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Le train ne s’arrêtait qu’à Dijon, Lyon, Avignon et Marseille. Maigret eut au bout du fil le commissaire de gare de chacune de ces villes, fournit le signalement de l’encadreur, signala dans quel wagon il était installé. Puis il appela la brigade mobile de Toulon.

Le commissaire qui la dirigeait et qui s’appelait Blanc était à peu près de l’âge de Maigret. Ils se connaissaient bien tous les deux car, avant d’entrer à la Sûreté, Blanc était passé par le quai des Orfèvres.

— Ici, Maigret. Dites donc, mon vieux, j’espère que vous n’êtes pas trop occupé ? Je m’arrangerai pour que le parquet vous envoie demain une commission rogatoire, mais il vaut mieux que je vous mette au courant dès maintenant. À quelle heure le train qui a quitté Paris à six heures dix-sept arrive-t-il à Toulon ?

— Huit heures trente-deux.

— Bon. Dans la voiture 10, à moins qu’il ait changé de place en cours de route, vous trouverez un certain Meurant.

— J’ai lu les journaux.

— Je voudrais qu’il soit pris en filature dès son débarquement.  ,

— C’est facile. Il connaît la ville ?

— Je ne pense pas qu’il soit jamais allé dans le Midi, mais je me trompe peut-être. Meurant a un frère, Alfred.

— Je le connais. J’ai eu plusieurs fois à m’occuper de lui.

— Il est à Toulon en ce moment ?

— Je pourrai vous le dire dans une heure ou deux. Vous voulez que je vous rappelle ?

— Chez moi.

Il donna son numéro du boulevard Richard-Lenoir.

— Qu’est-ce que vous savez des activités d’Alfred Meurant ces derniers temps ?

— Il habite le plus souvent une pension qui s’appelle les Eucalyptus, en dehors de la ville, assez loin même, sur la colline, entre le Faron et La Vallette.

— Quel genre de pension ?

— Le genre que nous avons à l’œil. Il y en a un certain nombre sur la côte, entre Marseille et Menton. Le tenancier est un nommé Lisca, dit Freddo, qui a été longtemps barman à Montmartre, rue de Douai. Freddo a épousé une belle garce, ancienne danseuse de strip-tease, et ils ont racheté les Eucalyptus.

« C’est Freddo qui fait la cuisine et on prétend qu’il s’y entend à merveille. La maison est à l’écart de la route, au bout d’un chemin qui ne conduit nulle part. L’été, on mange dehors, sous les arbres.

« Des gens très bien de Toulon, des médecins, des fonctionnaires, des magistrats, vont y manger de temps en temps.

« La vraie clientèle, toutefois, ce sont les mauvais garçons qui vivent sur la Côte et qui montent périodiquement à Paris.

« Des filles aussi, qui viennent se mettre au vert.

« Vous voyez le genre ?

— Je vois.

— Deux des clients assidus, presque des pensionnaires à l’année, sont Falconi et Scapucci.

Deux hommes qui avaient un casier judiciaire chargé et qu’on rencontrait périodiquement du côté de Pigalle.

— Ce sont de grands amis d’Alfred Meurant. Ouvertement, tous les trois s’occupent de placer des machines à sous dans les bars de la région. Ils se chargent aussi de fournir des barmaids peu farouches, qu’ils font venir d’un peu partout.

« Ils ont plusieurs voitures à leur disposition et en changent souvent. Depuis un certain temps, je les soupçonne d’écouler en Italie des autos volées et maquillées à Paris ou dans la banlieue.

« Je n’ai encore rien pu prouver. Mes hommes s’en occupent.

— J’ai tout lieu de croire que Gaston Meurant va tenter d’entrer en contact avec son frère.

— S’il s’adresse au bon endroit, il n’aura pas de peine à le trouver, à moins que le frère ait passé la consigne.

— Au cas où mon Meurant achèterait une arme ou essayerait de s’en procurer, j’aimerais être averti immédiatement.

— Compris, Maigret. On fera de son mieux. Quel temps avez-vous, là-haut ?

— Gris et froid.

— Ici, un beau soleil. À propos, j’allais oublier quelqu’un. Parmi les clients de Freddo, il y a en ce moment le nommé Kubik.

