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— Tu as vu des choses pendant que tu volais, reprit Eddie. Avant que tu n’arrives au pays de ténèbres que tu as appelé Tonnefoudre, tu as vu certaines choses. Sheb, le pianiste, qui a resurgi bien plus tard dans ta vie, par exemple, non ?

— Oui, à Tull.

— Et le frontalier roux ?

— Oui, lui aussi. Il avait un oiseau du nom de Zoltan. Mais lors de notre rencontre, on s’est contentés, lui et moi, d’une salutation banale « Longue vie à toi, longue vie à tes récoltes », ce genre de chose. J’ai cru l’entendre me dire ça quand il est passé près de moi en volant dans la tornade rose, mais il m’a dit autre chose en réalité.

Il jeta un coup d’œil à Susannah.

— J’ai vu aussi ton fauteuil roulant. L’ancien.

— Et puis la sorcière.

— Oui. Je…

Adoptant un gloussement caquetant qui rappela de façon déconcertante à Roland celui de Rhéa, Jake Chambers s’écria :

— Je t’aurai, ma mignonne ! Et ton petit chien, itou !

Roland le dévisagea, tâchant de ne pas rester bouche bée.

— Sauf que, dans le film, la sorcière n’est pas à cheval sur son balai, précisa Jake. Mais sur son vélo, avec un panier sur le porte-bagages.

— Ouais, et elle n’a pas non plus d’amulettes de la Moisson, poursuivit Eddie. Dommage, ça aurait été un détail piquant. Je vais t’avouer un truc, Jake, quand j’étais gosse, son rire me faisait cauchemarder grave !

— Moi, c’est les singes qui me flanquaient la trouille, renchérit Susannah. Les singes volants. Suffisait que je commence à y penser, et je devais me faufiler dans le lit de mes parents. Y se disputaient toujours pour savoir qui avait eu la b’illante idée de m’emmen’ voi’ ce film quand je m’endormais blottie entre eux deux.

— Ça m’a pas inquiété de frapper les talons l’un contre l’autre, continua Jake. Pas inquiété du tout.

Il s’adressait à Susannah et à Eddie ; pour le moment, Roland n’existait plus, semblait-il.

— Après tout, je les portais pas.

— Exact, affirma Susannah, d’un ton sévère. Mais tu sais ce que mon papa n’arrêtait pas de me dire ?

— Non, mais j’ai comme l’impression qu’on va pas tarder à l’apprendre, dit Eddie.

Susannah lui décocha un coup d’œil noir, avant de reconcentrer toute son attention sur Jake.

— Ne siffle jamais le vent sauf si tu veux qu’il souffle, énonça-t-elle. Et c’est un bon conseil. Malgré ce qu’en pense Super Benêt ici présent.

— Hou, la baffe, fit Eddie avec un grand sourire.

— Affe ! dit Ote, zieutant Eddie d’un air mauvais.

— Expliquez-moi tout ça, dit Roland de sa voix la plus suave. Je suis tout ouïe. Je voudrais partager votre khef. Et tout de suite.

2

Alors ils lui narrèrent l’histoire que connaissent par cœur tous les petits Américains du XXe siècle ou presque : celle d’une petite fermière du nom de Dorothy Gale qu’un cyclone emporte en compagnie de son chien Toto jusqu’au Pays d’Oz. Il n’y a pas d’Interstate 70 à Oz, mais une route de brique jaune ayant à peu de chose près la même fonction ; on y trouve aussi des sorcières, des bonnes et des méchantes. Il y a de même un ka-tet formé de Dorothy, Toto et des trois amis qu’elle se fait en cours de route : le Lion Peureux, le Bûcheron en Fer-Blanc et l’Épouvantail. Et chacun d’eux a

(oiseau et ours, lièvre et poisson)

un vœu très cher au fond de son cœur. Mais c’est à celui de Dorothy que les nouveaux amis de Roland (et Roland aussi, sur ce point) s’identifiaient le plus fortement ; Dorothy, qui ne désire qu’une seule chose : retrouver le chemin qui la ramènera chez elle.

