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— Courage, vieux.

Meurant détournait la tête, marchait vers la porte, pas très sûr de ses pas. Ee commissaire lui posait un instant la main sui l’épaule, sans insister.

— Venez me voir quand vous voudrez.

Meurant sortait enfin sans montrer son visage, sans dire merci, et la porte se refermait.

Baron, sur le quai, attendait de reprendre sa filature.

CHAPITRE VI

À midi, alors qu’il se préparait à rentrer déjeuner chez lui, Maigret reçut les premières nouvelles de Ginette Meurant.

C’était Dupeu qui téléphonait d’un bar de la rue Delambre, dans le quartier Montparnasse, près de la rue de la Gaîté. Dupeu était un excellent inspecteur qui n’avait qu’un défaut : il débitait ses rapports d’une voix monotone, avec l’air de ne devoir jamais finir, accumulant tant de détails qu’on finissait par l’écouter d’une oreille distraite.

— Passez !... Passez !... avait-on toujours envie de lui dire.

Si on avait le malheur de le faire, il prenait un air si triste qu’on se repentait aussitôt.

— Je suis dans un bar appelé le Pickwick, patron, à cent mètres du boulevard Montparnasse, et il y a douze minutes qu’elle est descendue en face, à l’Hôtel de Concarneau. C’est un hôtel convenable qui annonce l’eau courante chaude et froide et le téléphone dans toutes les chambres, une salle de bains à chaque étage. Elle occupe la chambre 32 et ne paraît pas disposée à partir de sitôt car elle a discuté des prix et loué à la semaine. À moins que ce soit une ruse.

— Elle sait qu’elle a été suivie ?

— J’en ai la conviction. Dans le taxi, elle s’est retournée plusieurs fois. Au moment de quitter le boulevard de Charonne, elle a montré au chauffeur une carte de visite qu’elle a tirée de son sac à main. Lorsque nous sommes arrivés l’un derrière l’autre boulevard Saint-Michel, elle s’est penchée vers le chauffeur. Je la voyais nettement à travers la vitre arrière. Il a tout à coup obliqué à droite, dans le boulevard Saint-Germain, puis, pendant près de dix minutes, il a tourné en rond dans les petites rues de Saint-Germain-des-Prés.

« Je suppose qu’elle espérait me semer. Quand elle a compris que ce n’était pas possible, elle a donné de nouvelles instructions et son taxi n’a pas tardé à s’arrêter devant un immeuble de la rue Monsieur-le-Prince. »

Maigret écoutait patiemment, sans interrompre.

— Elle a gardé la voiture et est entrée. Je suis entré un peu après elle et j’ai questionné la concierge. La personne que Ginette Meurant est allée voir n’est autre que Me Lamblin, qui habite le premier étage. Elle est restée dans la maison une vingtaine de minutes. Lorsqu’elle est sortie, il m’a semblé qu’elle n’était pas très satisfaite et elle a tout de suite donné au chauffeur l’ordre de la conduire ici. Je suppose que je continue la planque ?

— Jusqu’à ce que quelqu’un vienne te relayer.

Janvier, lui, était sans doute encore boulevard de Charonne, à surveiller le mari en compagnie de Baron.

Était-ce seulement pour lui demander conseil que Ginette Meurant s’était rendue chez l’avocat ? Maigret en doutait. Avant de quitter la P. J., il donnait des instructions à Lucas, puis se dirigeait vers la station d’autobus.

Sept mois plus tôt, le 27 février, les Meurant n’avaient guère d’argent, puisqu’ils n’étaient pas en mesure de payer la traite qui serait présentée le lendemain. En outre, ils avaient des notes en souffrance chez les fournisseurs du quartier, ce qui était, il est vrai, leur habitude.

Lorsque le juge d’instruction, quelques jours plus tard, avait demandé à Meurant de choisir un avocat, l’encadreur avait objecté qu’il n’avait pas de quoi le payer et Pierre Duché avait été désigné d’office.