Maigret l’avait arrêté douze ans plus tôt à la suite d’un cambriolage de bijouterie, boulevard Saint-Martin.

— Il y a toutes les chances pour qu’il soit un des auteurs du vol de bijoux, le mois dernier, cours Albert-Ier, à Nice.

Ce milieu-là, Maigret le connaissait bien aussi, et il enviait un peu Blanc. Comme ses collègues, il préférait avoir affaire à des professionnels car, avec eux, on savait tout de suite sur quel terrain se déroulait la partie et il existait des règles du jeu.

Qu’est-ce que Gaston Meurant, seul dans un coin de son compartiment, allait faire avec ces gens-là ?

Maigret s’entretenait un bout de temps avec Lucas, qu’il chargeait d’organiser la surveillance rue Delambre, de désigner les inspecteurs qui allaient se relayer.

Ginette Meurant avait passé l’après-midi dans sa chambre d’hôtel, vraisemblablement à dormir. Il y avait bien, comme c’était annoncé à l’extérieur, le téléphone dans les chambres, mais toutes les communications passaient par le standard.

D’après le patron, qui était auvergnat, elle ne s’était pas servie de l’appareil et on était certain que l’hôtel n’avait demandé aucune communication pour le Midi. Un spécialiste n’en était pas moins occupé à brancher la ligne sur la table d’écoute.

Ginette avait tenu bon longtemps. Ou elle était d’une habileté exceptionnelle, ou bien, depuis le crime de la rue Manuel, elle n’avait pas cherché une seule fois à entrer en communication avec l’homme qu’elle avait accompagné pendant des mois, et le 26 février encore, rue Victor-Massé.

On aurait pu croire que, soudain d’un jour à l’autre, cet homme avait cessé d’exister. De son côté, il ne semblait pas avoir essayé d’entrer en contact avec elle.

La police avait envisagé la possibilité de signaux convenus. On avait surveillé les fenêtres du boulevard de Charonne, étudié la position des rideaux, qui aurait pu avoir une signification, les lumières, les allées et venues sur le trottoir d’en face.

L’homme ne s’était pas davantage montré aux Assises, ni aux alentours du Palais de Justice.

C’était si exceptionnel que Maigret en était impressionné.

Maintenant, elle sortait enfin, cherchait, dans ce quartier qu’elle ne connaissait pas, un restaurant bon marché, mangeait seule à une table en lisant un magazine. Puis elle allait en acheter d’autres au coin du boulevard Montparnasse, quelques romans populaires, remontait dans sa chambre où la lampe restait allumée jusque passé minuit.

Gaston Meurant, lui, roulait toujours. À Dijon, puis à Lyon, un inspecteur passait dans les couloirs, s’assurait qu’il était dans son coin et l’information arrivait boulevard Richard-Lenoir où Maigret tendait le bras dans l’obscurité pour décrocher le téléphone.

Une autre journée commençait. Passé Montélimar, Meurant trouvait le climat de la Provence et sans doute ne tardait-il pas, le visage collé à la vitre, à regarder un paysage nouveau pour lui défiler dans le soleil.

Marseille... Maigret se rasait quand il reçut l’appel de la gare Saint-Charles.

Meurant était toujours dans le train qui continuait sa route. Il n’avait pas triché : il se rendait bien à Toulon.

À Paris, le temps restait gris et, dans l’autobus, des visages étaient mornes ou renfrognés. Sur le bureau, une pile de courrier administratif attendait.

Un inspecteur — Maigret ne savait plus lequel — téléphonait du bar de la rue Delambre.

— Elle dort. En tout cas les rideaux sont fermés et elle n’a pas réclamé son petit déjeuner.

Le train arrivait à Toulon. Gaston Meurant, sa mallette à la main, un policier sur les talons, errait sur la place, désorienté, et finissait par entrer à l’Hôtel des Voyageurs, où il choisissait la chambre la moins chère.

Un peu plus tard, on avait la certitude qu’il ne connaissait pas la ville, car il commençait par se perdre dans les rues, atteignait non sans peine le boulevard de Strasbourg où il pénétrait dans une grande brasserie. Il commandait, non un cognac, mais un café, interrogeait longuement le garçon qui paraissait incapable de lui fournir le renseignement demandé.