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Ce n’est pas que ça me disait beaucoup, car la particulière n’était pas dans sa primeur. Mais y ne faut pas se montrer trop regardant dans le métier, vu que les picaillons sont rares. Et puis on a de la famille qu’il faut soutenir. Je me disais: «Y aura cent sous pour le père, là-dessus.»

Quand la corvée a été faite, mon capitaine, je me suis mis en position de me retirer. Elle aurait bien voulu que je ne parte pas sitôt. Mais je lui dis: «Chacun son dû, madame. Un p’tit verre ça coûte deux sous, et deux p’tits verres, ça coûte quatre sous.»

Ell’comprit bien le raisonnement et me mit un p’tit napoléon de dix balles au fond de la main. Ça ne m’allait guère, c’te monnaie-là, parce que ça vous coule dans la poche, et quand les pantalons ne sont pas bien cousus, on la retrouve dans ses bottes, ou bien on ne la retrouve pas.

Alors que je regardais ce pain à cacheter jaune en me disant ça, ell’me contemple; et puis ell’devient rouge, et ell’se trompe sur ma physionomie, et ell’me demande:

«Est-ce que tu trouves que c’est pas assez?» Je lui réponds:

«Ce n’est pas précisément ça, madame, mais, si ça ne vous faisait rien, j’aimerais mieux deux pièces de cent sous.»

Ell’me les donna et je m’éloignai.

Or, voilà dix-huit mois que ça dure, mon capitaine. J’y vas tous les mardis, le soir, quand vous consentez à me donner permission. Elle aime mieux ça, parce que sa bonne est couchée.

Or donc, la semaine dernière, je me trouvai indisposé; et il me fallut tâter de l’infirmerie. Le mardi arrive, pas moyen de sortir; et je me mangeais les sangs par rapport aux dix balles dont je me trouve accoutumé.

Je me dis: «Si personne y va, je suis rasé; qu’elle prendra pour sûr un artilleur.» Et ça me révolutionnait.

Alors, je fais demander Paumelle, que nous sommes pays; et je lui dis la chose: «Y aura cent sous pour toi, cent sous pour moi, c’est convenu.»

Y consent, et le v’là parti. J’y avais donné les renseignements. Y frappe; ell’ouvre; ell’le fait entrer; ell’l’y regarde pas la tête et s’aperçoit point qu’c’est pas le même.

Vous comprenez, mon capitaine, un dragon et un dragon, quand ils ont le casque, ça se ressemble.

Mais soudain, elle découvre la transformation, et ell’demande d’un air de colère:

«Qu’est-ce que vous êtes? Qu’est-ce que vous voulez? Je ne vous connais pas, moi?»

Alors Paumelle s’explique. Il démontre que je suis indisposé et il expose que je l’ai envoyé pour remplaçant.

Elle le regarde, lui fait aussi jurer le secret, et puis elle l’accepte, comme bien vous pensez, vu que Paumelle n’est pas mal aussi de sa personne.

Mais quand ce limier-là fut revenu, mon capitaine, il ne voulait plus me donner mes cent sous. Si ça avait été pour moi, j’aurais rien dit, mais c’était pour le père; et là-dessus, pas de blague.

Je lui dis:

«T’es pas délicat dans tes procédés, pour un dragon, que tu déconsidères l’uniforme.»

Il a levé la main, mon capitaine, en disant que c’te corvée-là, ça valait plus du double.

Chacun son jugement, pas vrai? Fallait point qu’il accepte. J’y ai mis mon poing dans le nez. Vous avez connaissance du reste.

Le capitaine d’Anglemare riait aux larmes en me disant l’histoire. Mais il m’a fait aussi jurer le secret qu’il avait garanti aux deux soldats.

«Surtout, n’allez pas me trahir, gardez ça pour vous, vous me le promettez?

– Oh! ne craignez rien. Mais comment tout cela s’est-il arrangé en définitive?

– Comment? Je vous le donne en mille!… La mère Bonderoi garde ses deux dragons, en leur réservant chacun leur jour. De cette façon, tout le monde est content.

– Oh! elle est bien bonne, bien bonne!

– Et les vieux parents ont du pain sur la planche. La morale est satisfaite.»

2 janvier 1883