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Il y eut un très long silence tandis que Blaine réfléchissait à ce que venait de dire le Pistolero. Puis :

— CE QUE TU DIS EST VRAI, ROLAND DE GILEAD, MAIS LA QUALITÉ DE VOS DEVINETTES RESTE ENCORE À DÉMONTRER. JE NE VEUX PAS VOUS RÉCOMPENSER EN VOUS LAISSANT LA VIE SAUVE CONTRE DE MAUVAISES DEVINETTES.

Roland approuva du chef.

— Je te comprends parfaitement, Blaine. Maintenant, écoute-moi et tâche de comprendre à ton tour. J’en ai déjà parlé à mes amis. Du temps de mon enfance, dans la Baronnie de Gilead, sept Fêtes avaient lieu chaque année — celles de l’Hiver, de la Terre Vide, des Semailles, de la Mi-Été, de la Pleine Terre, de la Moisson et du Terme de l’Année. Si les devinettes occupaient une place importante dans chacune d’elles, elles constituaient l’événement majeur des Fêtes de la Terre Vide et de la Terre Pleine, car celles qu’on y posait étaient censées présager en bien ou en mal l’issue des récoltes.

— C’EST DE LA SUPERSTITION SANS FONDEMENTS. JE TROUVE CELA D’UN ENNUI AFFLIGEANT.

— Bien sûr que c’était de la superstition, concéda Roland. Mais la justesse de ces devinettes à prévoir les récoltes te surprendrait peut-être. Par exemple, devine un peu ça, Blaine : entre une grange et une mère-grand, quoi de différent ?

— ELLE EST ARCHI-ÉCULÉE ET PAS TRÈS INTÉRESSANTE, fit Blaine, qui parut heureux toutefois d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent. RIEN DE DIFFÉRENT. TOUTES DEUX ME HANTENT. L’UNE EST PARENTE, L’AUTRE, SOUPENTE. RIEN QU’UNE BANALE COÏNCIDENCE PHONÉTIQUE. DU MÊME ACABIT, ON TROUVE CELLE QU’ON RACONTE AU NIVEAU DE LA BARONNIE DE NEW YORK : QUELLE DIFFÉRENCE IL Y A ENTRE UN GÉNÉRAL ET UNE HORLOGE ?

Jake prit la parole.

— Je la connais. L’horloge a son tic-tac et le général sa tactique.

— OUI. UNE CONTREPÈTERIE DES PLUS STUPIDES.

— Pour une fois, je suis d’accord avec toi, Blaine, mon pote, dit Eddie.

— JE NE SUIS PAS TON POTE, EDDIE DE NEW YORK.

— Bon Dieu, va te faire foutre au plus haut des cieux.

— IL N’Y A PAS DE CIEUX.

Eddie resta sec.

— J’AIMERAIS QUE TU M’EN DISES DAVANTAGE SUR LES CONCOURS DE DEVINETTES DES FÊTES DE GILEAD, ROLAND, FILS DE STEVEN.

— À midi, lors des Fêtes de la Terre Vide et de la Pleine Terre, entre seize et trente joueurs se réunissaient dans le Hall aux Aïeux, qu’on ouvrait pour l’occasion. C’étaient les seules fois de l’année où le menu peuple — boutiquiers, fermiers, rancheros et autres — était admis dans le Hall aux Aïeux et, ces jours-là, il y avait foule.

Le regard du Pistolero s’était fait lointain et rêveur. Jake lui avait vu la même expression, dans cette autre existence auréolée de brume, quand il lui avait raconté comment, avec ses amis, Cuthbert et Jamie, ils s’étaient faufilés sur le balcon de ce même hall pour assister à un bal. Jake et Roland gravissaient alors les montagnes, talonnant Walter, l’homme en noir, quand Roland lui avait fait ce récit.

Marten était placé à côté de ma mère et de mon père, avait dit Roland. Je les reconnaissais, même de si haut — et à un moment, il a dansé avec elle, lentement, en tourbillonnant, et les autres leur ont cédé la place sur la piste et ont applaudi quand ils ont eu fini. Les pistoleros n’ont pas applaudi, eux.

Jake observa Roland avec curiosité, se demandant une fois encore d’où venait cet homme étrange… et pourquoi.

