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Au lycée, lâcha-t-elle sur un ton d'héroïne de Mauriac, je n'ai pas dit que vous étiez dans la même voiture. Rien ne se saura...

Et elle ajouta, gaullienne :

Tout va rentrer dans l'ordre. La chienlit, c'est terminé.

Liberté... est-elle vivante ? marmonna Horace.

Chéri, tout va rentrer dans l'ordre.

Est-elle vivante ? s'insurgea-t-il.

Cette petite garce n'a eu qu'une entorse. Mais que faisait-elle, nue, au volant de ta voiture, en sens inverse sur l'autoroute ?

Nous faisions l'amour, à deux cents kilomètres heure.

Ah... à deux cents kilomètres heure ?

Oui. J'aime les excès de vitesse.

Tout était dit.

Comme une filiale indolente attrape le rythme de son actionnaire, Horace était devenu aussi rapide que Liberté. Jadis plein de précautions, de politesses guindées et de louvoiements chafouins, il avait adopté la netteté de langage de la fille de Lord Byron, toujours prompte à dégainer. Terminé les attitudes patelines !

Juliette remballa son chapeau fleuri et décampa. Elle irait désormais cultiver ailleurs le serre-tête en velours noir et la jupe plissée. Le come-back de la rousse plaintive était raté.

Mais qu'allait-il devenir ?

Attaché à son goutte-à-goutte, Horace songea que cet accident l'avait réveillé de son rêve d'idéal. Il ne pouvait plus perpétuer sa liaison avec Mademoiselle Liberté, toute flambante d'ambitions qui le mèneraient tôt ou tard à la morgue. Ce choc avait prononcé l'arrêt de leurs folies. Mais, dans le même temps, Liberté lui avait fait goûter une pureté originale, pimentée de plaisirs virtuoses, et il ne se voyait plus stagner dans une liaison quelconque. Comment réintégrer une vie rampante quand on a respiré l'oxygène des cimes ? Était-il même possible d'effacer une amante qui savait si bien entretenir l'émulation sentimentale, polir une passion, mettre au point des émois sidérants ? L'amour ne pouvait plus être pour Horace qu'un effort poétique, éloigné du romantisme de grande consommation. Les pâmoisons catholiques de Juliette et les étreintes à la régulière ne le tentaient guère. À ses yeux, l'acte charnel serait désormais une bourrasque inattendue, l'anoblissement d'une fringale, une liturgie sauvage !

Ni avec toi ni sans toi était donc son dilemme, ou plutôt son ordre du jour. Avec Liberté, Horace crèverait fatalement, sans elle il dépérirait. Trancher le démangeait, surseoir le chatouillait. En définitive, il était mieux dans le plâtre, du talon droit jusqu'à la cuisse. Immobile, Horace entendait profiter de quelques semaines de no man's land aux frais de la sécurité sociale, en se noyant dans des divertissements télévisés, de la gaudriole hertzienne qui le dispenserait de trop penser. Ah, se diluer dans les programmes commerciaux qui coupent le fleuve des publicités ! Inexister, une télécommande à la main !

Mais la porte s'ouvrit pour laisser entrer son avenir, une cheville dans le plâtre. Liberté claudiqua vers lui et posa ses béquilles. Sa beauté était toujours un coup de théâtre. Elle posa sa jolie silhouette sur la chaise. Cinquante kilos de courbes et des tonnes de charme.

Indiscutablement, commença cette intime de Shakespeare, on ne peut plus continuer comme ça...

Naturellement.

Chercher toujours mieux, on voit où ça mène...

À l'hôpital.

Pourquoi ne pas rechercher le pire ? lança-t-elle avec sagacité.

Quel pire ?

Essayons de vivre la pire des journées.

Pardon ?

Que pourrait être la pire des rencontres entre un homme et une femme ? Je dis bien la pire, celle qui ne laisserait aucune chance à l'amour. Aucune. Un chef-d'œuvre à l'envers !

Que cherches-tu ?

À nous dégoûter de certaines facilités... Il faut voir le mal en face pour le reconnaître.

Sans attendre de réponse, Liberté saisit ses béquilles, ressortit et frappa aussitôt. Elle agissait comme on monte une comédie, en sabrant les temps morts. Mademoiselle Liberté ne savait aimer qu'en se jetant par la fenêtre ; par terreur de rouiller. Une anti-Juliette. Même mariée, l'héritière des Byron ne serait jamais une épousée, militante du livret de famille, comblée par une déclaration fiscale commune, se pâmant lors des anniversaires de vieilles noces. Ô joies commémoratives ! Ô plaisirs rébarbatifs ! Ô bégaiements conjugaux ! Délices fanées... Corrélatifs de tant de défaites pour le cœur et de tant de couleuvres avalées.

Décontenancé, Horace se ressaisit. Pourquoi cette vivacité, ce ressort imaginatif lui plaisaient-ils tant ? Liberté dépensait une telle gourmandise à vivre, un entrain si plein de pétulance, qu'il se serait fait l'effet d'un pisse-froid en lui disant non. Tous deux étaient des bêtes à plaisirs ! Des gobeurs d'instants magiques ! Ce qu'Horace répondit au toctocde Liberté valait un ouihaut et ferme :

Entrez !

C'est moi..., répéta-t-elle.

Ah oui, bonjour, fit Horace.

Les lettres, c'est moi.

Ah... que voulez-vous ?

Non.

Quoi, non ?

En me posant cette question, tu me laisses une petite chance de te séduire. Et je ne veux pas que cette chance devienne la mienne puis la tienne !

Nous sommes ici pour réussir à tout rater. Reprenons... Le malheur, ça se mérite.

Liberté disparut et frappa une autre fois.

Entrez !

C'est moi..., reprit-elle en poussant la porte.

Ah oui, bonjour, marmonna Horace en reniflant.

Les lettres, c'est moi.

Les fautes d'orthographe, c'est donc vous...

Oui.

Et vous en êtes fière ? lança-t-il en se mouchant bruyamment.

Des fautes ?

Non, des lettres..., reprit Horace l'air navré, un filet de morve au bout du nez. Alors c'est vous... Eh bien je vous félicite. Le style est un chef-d'œuvre de platitude, les émotions frisent le ridicule complet, la niaiserie reste... constante. On se prend pour Hélène de Troie alors qu'on est Mademoiselle de Clermont-Ferrand. À ce degré d'ingénuité, ça en devient touchant...

Je ne vous plais pas ?

Étouffant un rot, Horace répondit avec une gentillesse odieuse :