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J’éprouve à côté de Rosette ce calme plat et cette espèce de bien-être paresseux qui résulte de la satisfaction des sens, mais rien de plus; et ce n’est pas assez. Souvent cet engourdissement voluptueux tourne en torpeur, et cette tranquillité en ennui; je tombe alors en des distractions sans objet et en je ne sais quelles fades rêvasseries qui me fatiguent et m’excèdent, – c’est un état dont il faut que je sorte à tout prix.

Oh! si je pouvais être comme certains de mes amis qui baisent un vieux gant avec ivresses qui se trouvent tout heureux d’un serrement de main, qui ne changeraient pas contre l’écrin d’une sultane quelques méchantes fleurs à demi séchées par la sueur du bal, qui couvrent de larmes et cousent dans leur chemise, à l’endroit de leur cœur, un billet écrit en pauvre style, et stupide à le croire copié du Parfait Secrétaire, qui adorent des femmes avec de gros pieds, et qui s’en excusent sur ce qu’elles ont l’âme belle! Si je pouvais suivre, en frémissant, les derniers plis d’une robe, attendre qu’une porte s’ouvrît pour voir passer dans un flot de lumière une chère et blanche apparition; si un mot dit tout bas me faisait changer de couleur; si j’avais cette vertu de ne pas dîner pour arriver plus tôt à un rendez-vous; si j’étais capable de poignarder un rival ou de me battre en duel avec un mari; si, par une grâce particulière du ciel, il m’était donné de trouver spirituelles les femmes qui sont laides, et bonnes celles qui sont laides et bêtes; si je pouvais me résoudre à danser le menuet et à écouter les sonates que jouent les jeunes personnes sur le clavecin ou sur la harpe; si ma capacité se haussait jusqu’à apprendre l’hombre et le reversi; enfin, si j’étais un homme et non pas un poète, – je serais certainement beaucoup plus heureux que je ne suis; – je m’ennuierais moins et serais moins ennuyeux.

Je n’ai jamais demandé aux femmes qu’une seule chose, – c’est la beauté; je me passe très volontiers d’esprit et d’âme. – Pour moi, une femme qui est belle a toujours de l’esprit; – elle a l’esprit d’être belle, et je ne sais pas lequel vaut celui-là. Il faut bien des phrases brillantes et des traits scintillants pour valoir les éclairs d’un bel œil. Je préfère une jolie bouche à un joli mot, et une épaule bien modelée à une vertu, même théologale; je donnerais cinquante âmes pour un pied mignon, et toute la poésie et tous les poètes pour la main de Jeanne d’Aragon ou le front de la vierge de Foligno – J’adore sur toutes choses la beauté de la forme; – la beauté pour moi, c’est la Divinité visible, c’est le bonheur palpable, c’est le ciel descendu sur la terre. – Il y a certaines ondulations de contours, certaines finesses de lèvres, certaines coupes de paupières, certaines inclinaisons de tête, certains allongements d’ovales qui me ravissent au-delà de toute expression et m’attachent pendant des heures entières.

La beauté, seule chose qu’on ne puisse acquérir, inaccessible à tout jamais à ceux qui ne l’ont pas d’abord; fleur éphémère et fragile qui croit sans être semée, pur don du ciel! – ô beauté! le plus radieux diadème dont le hasard puisse couronner un front, – tu es admirable et précieuse comme tout ce qui est hors de la portée de l’homme, comme l’azur du firmament, comme l’or de l’étoile, comme le parfum du lis séraphique! – On peut échanger son escabeau pour un trône; on peut conquérir le monde, beaucoup l’ont fait; mais qui pourrait ne pas s’agenouiller devant toi, pure personnification de la pensée de Dieu?

Je ne demande que la beauté, il est vrai; mais il me la faut si parfaite que je ne la rencontrerai probablement jamais. J’ai bien vu çà et là, dans quelques femmes, des portions admirables médiocrement accompagnées, et je les ai aimées pour ce qu’elles avaient de choisi, en faisant abstraction du reste; c’est toutefois un travail assez pénible et une opération douloureuse que de supprimer ainsi la moitié de sa maîtresse, et de faire l’amputation mentale de ce qu’elle a de laid ou de commun, en circonscrivant ses yeux sur ce qu’elle peut avoir de bien. – La beauté? c’est l’harmonie, et une personne également laide partout est souvent moins désagréable à regarder qu’une femme inégalement belle. Rien ne me fait peine à voir comme un chef-d’œuvre inachevé et comme une beauté à qui il manque quelque chose; – une tache d’huile choque moins sur une bure grossière que sur une riche étoffe.