De quoi avait vécu, depuis, Ginette Meurant ? À la connaissance de la police, qui avait surveillé son courrier, elle n’avait pas reçu de mandats. Elle ne semblait pas non plus avoir encaissé de chèques. Si elle n’avait pas fait beaucoup de frais, si elle avait mené, dans son appartement, une vie retirée, elle n’en avait pas moins mangé et, avant le procès, elle s’était acheté la jupe et le manteau noir qu’elle portait aux Assises.

Fallait-il croire qu’elle avait mis personnellement de l’argent de côté, à l’insu de son mari, trichant, comme un certain nombre de femmes, sur les dépenses du ménage ?

Lamblin, au Palais, s’était accroché à elle. L’avocat avait assez de flair pour prévoir que l’affaire aurait des rebondissements spectaculaires et que si, alors, il représentait la jeune femme, cela lui vaudrait une grosse publicité.

Maigret se trompait peut-être ; il était persuadé que Ginette Meurant était allée rue Monsieur-le-Prince pour se procurer des fonds plutôt que pour demander un avis.

La réputation de Lamblin étant ce qu’elle était, il avait dû lui donner de l’argent, mais au compte-gouttes. Sans doute aussi lui avait-il conseillé de ne pas quitter Paris et de s’y tenir tranquille jusqu’à nouvel ordre.

Le quartier Montparnasse n’avait pas été choisi au hasard. Ni Meurant ni Ginette n’y avaient vécu, ne l’avaient fréquenté, et il y avait peu de chances que Meurant aille chercher sa femme de ce côté.

Le commissaire retrouvait la quiète atmosphère de son appartement, déjeunait en tête à tête avec Mme Maigret et quand il rentrait au Quai, à deux heures, un message téléphonique de Janvier lui apprenait que Meurant n’avait pas quitté son domicile, où tout était calme.

Il dut aller conférer avec le directeur au sujet d’une affaire désagréable qui touchait à la politique et il était quatre heures quand Janvier l’appela à nouveau.

— Cela bouge, patron. J’ignore ce qui va se passer, mais il y aura sûrement du nouveau. Il est sorti de chez lui à deux heures quarante-cinq, porteur de paquets volumineux. Bien que cela parût lourd, il n’a pas appelé de taxi. Il est vrai qu’il n’allait pas loin. Il est entré un peu plus tard chez un brocanteur, boulevard de Ménilmontant, et y est resté longtemps à discuter avec le marchand.

— Il t’a vu ?

— Probablement. Il était difficile de me cacher, car le quartier était à peu près désert. Il a vendu sa montre, le phonographe, les disques, une pile de livres. Puis il est rentré chez lui, en est ressorti, cette fois, avec un énorme ballot dont l’emballage était constitué par un drap de lit.

« Il est retourné dans la même boutique, où il a revendu des vêtements, du linge, des couverts et des chandeliers de cuivre.

« Maintenant, il est chez lui. Je ne pense pas que ce soit pour longtemps.

En effet, Janvier rappelait cinquante minutes plus tard.

— Il est sorti une fois de plus pour se rendre faubourg Saint-Antoine, chez un encadreur. Après une assez longue conversation, celui-ci a emmené Meurant dans sa camionnette, qui s’est arrêtée rue de la Roquette, en face de la boutique que vous connaissez.

Ils ont examiné les cadres un à un. L’homme du faubourg Saint-Antoine en a chargé un certain nombre dans sa camionnette et a remis des billets de banque à Meurant.

« J’ai oublié de vous dire qu’à présent il est rasé. J’ignore ce qu’il fait dans son atelier, mais j’ai la voiture à deux pas pour le cas... »

À six heures, Maigret recevait le dernier coup de téléphone de Janvier, qui appelait de la gare de Lyon.

— Il va partir dans douze minutes, patron. Il a pris un billet de seconde classe pour Toulon. Il n’a qu’une petite mallette à la main. Pour le moment, il boit un cognac au bar ; je le vois par la vitre de la cabine.

— Il te regarde ?

— Oui.

— Quel air a-t-il ?

— L’air d’un homme qui ne s’intéresse à rien d’autre qu’à l’idée qu’il a dans la tête.

— Assure-toi qu’il prend bien ce train-là et reviens.