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Le cavalier était pâle, mais d’une pâleur dorée, pleine de force et de vie; ses prunelles nageaient sur un cristallin humide et bleu; son nez droit et mince donnait à son profil une fierté et une vigueur merveilleuses, et la chair en était si fine que, sur le bord du contour, elle laissait transpercer la lumière; sa bouche avait le sourire le plus doux à de certains moments, mais d’ordinaire elle était arquée à ses coins, comme quelques-unes de ces têtes qu’on voit dans les tableaux des vieux maîtres italiens, plutôt en dedans qu’en dehors; ce qui lui donnait quelque chose d’adorablement dédaigneux, une smorfia on ne peut plus piquante, un air de bouderie enfantine et de mauvaise humeur très singulier et très charmant.

Quels étaient les liens qui unissaient le maître au page et le page au maître? Assurément il y avait entre eux plus que l’affection qui peut exister entre le maître et le domestique. Étaient-ce deux amis ou deux frères? – Alors, pourquoi ce travestissement? – Il eût été cependant difficile de croire à quiconque eût vu la scène que nous venons de décrire que ces deux personnages n’étaient en vérité que ce qu’ils paraissaient être.

– Ce cher ange, comme il dort! dit à voix basse le jeune homme; je crois qu’il n’avait jamais tant fait de chemin de sa vie. Vingt lieues à cheval, lui qui est si délicat! j’ai peur qu’il ne soit malade de fatigue. Mais non, cela ne sera rien; demain il n’y paraîtra plus; il aura repris ses belles couleurs, et sera plus frais qu’une rose après la pluie. – Est-il beau comme cela! Si je ne craignais de l’éveiller, je le mangerais de caresses. Quelle adorable fossette il a au menton! quelle finesse et quelle blancheur de peau! – Dors bien, cher trésor. – Ah! je suis vraiment jaloux de ta mère et je voudrais t’avoir fait. – Il n’est pas malade? Non; – sa respiration est réglée, et il ne bouge pas. – Mais je crois qu’on a frappé…

En effet, on avait frappé deux petits coups aussi doucement que possible sur le panneau de la porte.

Le jeune homme se leva, et, craignant de s’être trompé, attendit, pour ouvrir, que l’on heurtât de nouveau. – Deux autres coups, un peu plus accentués, se firent entendre de nouveau, et une douce voix de femme dit sur un ton très bas: – C’est moi, Théodore.

Théodore ouvrit, mais avec moins de vivacité qu’un jeune homme n’en met à ouvrir à une femme dont la voix est douce, et qui est venue gratter mystérieusement à votre huis vers la tombée du jour. – Le battant entrebâillé donna passage, devinez à qui? à la maîtresse du perplexe d’Albert, à la princesse Rosette en personne, plus rose que son nom, et les seins aussi émus que les eut jamais femme qui soit entrée le soir dans la chambre d’un beau cavalier.

– Théodore! dit Rosette.

Théodore leva le doigt et le posa sur sa lèvre de manière à figurer la statue du silence, et, lui montrant l’enfant qui dormait, il la fit passer dans la pièce voisine.

– Théodore, reprit Rosette qui semblait trouver des douceurs singulières à répéter ce nom, et chercher en même temps à rallier ses idées, – Théodore, continua-t-elle sans quitter la main que le jeune homme lui avait présentée pour la conduire à son fauteuil, – vous nous êtes donc enfin revenu? Qu’avez-vous fait tout ce temps? où êtes-vous allé? – Savez-vous qu’il y a six mois que je ne vous ai vu? Ah! Théodore, cela n’est pas bien; on doit aux gens qui nous aiment, même quand on ne les aime pas, quelques égards et quelque pitié.

THEODORE. – Ce que j’ai fait? – Je ne sais. – J’ai été et je suis venu, j’ai dormi et j’ai veillé, j’ai chanté et j’ai pleuré, j’ai eu faim et soif, j’ai eu trop chaud et trop froid, je me suis ennuyé, j’ai de l’argent de moins et six mois de plus, j’ai vécu, voilà tout. – Et vous, qu’avez-vous fait?

ROSETTE. – Je vous ai aimé.

THEODORE. – Vous n’avez fait que cela?

ROSETTE. – Oui, absolument. J’ai mal employé mon temps, n’est-ce pas?

THEODORE. – Vous auriez pu l’employer mieux, ma pauvre Rosette; par exemple, à aimer quelqu’un qui pût vous rendre votre amour.

ROSETTE. – Je suis désintéressée en amour comme en tout. – Je ne prête pas de l’amour à usure; c’est un pur don que je fais.

THEODORE. – Vous avez là une vertu bien rare, et qui ne peut naître que dans une âme choisie. J’ai désiré bien souvent pouvoir vous aimer, du moins comme vous le voudriez; mais il y a entre nous un obstacle insurmontable, et que je ne puis vous dire – Avez-vous eu un autre amant depuis que je vous ai quittée?

ROSETTE. – J’en ai eu un que j’ai encore.

THEODORE. – Quelle espèce d’homme est-ce?

ROSETTE. – Un poète.

THEODORE. – Diable! quel est ce poète, et qu’a-t-il fait?

ROSETTE. – Je ne sais trop, une manière de volume que personne ne connaît, et que j’ai essayé de lire un soir.

THEODORE. – Ainsi donc vous avez pour amant un poète inédit. – Cela doit être curieux. – A-t-il des trous au coude, du linge sale et des bas en vis de pressoir?

ROSETTE. – Non; il se met assez bien, se lave les mains, et n’a pas de tache d’encre au bout du nez. C’est un ami de C***; je l’ai rencontré chez madame de Thémines, vous savez, une grande femme qui fait l’enfant et se donne de petits airs d’innocence.

THEODORE. – Et peut-on savoir le nom de ce glorieux personnage?

ROSETTE. – Oh! mon Dieu, oui! il se nomme le chevalier d’Albert!

THEODORE. – Le chevalier d’Albert! il me semble que c’est un jeune homme qui était sur le balcon quand je suis descendu de cheval.