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Ce que je ne comprends pas, par exemple, c’est que certaines femmes qui connaissent si bien l’irrésistible séduction des bas de soie fins et brodés, et le charme exquis des nuances, et l’ensorcellement des précieuses dentelles cachées dans la profondeur des toilettes intimes, et la troublante saveur du luxe secret, des dessous raffinés, toutes les subtiles délicatesses des élégances féminines, ne comprennent jamais l’irrésistible dégoût que nous inspirent les paroles déplacées ou niaisement tendres.

Un mot brutal, parfois, fait merveille, fouette la chair, fait bondir le cœur. Ceux-là sont permis aux heures de combat. Celui de Cambronne n’est-il pas sublime? Rien ne choque qui vient à temps. Mais il faut aussi savoir se taire, et éviter en certains moments les phrases à la Paul de Kock.

Et je t’embrasse passionnément, à condition que tu ne diras rien.

René.

2 février 1882

UNE AVENTURE PARISIENNE

Est-il un sentiment plus aigu que la curiosité chez la femme? Oh! savoir, connaître, toucher ce qu’on a rêvé! Que ne ferait-elle pas pour cela? Une femme, quand sa curiosité impatiente est en éveil, commettra toutes les folies, toutes les imprudences, aura toutes les audaces, ne reculera devant rien. Je parle des femmes vraiment femmes, douées de cet esprit à triple fond qui semble, à la surface, raisonnable et froid, mais dont les trois compartiments secrets sont remplis: l’un d’inquiétude féminine toujours agitée; l’autre, de ruse colorée en bonne foi, de cette ruse de dévots, sophistiquée et redoutable; le dernier enfin, de canaillerie charmante, de tromperie exquise, de délicieuse perfidie, de toutes ces perverses qualités qui poussent au suicide les amants imbécilement crédules, mais ravissent les autres.

Celle dont je veux dire l’aventure était une petite provinciale, platement honnête jusque-là. Sa vie, calme en apparence, s’écoulait dans son ménage, entre un mari très occupé et deux enfants, qu’elle élevait en femme irréprochable. Mais son cœur frémissait d’une curiosité inassouvie, d’une démangeaison d’inconnu. Elle songeait à Paris, sans cesse, et lisait avidement les journaux mondains. Le récit des fêtes, des toilettes, des joies, faisait bouillonner ses désirs; mais elle était surtout mystérieusement troublée par les échos pleins de sous-entendus, par les voiles à demi soulevés en des phrases habiles, et qui laissent entrevoir des horizons de jouissances coupables et ravageantes.

De là-bas elle apercevait Paris dans une apothéose de luxe magnifique et corrompu.

Et pendant les longues nuits de rêve, bercée par le ronflement régulier de son mari qui dormait à ses côtés sur le dos, avec un foulard autour du crâne, elle songeait à ces hommes connus dont les noms apparaissent à la première page des journaux comme de grandes étoiles dans un ciel sombre; et elle se figurait leur vie affolante, avec de continuelles débauches, des orgies antiques épouvantablement voluptueuses et des raffinements de sensualité si compliqués qu’elle ne pouvait même se les figurer.

Les boulevards lui semblaient être une sorte de gouffre des passions humaines; et toutes leurs maisons recelaient assurément des mystères d’amour, prodigieux.

Elle se sentait vieillir cependant. Elle vieillissait sans avoir rien connu de la vie, sinon ces occupations régulières, odieusement monotones et banales qui constituent, dit-on, le bonheur du foyer. Elle était jolie encore, conservée dans cette existence tranquille comme un fruit d’hiver dans une armoire close; mais rongée, ravagée, bouleversée d’ardeurs secrètes. Elle se demandait si elle mourrait sans avoir connu toutes ces ivresses damnantes, sans s’être jetée une fois, une seule fois, tout entière, dans ce flot des voluptés parisiennes.

Avec une longue persévérance, elle prépara un voyage à Paris, inventa un prétexte, se fit inviter par des parents, et, son mari ne pouvant l’accompagner, partit seule.

Sitôt arrivée, elle sut imaginer des raisons qui lui permettraient au besoin de s’absenter deux jours ou plutôt deux nuits, s’il le fallait, ayant retrouvé, disait-elle, des amis qui demeuraient dans la campagne suburbaine.

Et elle chercha. Elle parcourut les boulevards sans rien voir, sinon le vice errant et numéroté. Elle sonda de l’œil les grands cafés, lut attentivement la petite correspondance du Figaro, qui lui apparaissait chaque matin comme un tocsin, un rappel de l’amour.

Et jamais rien ne la mettait sur la trace de ces grandes orgies d’artistes et d’actrices; rien ne lui révélait les temples de ces débauches qu’elle imaginait fermés par un mot magique, comme la caverne des Mille et une Nuits et ces catacombes de Rome, où s’accomplissaient secrètement les mystères d’une religion persécutée.

Ses parents, petits bourgeois, ne pouvaient lui faire connaître aucun de ces hommes en vue dont les noms bourdonnaient dans sa tête; et, désespérée, elle songeait à s’en retourner, quand le hasard vint à son aide.

Un jour, comme elle descendait la rue de la Chaussée-d ’Antin, elle s’arrêta à contempler un magasin rempli de ces bibelots japonais si colorés qu’ils donnent aux yeux une sorte de gaieté. Elle considérait les mignons ivoires bouffons, les grandes potiches aux émaux flambants, les bronzes bizarres, quand elle entendit, à l’intérieur de la boutique, le patron qui, avec force révérences, montrait à un gros petit homme chauve de crâne, et gris de menton, un énorme magot ventru, pièce unique, disait-il. Et à chaque phrase du marchand, le nom de l’amateur, un nom célèbre, sonnait comme un appel de clairon. Les autres clients, des jeunes femmes, des messieurs élégants, contemplaient, d’un coup d’œil furtif et rapide, d’un coup d’œil comme il faut et manifestement respectueux, l’écrivain renommé qui, lui, regardait passionnément le magot de porcelaine. Ils étaient aussi laids l’un que l’autre, laids comme deux frères sortis du même flanc.

Le marchand disait: «Pour vous, monsieur Jean Varin, je le laisserai à mille francs; c’est juste ce qu’il me coûte. Pour tout le monde ce serait quinze cents francs; mais je tiens à ma clientèle d’artistes et je lui fais des prix spéciaux. Ils viennent tous chez moi, monsieur Jean Varin. Hier, M. Busnach m’achetait une grande coupe ancienne. J’ai vendu l’autre jour deux flambeaux comme ça (sont-ils beaux, dites?) à M. Alexandre Dumas. Tenez, cette pièce que vous tenez là, si M. Zola la voyait, elle serait vendue, monsieur Varin.»

L’écrivain très perplexe hésitait, sollicité par l’objet, mais songeant à la somme, et il ne s’occupait pas plus des regards que s’il eût été seul dans un désert.

Elle était entrée tremblante, l’œil fixé effrontément sur lui, et elle ne se demandait même pas s’il était beau, élégant ou jeune. C’était Jean Varin lui-même, Jean Varin!

Après un long combat, une douloureuse hésitation, il reposa la potiche sur la table. «Non, c’est trop cher», dit-il.

Le marchant redoublait d’éloquence. «Oh! monsieur Jean Varin, trop cher? cela vaut deux mille francs comme un sou.»

L’homme de lettres répliqua tristement en regardant toujours le bonhomme aux yeux d’émaiclass="underline" «Je ne dis pas non; mais c’est trop cher pour moi.»