— On plaçait un grand tonneau au centre, poursuivit Roland, et chaque joueur y jetait une poignée de rouleaux d’écorce sur lesquels figuraient des devinettes. Plusieurs étaient anciennes, ils les tenaient de leurs aînés — ou bien les avaient glanées dans des livres —, mais les plus nombreuses étaient nouvelles, inventées pour l’occasion. Trois juges, dont l’un était toujours un pistolero, rendaient leur verdict quand on les énonçait à haute voix. Et elles n’étaient acceptées que s’ils les jugeaient bonnes.

— OUI, IL FAUT QU’UNE DEVINETTE SOIT BONNE.

— C’est ainsi qu’ils jouaient aux devinettes, dit le Pistolero.

Un léger sourire fleurit sur ses lèvres au souvenir de ces jours d’autrefois. Quand il avait le même âge que le garçon meurtri et couvert de bleus assis en face de lui, le bafouilleux sur ses genoux.

— Ils jouaient des heures d’affilée. On formait un rang au centre du Hall aux Aïeux. La position de chacun y était déterminée par tirage au sort et, comme il valait mieux se trouver en queue qu’en tête, chacun espérait tirer un nombre élevé, même si le gagnant devait répondre correctement au moins à une devinette.

— ÇA VA DE SOI.

— À tour de rôle, hommes et femmes — en effet, certains des meilleurs joueurs de Gilead étaient du sexe féminin — s’approchaient du tonneau, tiraient une devinette. Si la devinette n’était toujours pas trouvée au bout de trois minutes écoulées dans un sablier, le joueur devait sortir du rang.

— ET ON POSAIT LA MÊME DEVINETTE AU SUIVANT ?

— Oui.

— ALORS IL AVAIT DAVANTAGE DE TEMPS POUR RÉFLÉCHIR.

— Oui.

— JE VOIS. ÇA M’A L’AIR ÉPATANT.

Roland tiqua.

— Épatant ?

— Il veut dire amusant, expliqua posément Susannah.

Roland haussa les épaules.

— Pour les spectateurs, peut-être, mais les participants prenaient la chose très au sérieux. Très souvent tout se terminait par des disputes, voire un pugilat, après la remise du prix.

— ET C’ÉTAIT QUOI LE PRIX, ROLAND, FILS DE STEVEN ?

— L’oie la plus grasse de la Baronnie. Et chaque année, Cort, mon instructeur, l’emportait chez lui.

— ÇA DEVAIT ÊTRE UN FAMEUX JOUEUR, dit Blaine avec respect. J’AIMERAIS BIEN QU’IL SOIT ICI.

Et moi donc, songea Roland.

— Es-tu prêt à entendre ma proposition, Blaine ?

— JE L’ÉCOUTERAI AVEC LE PLUS GRAND INTÉRÊT, ROLAND DE GILEAD.

— Que les prochaines heures soient notre Jour de Fête. Puisque tu veux apprendre de nouvelles devinettes, tu ne nous poseras donc aucune des millions de celles que tu connais déjà…

— CORRECT JUSQUE-LÀ.

— Nous ne saurions pas en résoudre les trois quarts, de toute façon. Je suis sûr que tu en connais certaines qui auraient fait sécher Cort en personne s’il les avait tirées du tonneau.

Roland n’en aurait pas donné sa tête à couper. Mais l’heure de jeter l’éponge et de fumer le calumet de la paix avait sonné.

— ÇA VA DE SOI.

— Au lieu d’une oie, c’est nos vies qui seront le prix, proposa Roland. Nous te poserons des devinettes tout en roulant, Blaine. Si, à notre arrivée à Topeka, tu les as toutes résolues, tu pourras mettre à exécution ton plan initial et nous tuer. Voilà quelle sera ton oie. Mais si jamais nous te collons — si jamais une devinette tirée du livre de Jake ou de notre imagination te laisse sans réponse —, tu devras nous emmener à Topeka, puis nous libérer afin que nous puissions poursuivre notre quête. Voilà quelle sera notre oie.

Silence.

— Tu as compris ?

— OUI.

— Tu es d’accord ?

Silence encore plus grand de Blaine le Mono. Eddie, raide sur son siège, un bras passé autour de Susannah, contemplait le plafond du Compartiment de la Baronnie. La jeune femme, la main gauche posée sur son ventre, caressait le doux secret qui s’y nichait peut-être. Jake effleurait à peine le poil d’Ote, évitant les touffes poissées de sang, là où le bafouilleux avait été lardé de coups de poignard. Ils attendirent que Blaine — le véritable Blaine, à présent loin derrière eux, vivant d’un semblant de vie sous une cité dont tous les habitants gisaient, morts de sa propre main — réfléchisse à la proposition de Roland.