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Pour les peintres, ils sont aussi d’une assez énorme stupidité; ils ne voient rien hors des sept couleurs. – L’un deux, avec qui j’avais passé quelques jours à R*** et à qui l’on demandait ce qu’il pensait de moi, fit cette ingénieuse réponse: – «Il est d’un ton assez chaud, et dans les ombres il faudrait employer, au lieu de blanc, du jaune de Naples pur avec un peu de terre de Cassel et de brun rouge.» – C’était son opinion, et, de plus, il avait le nez de travers et les yeux comme le nez; ce qui ne rendait pas son affaire meilleure. – Qui prendrai-je? un militaire à jabot bombé, un robin aux épaules convexes, un poète ou un peintre à la mine effarée, un petit freluquet efflanqué et sans consistance? Quelle cage choisirai-je dans cette ménagerie? Je l’ignore complètement, et je ne me sens pas plus de penchant d’un côté que de l’autre, car ils sont aussi parfaitement égaux que possible en bêtise et en laideur.

Après cela, il me resterait encore quelque chose à faire, ce serait de prendre quelqu’un que j’aimasse, fût-ce un portefaix ou un maquignon; mais je n’aime même pas un portefaix. Ô malheureuse héroïne que je suis! tourterelle dépariée et condamnée à pousser éternellement des roucoulements élégiaques!

Oh! que de fois j’ai souhaité être véritablement un homme comme je le paraissais! Que de femmes avec qui je me serais entendue, et dont le cœur aurait compris mon cœur! – comme ces délicatesses d’amour, ces nobles élans de pure passion auxquels j’aurais pu répondre m’eussent rendue parfaitement heureuse! Quelle suavité, quelles délices! comme toutes les sensitives de mon âme se seraient librement épanouies sans être obligées de se contracter et de se refermer à toute minute sous des attouchements grossiers! Quelle charmante floraison d’invisibles fleurs qui ne s’ouvriront jamais, et dont le mystérieux parfum eût doucement embaumé l’âme fraternelle! Il me semble que c’eût été une vie enchanteresse, une extase infinie aux ailes toujours ouvertes; des promenades, les mains enlacées sans se quitter jamais sous des allées de sable d’or, à travers des bosquets de roses éternellement souriantes, dans des parcs pleins de viviers où glissent des cygnes, avec des vases d’albâtre se détachant sur le feuillage.

Si j’avais été un jeune homme, comme j’eusse aimé Rosette! quelle adoration c’eût été! Nos âmes étaient vraiment faites l’une pour l’autre, deux perles destinées à se fondre ensemble et n’en plus faire qu’une seule! Comme j’eusse parfaitement réalisé les idées qu’elle s’était faites de l’amour! Son caractère me convenait on ne peut plus, et son genre de beauté me plaisait. Il est dommage que notre amour fût totalement condamné à un platonisme indispensable!

Il m’est arrivé dernièrement une aventure.

