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— Jussieu l’a vue de près ?

— D’assez près, à travers la vitrine du charcutier.

— Quel air a-t-elle ?

— On dirait qu’elle a pleuré. Ses pommettes étaient rouges, ses yeux brillants...

— Elle ne paraissait pas inquiète ?

— Jussieu prétend que non.

— Et depuis ?

— Je suppose qu’ils ont mangé. J’ai revu la silhouette de Ginette Meurant dans la pièce qui semble être la chambre à coucher...

— C’est tout ?

— Oui. Nous restons ici tous les deux ?

— C’est plus prudent. J’aimerais que, tout à l’heure, l’un de vous monte la garde à l’intérieur de l’immeuble. Les locataires doivent se coucher de bonne heure. Que Jussieu, par exemple, s’installe sur le palier, dès que les allées et venues auront cessé. Il peut avertir la concierge en la priant de se taire.

— Bien, patron.

— Rappelle-moi quand même d’ici deux heures.

— Si le bistrot est encore ouvert.

— Sinon, il est possible que je passe par là.

Il n’y avait pas d’arme dans l’appartement, soit, mais l’assassin de Léontine Faverges ne s’était-il pas servi d’un couteau, qu’on n’avait d’ailleurs pas retrouvé ? Un couteau très aiguisé, affirmaient les experts, qui pensaient que c’était probablement un couteau de boucher.

On avait questionné tous les couteliers, tous les quincailliers de Paris et, bien entendu, cela n’avait rien donné.

En définitive, on se savait rien, sinon qu’une femme et qu’une petite fille étaient mortes, qu’un certain complet bleu qui portait des taches de sang appartenait à Gaston Meurant et que la femme de celui-ci, à l’époque du crime, retrouvait plusieurs fois par semaine un amant dans un meublé de la rue Victor-Massé.

C’était tout. Faute de preuves, les jurés venaient d’acquitter l’encadreur.

S’ils ne pouvaient pas affirmer qu’il était coupable, ils ne pouvaient pas non plus affirmer son innocence.

Pendant l’incarcération de son mari, Ginette Meurant avait mené une existence exemplaire, sortant à peine de chez elle, ne rencontrant aucun individu suspect.

Il n’y avait pas le téléphone dans son logement. On avait surveillé son courrier sans résultat.

— Tu comptes vraiment aller là-bas cette nuit ?

— Juste faire un tour avant de me coucher.

— Tu crains quelque chose ?

Que pouvait-il répondre ? Qu’ils étaient deux, si peu faits pour vivre ensemble, dans le curieux appartement où l’Histoire du Consulat et de l’Empire voisinait, sur les rayons du cosy corner, avec des poupées de soie et avec des confidences de vedettes.

CHAPITRE V

Vers onze heures et demie, Maigret était descendu un moment du taxi boulevard de Charonne. Un Jussieu au visage inexpressif de ceux qui font une planque de nuit était sorti sans bruit de l’ombre, avait désigné, au-dessus d’eux, une fenêtre éclairée du troisième étage. C’était une des rares lumières dans le quartier, un quartier où les gens vont au travail de bonne heure.

Si la pluie tombait toujours, les gouttes s’étaient espacées et on commençait à voir une lueur argentée entre les nuages.

— Cette fenêtre-là, c’est la salle à manger, avait expliqué l’inspecteur, qui répandait une forte odeur de cigarette. Dans la chambre, il y a une demi-heure que la lampe s’est éteinte.

Maigret attendit quelques minutes, espérant surprendre de la vie derrière le rideau. Comme rien ne bougeait, il rentra se coucher.

Par les rapports et les coups de téléphone, il allait reconstituer, le lendemain, puis suivre heure par heure l’activité des Meurant.

À six heures du matin, alors que la concierge rentrait les poubelles, deux autres inspecteurs allèrent prendre la relève, sans toutefois pénétrer dans la maison car, de jour, il n’était plus possible que l’un d’eux se tienne dans l’escalier.

Le rapport de Vacher, qui y avait passé la nuit, tantôt assis sur une marche, tantôt debout contre la porte, dès que quelque chose bougeait dans le logement, était quelque peu déroutant.