— Les Munchkins lui disent qu’elle n’a qu’à suivre la route de brique jaune jusqu’à Oz, explique Jake. Alors elle y va. En chemin, elle rencontre les autres, un peu comme tu nous as rencontrés, nous, Roland…

— Bien que tu ressembles pas des masses à Judy Garland, précisa Eddie, ajoutant son grain de sel.

— … et bientôt, ils trouvent Oz. Le Palais d’Émeraude et le type qui habite dedans.

Il se tourna en direction du palais de verre qui se dressait devant eux et verdissait à vue d’œil sous le soleil de plus en plus fort. Puis il reporta son regard vers Roland.

— Oui, je comprends. Et ce bonhomme, Oz, c’est un puissant dinh ? Un Baron ? Un Roi, peut-être ?

À nouveau, les trois échangèrent un coup d’œil dont Roland était exclu.

— C’est plus compliqué, dit Jake. C’est une espèce de bidonneur…

— Un bi d’honneur ? Qu’est-ce que c’est ?

— Un bidonneur, fit Jake, hilare, en épelant. Un truqueur. Tout en parole, rien en action. Mais peut-être que le plus important, c’est que le Magicien vient en fait de…

— Le Magicien ? demanda Roland d’un ton brusque.

Sa main droite amoindrie agrippa Jake par l’épaule.

— Pourquoi tu l’appelles comme ça ?

— Parce que c’est son titre, mon chou, intervint Susannah. Le Magicien d’Oz.

Elle ôta gentiment mais fermement la main de Roland de l’épaule de Jake.

— Laisse-le dire, maintenant. Pas besoin de lui triturer l’épaule pour ça.

— Je t’ai fait mal, Jake ? J’implore ton pardon.

— Nân, ça va, fit Jake. T’inquiète. Bref, Dorothy et ses amis ont tout un tas d’aventures avant de s’apercevoir que le Magicien est, tu sais bien, un bi d’honneur.

Jake pouffa à nouveau, se tournicotant une mèche de cheveux comme un gosse de cinq ans.

— Il ne peut pas donner du courage au Lion ni de la cervelle à l’Epouvantail ni un cœur au Bûcheron de Fer-Blanc. Et pire que tout, il ne peut pas faire retourner Dorothy au Kansas. Le Magicien a bien un ballon, mais il s’en va sans elle. Je crois pas qu’il voulait faire ça, n’empêche que c’est ce qui se passe.

— En t’écoutant raconter cette histoire, dit Roland parlant très lentement, il me semble que Dorothy et ses amis possèdent depuis le début ce qu’ils désirent avoir.

— C’est la morale de la fable, dit Eddie. C’est ce qui en fait peut-être une histoire aussi super. Mais Dorothy est coincée à Oz, tu vois. Alors Glinda apparaît. Glinda la Bonne Sorcière. Et pour la récompenser d’avoir écrabouillé l’une des méchantes sorcières sous sa maison et avoir fait fondre l’autre, Glinda apprend à Dorothy comment se servir des souliers de rubis dont elle lui a fait cadeau.

Eddie brandit les boots rouges à talons cubains déposés à son intention sur la ligne blanche discontinue de l’Inter-state 70.

— Glinda dit à Dorothy qu’il lui suffit de claquer trois fois des talons. Que cela la ramènera au Kansas. Et c’est ce qui se passe.

— Et c’est la fin de l’histoire ?

— Ben, fit Jake, elle a eu tellement de succès que le type qui l’a écrite a repris la plume et couché sur le papier je ne sais combien d’autres aventures au Pays d’Oz…

— Ouais, confirma Eddie. Tout et n’importe quoi, sauf Les Cours d’Aérobic de Glinda.

— Y a même eu un remake du film, complètement dingue, où ne jouaient que des Blacks, The Wiz…

— Sans blague ? s’exclama Susannah avec stupéfaction. Quelle drôle d’idée !