Nous arrivâmes ainsi à la porte de la cabane, que j’ouvris d’un coup de pied; je ne m’attendais assurément pas au spectacle qui s’offrit à mes yeux. – Je croyais que la hutte était tapissée de joncs avec une natte par terre et quelques escabeaux pour se reposer: – point du tout.
C’était un boudoir meublé avec toute l’élégance imaginable. – Les dessus de portes et de glaces représentaient les scènes les plus galantes des Métamorphoses d’Ovide: Salmacis et Hermaphrodite, Vénus et Adonis, Apollon et Daphné, et autres amours mythologiques en camaïeu lilas clair; – les trumeaux étaient faits de roses pompons, sculptés fort mignonnement, et de petites marguerites dont, par un raffinement de luxe, les cœurs seulement étaient dorés et les feuilles argentées. Une ganse d’argent bordait tous les meubles et relevait une tenture du bleu le plus doux qui se puisse trouver, et merveilleusement propre à faire ressortir la blancheur et l’éclat de la peau; mille charmantes curiosités chargeaient la cheminée, les consoles et les étagères, et il y avait un luxe de duchesses, de chaises longues et de sofas, qui montrait suffisamment que ce réduit n’était pas destiné à des occupations bien austères, et qu’assurément l’on ne s’y macérait pas.
Une belle pendule rocaille, posée sur un piédouche richement incrusté, faisait face à un grand miroir de Venise et s’y répétait avec des brillants et des reflets singuliers. Du reste, elle était arrêtée, comme si c’eût été une chose superflue que de marquer les heures dans un lieu destiné à les oublier.
Je dis à Rosette que ce raffinement de luxe me plaisait, que je trouvais qu’il était de fort bon goût de cacher la plus grande recherche sous une apparence de simplicité, et que j’approuvais fort qu’une femme eût des jupons brodés et des chemises garnies de matines avec un pardessus de simple toile; c’était une attention délicate pour l’amant qu’elle avait ou qu’elle pouvait avoir, dont on ne saurait être assez reconnaissant, et qu’à coup sûr il valait mieux mettre un diamant dans une noix qu’une noix dans une boîte d’or.
Rosette, pour me prouver qu’elle était de mon avis, releva un peu sa robe, et me fit voir le bord d’un jupon très richement brodé de grandes fleurs et de feuillages; il n’aurait tenu qu’à moi d’être admise au secret de plus grandes magnificences intérieures; mais je ne demandai pas à voir si la splendeur de la chemise répondait à celle de la jupe: il est probable que le luxe n’en était pas moindre. – Rosette laissa retomber le pli de sa robe, fâchée de n’avoir pas montré davantage. – Cependant cette exhibition lui avait servi à faire voir le commencement d’un mollet parfaitement tourné et donnant les meilleures idées ascensionnelles. – Cette jambe, qu’elle tendait en avant pour mieux étaler sa jupe, était vraiment d’une finesse et d’une grâce miraculeuses dans son bas de soie gris de perle bien juste et bien tiré, et la petite mule à talon ornée d’une touffe de rubans qui la terminait ressemblait à la pantoufle de verre chaussée par Cendrillon. Je lui en fis de très sincères compliments, et je lui dis que je ne connaissais guère de plus jolie jambe et de plus petit pied, et que je ne pensais pas qu’il fût possible de les avoir mieux faits. – À quoi elle répondit avec une franchise et une ingénuité toute charmante et toute spirituelle:
– C’est vrai.
