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Elle se retourna, poussa un cri, et, moitié nageant, moitié marchant, se cacha tout à fait derrière sa roche.

Comme il fallait bien qu’elle sortît, je m’assis sur la berge et j’attendis. Alors elle montra tout doucement sa tête surchargée de cheveux noirs liés à la diable. Sa bouche était large, aux lèvres retroussées comme des bourrelets, ses yeux énormes, effrontés, et toute sa chair un peu brunie par le climat semblait une chair d’ivoire ancien, dure et douce, de belle race blanche teintée par le soleil des nègres.

Elle me cria: «Allez-vous-en.» Et sa voix pleine, un peu forte comme toute sa personne, avait un accent guttural. Je ne bougeai point. Elle ajouta: «Ça n’est pas bien de rester là, monsieur.» Les r, dans sa bouche, roulaient comme des chariots. Je ne remuai pas davantage. La tête disparut.

Dix minutes s’écoulèrent; et les cheveux, puis le front, puis les yeux se remontrèrent avec lenteur et prudence, comme font les enfants qui jouent à cache-cache pour observer celui qui les cherche.

Cette fois, elle eut l’air furieux; elle cria: «Vous allez me faire attraper mal. Je ne partirai pas tant que vous serez là.» Alors je me levai et m’en allai, non sans me retourner souvent. Quand elle me jugea assez loin, elle sortit de l’eau à demi courbée, me tournant ses reins; et elle disparut dans un creux du roc, derrière une jupe suspendue à l’entrée.

Je revins le lendemain. Elle était encore au bain, mais vêtue d’un costume entier. Elle se mit à rire en me montrant ses dents luisantes.

Huit jours après, nous étions amis. Huit jours de plus, et nous le devenions encore davantage.

Elle s’appelait Marroca, d’un surnom sans doute, et prononçait ce mot comme s’il eût contenu quinze r. Fille de colons espagnols, elle avait épousé un Français nommé Pontabèze. Son mari était employé de l’État. Je n’ai jamais su bien au juste quelles fonctions il remplissait. Je constatai qu’il était fort occupé, et je n’en demandai pas plus long.

Alors, changeant l’heure de son bain, elle vint chaque jour après mon déjeuner faire la sieste en ma maison. Quelle sieste! Si c’est là se reposer!

C’était vraiment une admirable fille, d’un type un peu bestial, mais superbe. Ses yeux semblaient toujours luisants de passion; sa bouche entrouverte, ses dents pointues, son sourire même avaient quelque chose de férocement sensuel, et ses seins étranges, allongés et droits, aigus comme des poires de chair, élastiques comme s’ils eussent renfermé des ressorts d’acier, donnaient à son corps quelque chose d’animal, faisaient d’elle une sorte d’être inférieur et magnifique, de créature destinée à l’amour désordonné, éveillant en moi l’idée des obscènes divinités antiques dont les tendresses libres s’étendaient au milieu des herbes et des feuilles.

Et jamais femme ne porta dans ses flancs de plus inapaisables désirs. Ses ardeurs acharnées et ses hurlantes étreintes, avec des grincements de dents, des convulsions et des morsures, étaient suivies presque aussitôt d’assoupissements profonds comme une mort. Mais elle se réveillait brusquement en mes bras, toute prête à des enlacements nouveaux, la gorge gonflée de baisers.

Son esprit, d’ailleurs, était simple comme deux et deux font quatre, et un rire sonore lui tenait lieu de pensée.

Fière par instinct de sa beauté, elle avait en horreur les voiles les plus légers; et elle circulait, courait, gambadait dans ma maison avec une impudeur inconsciente et hardie. Quand elle était enfin repue d’amour, épuisée de cris et de mouvements, elle dormait à mes côtés sur le divan, d’un sommeil fort et paisible; tandis que l’accablante chaleur faisait pointer sur sa peau brunie de minuscules gouttes de sueur, dégageait d’elle, de ses bras relevés sous sa tête, de tous ses replis secrets, cette odeur fauve qui plaît aux mâles.

Quelquefois elle revenait le soir, son mari étant de service je ne sais où. Nous nous étendions alors sur la terre, à peine enveloppés en de fins et flottants tissus d’Orient.

Quand la grande lune illuminante des pays chauds s’étalait en plein dans le ciel, éclairant la ville et le golfe avec son cadre arrondi de montagnes, nous apercevions alors sur toutes les autres terrasses comme une armée de silencieux fantômes étendus qui parfois se levaient, changeaient de place, et se recouchaient sous la tiédeur langoureuse du ciel apaisé.

Malgré l’éclat de ces soirées d’Afrique, Marroca s’obstinait à se mettre nue encore sous les clairs rayons de la lune; elle ne s’inquiétait guère de tous ceux qui nous pouvaient voir, et souvent elle poussait par la nuit, malgré mes craintes et mes prières, de longs cris vibrants, qui faisaient au loin hurler les chiens.

Comme je sommeillais le soir, sous le large firmament tout barbouillé d’étoiles, elle vint s’agenouiller sur mon tapis, et approchant de ma bouche ses grandes lèvres retournées:

«Il faut, dit-elle, que tu viennes dormir chez moi.»

Je ne comprenais pas.

«Comment, chez toi?

– Oui, quand mon mari sera parti, tu viendras dormir à sa place.»

Je ne pus m’empêcher de rire:

«Pourquoi ça, puisque tu viens ici?»

Elle reprit, en me parlant dans la bouche, me jetant son haleine chaude au fond de la gorge, mouillant ma moustache de son souffle: «C’est pour me faire un souvenir.» – Et l’r de souvenir traîna longtemps avec un fracas de torrent sur des roches.

Je ne saisissais point son idée. Elle passa ses mains à mon cou.

«Quand tu ne seras plus là, j’y penserai. Et quand j’embrasserai mon mari, il me semblera que ce sera toi.»

Et les rrrai et les rrra prenaient en sa voix des grondements de tonnerres familiers.

Je murmurai, attendri et très égayé:

«Mais tu es folle. J’aime mieux rester chez moi.»

Je n’ai, en effet, aucun goût pour les rendez-vous sous un toit conjugal; ce sont là des souricières où sont toujours pris les imbéciles. Mais elle me pria, me supplia, pleura même, ajoutant: «Tu verras comme je t’aimerai.» T’aimerrrai retentissait à la façon d’un roulement de tambour battant la charge.

Son désir me semblait tellement singulier que je ne me l’expliquais point; puis, en y songeant, je crus démêler quelque haine profonde contre son mari, une de ces vengeances secrètes de femme qui trompe avec délices l’homme abhorré, et le veut encore tromper chez lui, dans ses meubles, dans ses draps.

Je lui dis:

«Ton mari est très méchant pour toi?»

Elle prit un air fâché.

«Oh! non, très bon.

– Mais tu ne l’aimes pas, toi?»

Elle me fixa avec ses larges yeux étonnés.

«Si, je l’aime beaucoup, au contraire, beaucoup, beaucoup, mais pas tant que toi, mon cœurrr.»

Je ne comprenais plus du tout, et comme je cherchais à deviner, elle appuya sur ma bouche une de ces caresses dont elle connaissait le pouvoir, puis elle murmura:

«Tu viendras, dis?»

Je résistai cependant. Alors elle s’habilla tout de suite et s’en alla.

Elle fut huit jours sans se montrer. Le neuvième jour elle reparut, s’arrêta gravement sur le seuil de ma chambre et demanda:

«Viendras-tu ce soir dorrrmirrr chez moi? Si tu ne viens pas, je m’en vais.»