recherche l’amour qui n’ose se produire. C’est comme une nouvelle jeunesse qui vous vient. L’on a en outre le changement de lieux, d’habitudes et de personnes; l’on sent bien une espèce de remords; mais le désir qui voltige et bourdonne autour de votre tête, comme une abeille du printemps, vous empêche d’en entendre la voix; le vide de votre cœur est comblé, et vos souvenirs s’effacent sous les impressions. Mais ici ce n’est pas la même chose: je n’aime personne, et ce n’est que par lassitude et par ennui plutôt de moi que d’elle que je voudrais pouvoir rompre avec Rosette.
Mes anciennes idées, qui s’étaient un peu assoupies, se réveillent plus folles que jamais. – Je suis, comme autrefois, tourmenté du désir d’avoir une maîtresse, et, comme autrefois, dans les bras mêmes de Rosette, je doute si j’en ai jamais eu. – Je revois la belle dame à sa fenêtre, dans son parc du temps de Louis XIII, et la chasseresse, sur son cheval blanc, traverse au galop l’avenue de la forêt. – Ma beauté idéale me sourit du haut de son hamac de nuages, je crois reconnaître sa voix dans le chant des oiseaux, dans le murmure des feuillages; il me semble qu’on m’appelle de tous les côtés, et que les filles de l’air m’effleurent le visage avec la frange de leurs écharpes invisibles. Comme au temps de mes agitations, je me figure que, si je partais en poste sur-le-champ et que j’allasse quelque part, très loin et très vite, j’arriverais dans quelque endroit où il se fait des choses qui me regardent et où mes destinées se décident. – Je me sens impatiemment attendu dans un coin de la terre, je ne sais lequel. Une âme souffrante m’appelle ardemment et me rêve qui ne peut venir à moi; c’est la raison de mes inquiétudes et ce qui m’empêche de pouvoir rester en place; je suis attiré violemment hors de mon centre. – Ma nature n’est pas une de celles où les autres aboutissent, une de ces étoiles fixes autour desquelles gravitent les autres lueurs; il faut que j’erre à travers les champs du ciel, comme un météore déréglé, jusqu’à ce que j’aie fait la rencontre de la planète dont je dois être le satellite, le Saturne à qui je dois mettre mon anneau. Oh! quand donc se fera cet hymen? Jusque-là je ne peux pas espérer de repos ni d’assiette, et je serai comme l’aiguille éperdue et vacillante d’une boussole qui cherche son pôle.