Puis elle fut à un panneau pratique dans le mur, elle en tira un ou deux flacons de liqueurs et quelques assiettes de confitures et de gâteaux, posa le tout sur un petit guéridon, et se vint asseoir près de moi dans une dormeuse assez étroite, de sorte que je fus obligée, pour n’être point trop gênée, de lui passer le bras derrière la taille. Comme elle avait les deux mains libres, et que je n’avais précisément que la gauche dont je me pusse servir, elle me versait elle-même à boire, et mettait des fruits et des sucreries sur mon assiette; bientôt même, voyant que je m’y prenais assez maladroitement, elle me dit: – Allons, laissez cela; je m’en vais vous donner la becquée, petit enfant, puisque vous ne savez pas manger tout seul. Et elle me portait elle-même les morceaux à la bouche, et me forçait à les avaler plus vite que je ne le voulais, en les poussant avec ses jolis doigts, absolument comme on fait aux oiseaux que l’on empâte, ce qui la faisait beaucoup rire. – Je ne pus guère me dispenser de rendre à ses doigts le baiser qu’elle avait donné tout à l’heure à la paume de mes mains, et comme pour m’en empêcher, mais au fond pour me fournir l’occasion de mieux appuyer mon baiser, elle me frappa la bouche à deux ou trois reprises avec le revers de sa main.
Elle avait bu deux ou trois doigts de crème des Barbades avec un verre de vin des Canaries, et moi à peu près autant. Ce n’était pas beaucoup assurément; mais il y en avait assez pour égayer deux femmes habituées à ne boire que de l’eau à peine trempée – Rosette se laissait aller en arrière et se renversait sur mon bras très amoureusement. – Elle avait jeté son mantelet, et l’on voyait le commencement de sa gorge tendue et mise en arrêt par cette position cambrée; – le ton en était d’une délicatesse et d’une transparence ravissantes; la forme, d’une finesse et en même temps d’une solidité merveilleuses. Je la contemplai quelque temps avec une émotion et un plaisir indéfinissables, et cette réflexion me vint que les hommes étaient plus favorisés que nous dans leurs amours, que nous leur donnions à posséder les plus charmants trésors, et qu’ils n’avaient rien de pareil à nous offrir. – Quel plaisir ce doit être de parcourir de ses lèvres cette peau si fine et si polie, et ces contours si bien arrondis, qui semblent aller au-devant du baiser et le provoquer! ces chairs satinées, ces lignes ondoyantes et qui s’enveloppent les unes dans les autres, cette chevelure soyeuse et si douce à toucher; quels motifs inépuisables de délicates voluptés que nous n’avons pas avec les hommes! – Nos caresses, à nous, ne peuvent guère être que passives, et cependant il y a plus de plaisir à donner qu’à recevoir.
Voilà des remarques que je n’eusse assurément pas faites l’année passée, et j’aurais bien pu voir toutes les gorges et toutes les épaules du monde, sans m’inquiéter si elles étaient d’une bonne ou mauvaise forme; mais, depuis que j’ai quitté les habits de mon sexe et que je vis avec les jeunes gens, il s’est développé en moi un sentiment qui m’était inconnu: – le sentiment de la beauté. Les femmes en sont habituellement privées, je ne sais trop pourquoi car elles sembleraient d’abord plus à même d’en juger que les hommes; – mais, comme ce sont elles qui la possèdent, et que la connaissance de soi-même est la plus difficile de toutes, il n’est pas étonnant qu’elles n’y entendent rien. – Ordinairement, si une femme trouve une autre femme jolie, on peut être sûr que cette dernière est fort laide, et que pas un homme n’y fera attention. – En revanche, toutes les femmes dont les hommes vantent la beauté et la grâce sont trouvées unanimement abominables et minaudières par tout le troupeau enjuponné; ce sont des cris et des clameurs à n’en plus finir. Si j’étais ce que je parais être, je ne prendrais pas d’autre guide dans mes choix, et la désapprobation des femmes me serait un certificat de beauté suffisant.
Maintenant j’aime et je connais la beauté; les habits que je porte me séparent de mon sexe, et m’ôtent toute espèce de rivalité; je suis à même d’en juger mieux qu’un autre. – Je ne suis plus une femme, mais je ne suis pas encore un homme, et le désir ne m’aveuglera pas jusqu’à prendre des mannequins pour des idoles; je vois froidement et sans prévention ni pour ni contre, et ma position est aussi parfaitement désintéressée que possible.