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Huit jours, c’est long, mon ami, et, en Afrique, ces huit jours-là valaient bien un mois. Je criai: «Oui» et j’ouvris les bras. Elle s’y jeta.

Elle m’attendit, à la nuit, dans une rue voisine, et me guida.

Ils habitaient près du port une petite maison basse.

Je traversai d’abord une cuisine où le ménage prenait ses repas, et je pénétrai dans la chambre blanchie à la chaux, propre, avec des photographies de parents le long des murs et des fleurs de papier sous des globes. Marroca semblait folle de joie; elle sautait, répétant: «Te voilà chez nous, te voilà chez toi.»

J’agis, en effet, comme chez moi.

J’étais un peu gêné, je l’avoue, même inquiet. Comme j’hésitais, dans cette demeure inconnue, à me séparer de certain vêtement sans lequel un homme surpris devient aussi gauche que ridicule, et incapable de toute action, elle me l’arracha de force et l’emporta dans la pièce voisine, avec toutes mes autres hardes.

Je repris enfin mon assurance et je lui prouvai de tout mon pouvoir, si bien qu’au bout de deux heures nous ne songions guère au repos, quand des coups violents frappés soudain contre la porte nous firent tressaillir; et une voix forte d’homme cria: «Marroca, c’est moi.»

Elle fit un bond: «Mon mari! Vite, cache-toi sous le lit.» Je cherchais éperdument mon pantalon; mais elle me poussa, haletante: «Va donc, va donc.»

Je m’étendis à plat ventre et me glissai sans murmurer sous ce lit, sur lequel j’étais si bien.

Alors elle passa dans la cuisine. Je l’entendis ouvrir une armoire, la fermer, puis elle revint, apportant un objet que je n’aperçus pas, mais qu’elle posa vivement quelque part; et, comme son mari perdait patience, elle répondit d’une voix forte et calme: «Je ne trrrouve pas allumettes»; puis soudain: «Les voilà, je t’ouvrrre.» Et elle ouvrit.

L’homme entra. Je ne vis que ses pieds, des pieds énormes. Si le reste se trouvait en proportion, il devait être un colosse.

J’entendis des baisers, une tape sur de la chair nue, un rire; puis il dit avec un accent marseillais: «Zé oublié ma bourse, té, il a fallu revenir. Autrement, je crois que tu dormais de bon cœur.» Il alla vers la commode, chercha longtemps ce qu’il lui fallait; puis Marroca s’étant étendue sur le lit comme accablée de fatigue, il revient à elle, et sans doute il essayait de la caresser, car elle lui envoya, en phrases irritées, une mitraille d’r furieux.

Les pieds étaient si près de moi qu’une envie folle, stupide, inexplicable, me saisit de les toucher tout doucement. Je me retins.

Comme il ne réussissait pas en ses projets, il se vexa. «Tu es bien méçante aujourd’hui», dit-il. Mais il en prit son parti. «Adieu, pétite.» Un nouveau baiser sonna; puis les gros pieds se retournèrent, me firent voir leurs gros clous en s’éloignant, passèrent dans la pièce voisine; et la porte de la rue se referma.

J’étais sauvé!

Je sortis lentement de ma retraite, humble et piteux, et tandis que Marroca, toujours nue, dansait une gigue autour de moi en riant aux éclats et battant des mains, je me laissai tomber lourdement sur une chaise. Mais je me relevai d’un bond; une chose froide gisait sous moi, et comme je n’étais pas plus vêtu que ma complice, le contact m’avait saisi. Je me retournai.

Je venais de m’asseoir sur une petite hachette à fendre le bois, aiguisée comme un couteau. Comment était-elle venue à cette place? Je ne l’avais pas aperçue en entrant.

Marroca, voyant mon sursaut, étouffait de gaieté, poussait des cris, toussait, les deux mains sur son ventre.

Je trouvai cette joie déplacée, inconvenante. Nous avions joué notre vie stupidement; j’en avais encore froid dans le dos, et ces rires fous me blessaient un peu.

«Et si ton mari m’avait vu?» lui demandai-je.

Elle répondit: «Pas de danger.

– Comment! pas de danger. Elle est raide celle-là! Il lui suffisait de se baisser pour me trouver.»

Elle ne riait plus; elle souriait seulement en me regardant de ses grands yeux fixés, où germaient de nouveaux désirs.

«Il ne se serait pas baissé.»

J’insistai. «Par exemple! S’il avait seulement laissé tomber son chapeau, il aurait bien fallu le ramasser, alors… j’étais propre, moi, dans ce costume.»

Elle posa sur mes épaules ses bras ronds et vigoureux, et, baissant le ton, comme si elle m’eût dit: «Je t’adorrre», elle murmura: «Alorrrs, il ne se serait pas relevé.»

Je ne comprenais point:

«Pourquoi ça?»

Elle cligna de l’œil avec malice, allongea sa main vers la chaise où je venais de m’asseoir; et son doigt tendu, le pli de sa joue, ses lèvres entrouvertes, ses dents pointues, claires et féroces, tout cela me montrait la petite hachette à fendre le bois, dont le tranchant aigu luisait.

Elle fit le geste de la prendre; puis m’attirant du bras gauche tout contre elle, serrant sa hanche à la mienne, du bras droit elle esquissa le mouvement qui décapite un homme à genoux!…

Et voilà, mon cher, comment on comprend ici les devoirs conjugaux, l’amour et l’hospitalité!

2 mars 1882

LA BÛCHE

Le salon était petit, tout enveloppé de tentures épaisses, et discrètement odorant. Dans une cheminée large, un grand feu flambait- tandis qu’une seule lampe posée sur le coin de la cheminée versait une lumière molle, ombrée par un abat-jour d’ancienne dentelle, sur les deux personnes qui causaient.

Elle, la maîtresse de la maison, une vieille à cheveux blancs, mais un de ces vieilles adorables dont la peau sans rides est lisse comme un fin papier et parfumée, tout imprégnée de parfums, pénétrée jusqu’à la chair vive par les essences fines dont elle se baigne, depuis si longtemps, l’épiderme: une vieille qui sent, quand on lui baise la main, l’odeur légère qui vous saute à l’odorat lorsqu’on ouvre une boîte de poudre d’iris florentine.

Lui était un ami d’autrefois, resté garçon, un ami de toutes les semaines, un compagnon de voyage dans l’existence. Rien de plus d’ailleurs.

Ils avaient cessé de causer depuis une minute environ, et tous deux regardaient le feu, rêvant à n’importe quoi, en l’un de ces silences amis des gens qui n’ont pas besoin de parler toujours pour se plaire l’un près de l’autre.

Et soudain une grosse bûche, une souche hérissée de racines enflammées, croula. Elle bondit par-dessus les chenets, et, lancée dans le salon, roula sur le tapis en jetant des éclats de feu autour d’elle.

La vieille femme, avec un petit cri, se dressa comme pour fuir, tandis que lui, à coups de botte, rejetait dans la cheminée l’énorme charbon et ratissait de sa semelle toutes les éclaboussures ardentes répandues autour.

Quand le désastre fut réparé, une forte odeur de roussi se répandit; et l’homme, se rasseyant en face de son amie, la regarda en souriant: «Et voilà, dit-il, en montrant la bûche replacée dans l’âtre, voilà pourquoi je ne me suis jamais marié.»

Elle le considéra, tout étonnée, avec cet œil curieux des femmes qui veulent savoir, cet œil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes, où la curiosité est réfléchie, compliquée, souvent malicieuse; et elle demanda: «Comment ça?»

Il reprit: «Oh! c’est toute une histoire, une assez triste et vilaine histoire.