D’assez bonne heure, après un repas au cour duquel le couple n’avait presque pas parlé, Ginette Meurant était passée dans la chambre à coucher pour se déshabiller ; Jussieu, qui l’avait vue, de l’extérieur, en ombre chinoise, passer sa robe par-dessus sa tête, le confirmait.

Son mari ne l’avait pas suivie. Elle était venue lui dire quelques mots, s’était apparemment couchée cependant qu’il restait assis dans un fauteuil de la salle à manger.

Par la suite, à plusieurs reprises, il s’était levé, avait marché de long en large, s’arrêtant parfois, repartant, se rasseyant.

Vers minuit, sa femme était venue lui parler à nouveau. Du palier, Vacher ne pouvait pas distinguer les mots, mais il reconnaissait les deux voix. Le ton n’était pas celui d’une dispute. C’était une sorte de monologue de la jeune femme, avec, de temps en temps, une très courte phrase, voire un seul mot du mari.

Elle s’était recouchée, toujours seule, semblait-il. La lumière ne s’était pas éteinte dans la salle à manger et, vers deux heures et demie, Ginette était revenue à la charge une fois encore.

Meurant ne dormait pas, car il avait répondu tout de suite, laconiquement. Vacher pensait qu’elle avait pleuré. Il avait entendu, en effet une complainte monotone ponctuée par des reniflements caractéristiques.

Toujours sans colère, le mari la renvoyait dans son lit et sans doute s’assoupissait-il enfin dans son fauteuil.

Plus tard, un bébé s’était éveillé à l’étage au-dessus ; il y avait eu des pas assourdis puis, dès cinq heures, les locataires avaient commencé à se lever, les lampes à s’allumer, l’odeur du café avait envahi la cage d’escalier. À cinq heures et demie, déjà, un homme partait pour son travail et regardait curieusement l’inspecteur qui n’avait aucun moyen de se cacher, puis regardait la porte et paraissait comprendre.

C’étaient Dupeu et Baron qui prenaient la relève, dehors, à six heures. Il ne pleuvait plus. Les arbres s’égouttaient. Le brouillard empêchait de voir à plus de vingt mètres.

La lampe de la salle à manger restait allumée, celle de la chambre éteinte. Meurant ne tardait pas à sortir de la maison, non rasé, les vêtements fripés comme quelqu’un qui a passé la nuit tout habillé, et il s’était dirigé vers le bar-tabac du coin où il avait bu trois tasses de café noir et mangé des croissants. Au moment de tourner le bec-de-cane de la porte pour sortir, il s’était ravisé et, se dirigeant à nouveau vers le zinc, il avait commandé un cognac qu’il avait avalé d’un trait.

L’enquête, au printemps, indiquait que ce n’était pas un buveur, qu’il ne prenait guère qu’un peu de vin aux repas et, l’été, de temps en temps un verre de bière.

Il se dirigeait, à pied, vers la rue de la Roquette, ne se retournait pas pour savoir s’il était suivi. Arrivé devant son magasin, il s’arrêtait un moment devant les volets fermés, n’entrait pas, pénétrait dans la cour, et ouvrait avec sa clé la porte de l’atelier vitré.

Il y restait assez longtemps debout, à ne rien faire, regardant autour de lui l’établi, les outils accrochés au mur, les cadres qui pendaient, les planches et les copeaux. De l’eau s’était infiltrée sous la porte et formait une petite mare sur le sol de ciment.

Meurant avait ouvert le poêle, y avait mis du petit bois, un reste de boulets, puis, au moment de frotter une allumette il s’était ravisé, était sorti et avait refermé la porte derrière lui.

Il avait marché assez longtemps, comme sans but défini. Place de la République, il était encore entré dans un bar où il avait bu un second cognac tandis que le garçon le regardait avec l’air de se demander où il avait vu son visage.

S’en rendait-il compte ? Deux ou trois passants aussi s’étaient retournés sur lui car, le matin même, sa photographie paraissait encore dans les journaux sous un gros titre :