Rosette n’est point mal; elle peut passer pour belle, mais elle est loin de réaliser ce que je rêve; c’est une statue dont plusieurs morceaux sont amenés à point. Les autres ne sont pas si nettement dégagés du bloc; il y a des endroits accusés avec beaucoup de finesse et de charme, et quelques-uns d’une manière plus lâche et plus négligée. – Aux yeux vulgaires, la statue parait entièrement finie et d’une beauté complète; mais un observateur plus attentif y découvre bientôt des places où le travail n’est pas assez serré, et des contours qui, pour atteindre à la pureté qui leur est propre, ont besoin que l’ongle de l’ouvrier y passe et y repasse encore bien des fois; – c’est à l’amour à polir ce marbre et à l’achever, c’est dire assez que ce ne sera pas moi qui le finirai.

Au reste, je ne circonscris point la beauté dans telle ou telle sinuosité de lignes. – L’air, le geste, la démarche, le souffle, la couleur, le son, le parfum, tout ce qui est la vie entre pour moi dans la composition de la beauté; tout ce qui embaume, chante ou rayonne y revient de droit. – J’aime les riches brocarts, les splendides étoffes avec leurs plis amples et puissants; j’aime les larges fleurs et les cassolettes, la transparence des eaux vives et l’éclat miroitant des belles armes, les chevaux de race et ces grands chiens blancs comme on en voit dans les tableaux de Paul Véronèse. – Je suis un vrai païen de ce côté, et je n’adore point les dieux qui sont mal faits: quoiqu’au fond je ne sois pas précisément ce qu’on appelle irréligieux, personne n’est de fait plus mauvais chrétien que moi. – Je ne comprends pas cette mortification de la matière qui fait l’essence du christianisme, je trouve que c’est une action sacrilège que de frapper sur l’œuvre de Dieu, et je ne puis croire que la chair soit mauvaise, puisqu’il l’a pétrie lui-même de ses doigts et à son image. – J’approuve peu les longs sarraus de couleur sombre d’où il ne sort qu’une tête et deux mains, et ces toiles où tout est noyé d’ombre, excepté quelque front qui rayonne. – Je veux que le soleil entre partout, qu’il y ait le plus de lumière et le moins d’ombre possible, que la couleur étincelle, que la ligne serpente, que la nudité s’étale fièrement, et que la matière ne se cache point d’être, puisque, aussi bien que l’esprit, elle est un hymne éternel à la louange de Dieu.

Je conçois parfaitement le fol enthousiasme des Grecs pour la beauté; et, pour mon compte, je ne trouve rien d’absurde à cette loi qui obligeait les juges à n’entendre plaider les avocats que dans un lieu obscur, de peur que leur bonne mine, la grâce de leurs gestes et de leurs attitudes ne les prévinssent favorablement et ne fissent pencher la balance.

Je n’achèterais rien d’une marchande qui serait laide; je donne plus volontiers aux mendiants dont les haillons et la maigreur sont pittoresques. – Il y a un petit Italien fiévreux, vert comme un citron, avec de grands yeux noirs et blancs qui lui tiennent la moitié de la figure; – on dirait un Murillo ou un Espagnolet sans cadre qu’un brocanteur aurait exposé contre la borne: – celui-là a toujours deux sous de plus que les autres. – Je ne battrais jamais un beau cheval ou un beau chien, et je ne voudrais pas d’un ami ou d’un domestique qui ne serait point d’un extérieur agréable. – C’est un véritable supplice pour moi que de voir de vilaines choses ou de vilaines personnes. – Une architecture de mauvais goût, un meuble d’une mauvaise forme m’empêchent de me plaire dans une maison, si confortable et attrayante qu’elle soit d’ailleurs. Le meilleur vin me paraît presque de la piquette dans un verre mal tourné, et j’avoue que je préférerais le brouet le plus lacédémonien sur un émail de Bernard de Palissy au plus fin gibier sur une assiette de terre. – L’extérieur m’a toujours pris violemment, et c’est pourquoi j’évite la compagnie des vieillards; cela me contriste et m’affecte désagréablement, parce qu’ils sont ridés et déformés, quoique cependant quelques-uns aient une beauté spéciale; et, dans la pitié que j’ai d’eux, il y a beaucoup de dégoût: – de toutes les ruines du monde, la ruine de l’homme est assurément la plus triste à contempler.