Выбрать главу

— Elle est toujours aussi solide ?

— Elle ne change pas. Sa vue, seulement, faiblit un peu. Cela la désole de ne plus pouvoir enfiler ses aiguilles, mais elle s’obstine à ne pas porter de lunettes.

On sentait qu’il pensait à autre chose en regardant Maigret un peu de la même façon que Vernoux de Courçon le regardait dans le train.

— Tu es au courant ?

— De quoi ?

— De ce qui se passe ici.

— Il y a presque une semaine que je n’ai pas lu les journaux. Mais j’ai voyagé tout à l’heure avec un certain Vernoux de Courçon qui se prétend ton ami.

— Hubert ?

— Je ne sais pas. Un homme dans les soixante-cinq ans.

— C’est Hubert.

Aucun bruit ne venait de la ville. On entendait seulement la pluie qui battait les vitres et, de temps en temps, le craquement des bûches dans l’âtre. Le père de Julien Chabot était déjà juge d’instruction à Fontenay-le-Comte et le bureau n’avait pas changé quand son fils s’y était assis à son tour.

— Dans ce cas, on a dû te raconter…

— Presque rien. Un journaliste s’est précipité sur moi avec son appareil photographique dans la salle à manger de l’hôtel.

— Un roux ?

— Oui.

— C’est Lomel. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Il était persuadé que j’étais ici pour m’occuper de je ne sais quelle affaire. Je n’avais pas eu le temps de l’en dissuader que le commissaire de police arrivait à son tour.

— En somme, à l’heure qu’il est, toute la ville sait que tu es ici ?

— Cela t’ennuie ?

Chabot parvint juste à cacher son hésitation.

— Non… seulement…

— Seulement quoi ?

— Rien. C’est fort compliqué. Tu n’as jamais vécu dans une ville sous-préfecture comme Fontenay.

— J’ai habité Luçon plus d’un an, tu sais !

— Il n’y a pas eu d’affaire dans le genre de celle que j’ai sur les bras.

— Je me souviens d’un certain assassinat, à l’Aiguillon…

— C’est vrai. J’oubliais.

Il s’agissait d’une affaire, justement, au cours de laquelle Maigret s’était vu obligé d’arrêter comme assassin un ancien magistrat que tout le monde considérait comme tout à fait respectable.

— Ce n’est quand même pas aussi grave. Tu verras cela demain matin. Je serais surpris si les journalistes de Paris ne nous arrivaient pas par le premier train.

— Un meurtre ?

— Deux.

— Le beau-frère de Vernoux de Courçon ?

— Tu vois que tu es au courant !

— C’est tout ce qu’on m’a dit.

— Son beau-frère, oui, Robert de Courçon, qui a été assassiné voilà quatre jours. Rien que cela aurait suffi à faire du bruit. Avant-hier, c’était le tour de la veuve Gibon.

— Qui est-ce ?

— Personne d’important. Au contraire. Une vieille femme qui vivait seule tout au bout de la rue des Loges.

— Quel rapport entre les deux crimes ?

— Tous les deux ont été commis de la même manière, sans doute avec la même arme.

— Revolver ?

— Non. Un objet contondant, comme nous disons dans les rapports. Un morceau de tuyau de plomb, ou un outil dans le genre d’une clef anglaise.

— C’est tout ?

— Ce n’est pas assez ?… Chut !

La porte s’ouvrait sans bruit et une femme toute petite, toute maigre, vêtue de noir, s’avançait la main tendue.

— C’est vous, Jules !

Depuis combien d’années personne ne l’appelait-il plus ainsi ?

— Mon fils est allé à la gare. En rentrant, il m’a affirmé que vous ne viendriez plus et je suis montée. On ne vous a pas servi à dîner ?

— Il a dîné à l’hôtel, maman.

— Comment, à l’hôtel ?

— Il est descendu à l’Hôtel de France. Il refuse de…

— Jamais de la vie ! Je ne vous permettrai pas de…

— Écoutez, madame. Il est d’autant plus souhaitable que je reste à l’hôtel que les journalistes sont déjà après moi. Si j’acceptais votre invitation, demain matin, sinon ce soir, ils seraient pendus à votre sonnette. Mieux vaut, d’ailleurs, qu’on ne prétende pas que je suis ici sur la demande de votre fils…

C’était ça, au fond, qui chiffonnait le juge, et Maigret en voyait la confirmation sur son visage.

— On le dira quand même !

— Je le nierai. Cette affaire, ou plutôt ces affaires, ne me regardent pas. Je n’ai nullement l’intention de m’en occuper.

Chabot avait-il craint qu’il se mêle de ce qui ne le regardait pas ? Ou bien s’était-il dit que Maigret, avec ses méthodes parfois quelque peu personnelles, pourrait le mettre dans une situation délicate ?

Le commissaire tombait à un mauvais moment.

— Je me demande, maman, si Maigret n’a pas raison.

Et, tourné vers son ancien ami :

— Vois-tu, il ne s’agit pas d’une enquête comme une autre. Robert de Courçon, qui a été assassiné, était un homme connu, plus ou moins apparenté à toutes les grandes familles de la région. Son beau-frère Vernoux est un personnage en vue, lui aussi. Après le premier crime, des bruits ont commencé à courir. Puis la veuve Gibon a été assassinée, et cela a changé quelque peu le cours des racontars. Mais…

— Mais… ?

— C’est difficile à t’expliquer. Le commissaire de police s’occupe de l’enquête. C’est un brave homme, qui connaît la ville, encore qu’il soit du Midi, d’Arles, je crois. La brigade mobile de Poitiers est sur les lieux aussi. Enfin, de mon côté…

La vieille dame s’était assise, comme en visite, sur le bord d’une chaise, et écoutait parler son fils comme elle eût écouté le sermon à la grand-messe.

— Deux assassinats en trois jours, c’est beaucoup, dans une ville de huit mille habitants. Il y a des gens qui prennent peur. Ce n’est pas seulement à cause de la pluie que, ce soir, on ne rencontre personne dans les rues.

— Que pense la population ?

— Certains prétendent qu’il s’agit d’un fou.

— Il n’y a pas eu vol ?

— Dans aucun des deux cas. Et, dans les deux cas, l’assassin a pu se faire ouvrir la porte sans que ses victimes se méfient. C’est une indication. C’est même à peu près la seule que nous possédions.

— Pas d’empreintes ?

— Aucune. S’il s’agit d’un fou, il commettra sans doute d’autres meurtres.

— Je vois. Et toi, qu’est-ce que tu penses ?