J’allais dans une maison où se trouvait une charmante petite fille de quinze ans tout au plus: je n’ai jamais vu de plus adorable miniature. – Elle était blonde, mais d’un blond si délicat et si transparent que les blondes ordinaires eussent paru auprès d’elle excessivement brunes et noires comme des taupes; on eût dit qu’elle avait des cheveux d’or poudrés d’argent; ses sourcils étaient d’une teinte si douce et si fondue qu’ils se dessinaient à peine visiblement; ses yeux, d’un bleu pâle, avaient le regard le plus velouté et les paupières les plus soyeuses qu’il soit possible d’imaginer; sa bouche, petite à n’y pas fourrer le bout du doigt, ajoutait encore au caractère enfantin et mignard de sa beauté, et les molles rondeurs et les fossettes de ses joues avaient un charme d’ingénuité inexprimable. – Toute sa chère petite personne me ravissait au-delà de toute expression; j’aimais ses petites mains blanches et frêles qui se laissaient traverser par le jour, son pied d’oiseau qui se posait à peine par terre, sa taille qu’un souffle eût brisée, et ses épaules de nacre, encore peu formées, que son écharpe mise de travers, trahissait heureusement – Son babil, où la naïveté donnait un nouveau piquant à l’esprit qu’elle a naturellement, me retenait des heures entières, et je me plaisais singulièrement à la faire causer; elle disait mille délicieuses drôleries, tantôt avec une finesse d’intention extraordinaire, tantôt sans avoir l’air d’en comprendre la portée le moins du monde, ce qui en faisait quelque chose de mille fois plus attrayant. Je lui donnais des bonbons et des pastilles que je réservais exprès pour elle dans une boîte d’écaille blonde, ce qui lui plaisait beaucoup, car elle était friande comme une vraie chatte qu’elle est. – Aussitôt que j’arrivais, elle courait à moi et tâtait mes poches pour voir si la bienheureuse bonbonnière s’y trouvait, je la faisais courir d’une main à l’autre, et cela faisait une petite bataille où elle finissait nécessairement par avoir le dessus et me dévaliser complètement.

Un jour cependant elle se contenta de me saluer d’un air très grave et ne vint pas, comme à son ordinaire, voir si la fontaine de sucreries coulait toujours dans ma poche; elle restait fièrement sur sa chaise toute droite et les coudes en arrière.

– Eh bien! Ninon, lui dis-je, est-ce que vous aimez le sel maintenant, ou avez-vous peur que les bonbons ne vous fassent tomber les dents? – Et, en disant cela, je frappai contre la boîte, qui rendait, sous ma veste, le son le plus mielleux et le plus sucré du monde.

Elle avança à demi sa petite langue sur le bord de sa bouche, comme pour savourer la douceur idéale du bonbon absent, mais elle ne bougea pas.

Alors je tirai la boîte de ma poche, je l’ouvris et je me mis à avaler religieusement les pralines, qu’elle aimait par-dessus tout: l’instinct de la gourmandise fut un instant plus fort que sa résolution; elle avança la main pour en prendre et la retira aussitôt en disant: – Je suis trop grande pour manger des bonbons! Et elle fit un soupir.

– Je ne m’étais pas aperçu que vous fussiez beaucoup grandie depuis la semaine passée; vous êtes donc comme les champignons qui poussent en une nuit? Venez que je vous mesure.

– Riez tant que vous voudrez, reprit-elle avec une charmante moue; je ne suis plus une petite fille; et je veux devenir très grande.

– Voilà d’excellentes résolutions dans lesquelles il faut persévérer; – et pourrait-on, ma chère demoiselle, savoir à propos de quoi ces triomphantes idées vous sont tombées dans la tête? Car, il y a huit jours, vous paraissiez vous trouver fort bien d’être petite, et vous croquiez les pralines sans vous soucier autrement de compromettre votre dignité.

La petite personne me regarda avec un air singulier, promena ses yeux autour d’elle, et, quand elle se fut bien assurée que l’on ne pouvait nous entendre, se pencha vers moi d’une façon mystérieuse, et me dit:

– J’ai un amoureux.

– Diable! je ne m’étonne plus si vous ne voulez plus de pastilles; vous avez cependant eu tort de n’en pas prendre, vous auriez joué à la dînette avec lui, ou vous les auriez troquées contre un volant.

L’enfant fit un dédaigneux mouvement d’épaules et eut l’air de me prendre en parfaite pitié. – Comme elle gardait toujours son attitude de reine offensée, je continuai:

– Quel est le nom de ce glorieux personnage? Arthur, je suppose, ou bien Henri. – C’étaient deux petits garçons avec lesquels elle avait l’habitude de jouer, et qu’elle appelait ses maris.

– Non, ni Arthur, ni Henri, dit-elle en fixant sur moi son œil clair et transparent, – un monsieur. – Elle leva sa main au-dessus de sa tête pour me donner une idée de hauteur.