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Je restais là une heure ou deux avec elle, ne quittant pas sa main que j’avais reposée sur la couverture; nous faisions des causeries interminables et charmantes; car, bien que Rosette fût très préoccupée de son amour, elle se croyait trop sûre du succès pour ne pas garder presque toute sa liberté et son enjouement d’esprit. – De temps à autre seulement, sa passion jetait sur sa gaieté un voile transparent de douce mélancolie, qui la rendait encore plus piquante.

En effet, il eût été inouï qu’un jeune débutant, comme j’en avais les apparences, ne se trouvât pas fort heureux d’une telle bonne fortune et n’en profitât pas de son mieux. Rosette, effectivement, n’était point faite de façon à rencontrer de grandes cruautés, – et, n’en sachant pas davantage à mon endroit, elle comptait sur ses charmes et sur ma jeunesse à défaut de mon amour.

Cependant, comme cette situation commençait à se prolonger un peu au-delà des bornes naturelles, elle en prit de l’inquiétude, et c’était à peine si un redoublement de phrases flatteuses et de belles protestations lui pouvait redonner sa première sécurité. Deux choses l’étonnaient en moi, et elle remarquait dans ma conduite des contradictions qu’elle ne pouvait concilier: – c’était ma chaleur de paroles et ma froideur d’action.

Tu le sais mieux que personne, ma chère Graciosa, mon amitié a tous les caractères d’une passion; elle est subite, ardente, vive exclusive, elle a de l’amour jusqu’à la jalousie, et j’avais pour Rosette une amitié presque pareille à celle que j’ai pour toi. – On pouvait se tromper à moins. – Rosette s’y trompa d’autant plus complètement que l’habit que je portais ne lui permettait guère d’avoir une autre idée.

Comme je n’ai encore aimé aucun homme, l’excès de ma tendresse s’est en quelque sorte épanché dans mes amitiés avec les jeunes filles et les jeunes femmes; j’y ai mis le même emportement et la même exaltation que je mets à tout ce que je fais, car il m’est impossible d’être modérée en quelque chose, et surtout dans ce qui regarde le cœur. Il n’y a à mes yeux que deux classes de gens, les gens que j’adore et ceux que j’exècre; les autres sont pour moi comme s’ils n’étaient pas, et je pousserais mon cheval sur eux comme sur le grand chemin: ils ne diffèrent pas dans mon esprit des pavés et des bornes.

Je suis naturellement expansive, et j’ai des manières très caressantes. – Quelquefois, oubliant la portée qu’avaient de telles démonstrations, tout en me promenant avec Rosette, je lui passais le bras autour du corps, comme je le faisais lorsque nous nous promenions ensemble dans l’allée solitaire au bout du jardin de mon oncle; ou bien, penchée au dos de son fauteuil pendant qu’elle brodait, je roulais sur mes doigts les petits poils follets qui blondissaient sur sa nuque ronde et potelée, ou je polissais du revers de la main ses beaux cheveux tendus par le peigne, et je leur redonnais du lustre, – ou bien c’était quelque autre de ces mignardises que tu sais m’être habituelles avec mes chères amies.

Elle se donnait bien de garde d’attribuer ces caresses à une simple amitié. L’amitié, comme on la conçoit ordinairement, ne va pas jusque-là; mais voyant que je n’allais pas plus loin, elle s’étonnait intérieurement et ne savait trop que penser; elle s’arrêta à ceci: que c’était une trop grande timidité de ma part, provenant de mon extrême jeunesse et du manque d’habitude dans les commerces amoureux, et qu’il me fallait encourager par toutes sortes d’avances et de bontés.

En conséquence, elle avait soin de me ménager une foule d’occasions de tête-à-tête dans des endroits propres à m’enhardir par leur solitude et leur éloignement de tout bruit et de tout importun; elle me fit faire plusieurs promenades dans les grands bois, pour essayer si la rêverie voluptueuse et les désirs amoureux qu’inspire aux âmes tendres l’ombre touffue et propice des forêts ne pourraient pas se détourner à son profit.

Un jour, après m’avoir fait errer longtemps à travers un parc très pittoresque qui s’étendait au loin derrière le château, et dont je ne connaissais que les parties qui avoisinaient les bâtiments, elle m’amena, par un petit sentier capricieusement contourné et bordé de sureaux et de noisetiers, jusqu’à une cabane rustique, une espèce de charbonnière, bâtie en rondins posés transversalement, avec un toit de roseaux, et une porte grossièrement faite de cinq ou six pièces de bois à peine rabotées, dont les interstices étaient étoupes de mousses et de plantes sauvages; tout à côté, entre les racines verdies de grands frênes à l’écorce d’argent, tachetés çà et là de plaques noires, jaillissait une forte source, qui, à quelques pas plus loin, tombait par deux gradins de marbre dans un bassin tout rempli de cresson plus vert que l’émeraude. – Aux endroits où il n’y avait pas de cresson, on apercevait un sable fin et blanc comme la neige; cette eau était d’une transparence de cristal et d’une froideur de glace; sortant de terre tout à coup, et n’étant jamais effleurée par le plus faible rayon de soleil, sous ces ombrages impénétrables, elle n’avait pas le temps de s’attiédir ni de se troubler. – Malgré leur crudité, j’aime ces eaux de source, et, voyant celle-là si limpide, je ne pus résister au désir d’en boire; je me penchai et j’en puisai à plusieurs reprises dans le creux de la main, n’ayant pas d’autre vase à ma disposition.

Chapitre 12

Rosette témoigna, pour apaiser sa soif…

Rosette témoigna, pour apaiser sa soif, le désir de boire aussi de cette eau, et me pria de lui en apporter quelques gouttes, n’osant pas, disait-elle, se pencher autant qu’il le fallait pour y atteindre. – Je plongeai mes deux mains aussi exactement jointes que possible dans la claire fontaine, ensuite je les haussai comme une coupe jusqu’aux lèvres de Rosette, et je les tins ainsi jusqu’à ce qu’elle eût tari l’eau qu’elles renfermaient, ce qui ne fut pas long, car il y en avait fort peu, et ce peu dégouttait à travers mes doigts, si serrés que je les tinsse; cela faisait un fort joli groupe, et il eût été à désirer qu’un sculpteur se fût trouvé là pour en tirer le crayon.

Quand elle eut presque achevé, ayant ma main près de ses lèvres, elle ne put s’empêcher de la baiser, de manière cependant à ce que je pusse croire que c’était une aspiration pour épuiser la dernière perle d’eau amassée dans ma paume; mais je ne m’y trompai pas, et la charmante rougeur qui lui couvrit subitement le visage la dénonçait assez.

Elle reprit mon bras, et nous nous dirigeâmes du côté de la cabane. La belle marchait aussi près de moi que possible, et se penchait en me parlant de façon à ce que sa gorge portât entièrement sur ma manche; position extrêmement savante, et capable de troubler tout autre que moi; j’en sentais parfaitement le contour ferme et pur et la douce chaleur; de plus, j’y pouvais remarquer une ondulation précipitée qui, fût-elle affectée ou vraie, n’en était pas moins flatteuse et engageante.