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À midi, il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait et, comiquement, c’était le commissaire Blanc qui s’impatientait.

— J’ai voulu voir moi-même votre bonhomme, téléphonait-il à Maigret. Je l’ai trouvé dans un bar du quai Cronstadt. Il n’a pas dû beaucoup dormir dans le train. Il a l’air d’un pauvre type épuisé de fatigue qui n’en suit pas moins une idée fixe. Il s’y prend mal. Jusqu’ici, il est entré dans une quinzaine de cafés et de bars. Chaque fois, il commande de l’eau minérale. Il a tellement la mine d’un quémandeur qu’on le regarde de travers. Sa question est toujours la même :

« — Vous connaissez Alfred Meurant ?

« Barmans et garçons se méfient, surtout justement, ceux qui le connaissent. Il y en a qui répondent par un geste vague. D’autres demandent :

« — Qu’est-ce qu’il fait ?

« — Je ne sais pas. Il vit à Toulon.

« Mon inspecteur, qui le suit pas à pas, commence à en avoir pitié et a presque envie de lui refiler le tuyau.

« Au train où va Meurant, cela peut durer longtemps et il va se ruiner en eau minérale. »

Maigret connaissait assez Toulon pour connaître au moins trois endroits où Meurant aurait obtenu des nouvelles de son frère. L’encadreur finissait d’ailleurs par atteindre le bon secteur. S’il poursuivait plus avant dans les petites rues qui avoisinent le quai Cronstadt, ou encore si le hasard le poussait jusqu’au Mourillon, il finirait sans doute par décrocher le renseignement qu’il cherchait avec tant d’obstination.

Rue Delambre, Ginette Meurant avait ouvert ses rideaux, commandé du café et des croissants et s’était recouchée pour lire dans son lit.

Elle ne téléphonait ni à Me Lamblin, ni à personne. Elle n’essayait pas non plus de savoir ce que son mari était devenu, ni si la police continuait à s’occuper d’elle.

Ses nerfs ne finiraient-ils pas par craquer ?

L’avocat, de son côté, n’entreprenait aucune démarche et vaquait à ses occupations habituelles.

Une idée vint a Maigret, qui pénétra dans le bureau des inspecteurs et s’approcha de Lucas.

— À quelle heure est-elle allée voir son avocat, hier ?

— Vers onze heures, si j’ai bonne mémoire. Je peux consulter le rapport.

— Ce n’est pas la peine. De toute façon, il était encore temps pour insérer une annonce dans les journaux du soir. Procure-toi tous les journaux d’hier, puis ceux de ce matin, enfin, tout à l’heure, ceux de ce soir. Épluche les petites annonces.

Lamblin n’avait pas la réputation d’un homme à scrupules. Si Ginette Meurant lui demandait de mettre une annonce, hésiterait-il ? C’était peu probable.

Si l’idée de Maigret était bonne, cela indiquerait qu’elle ne connaissait pas l’adresse actuelle de son ancien amant.

Si, au contraire, elle la connaissait, s’il n’avait pas bougé depuis le mois de mars, Lamblin n’avait-il pas donné pour elle un coup de téléphone ? N’avait-elle pas pu le faire elle-même, pendant les vingt minutes passées dans le cabinet de l’avocat ?

Un détail, depuis le début de l’enquête, au printemps, avait frappé le commissaire. La liaison de la jeune femme et de l’homme décrit par Nicolas Cajou avait duré de longs mois. Durant tout l’hiver, ils s’étaient rencontrés plusieurs fois par semaine, ce qui semblait indiquer que l’amant habitait Paris.

Or, ils ne s’en rencontraient pas moins dans un hôtel meublé.

Fallait-il croire que, pour une raison ou pour une autre, l’homme ne pouvait pas recevoir sa maîtresse chez lui ?

Était-il marié ? N’habitait-il pas seul ?

Maigret n’avait pas trouvé la réponse.

— À tout hasard, dit-il à Lucas, essaie de savoir si, hier, il y a un appel téléphonique de chez Lamblin pour Toulon.

Il ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre. À Toulon, Gaston Meurant cherchait toujours et il était quatre heures et demie quand, dans un petit café devant lequel on jouait aux boules, il avait enfin obtenu le renseignement désiré.

Le garçon lui désignait la colline, se lançait dans des explications compliquées.

Maigret savait déjà, à ce moment-là, que le frère, Alfred, était bien à Toulon et qu’il n’avait pas quitté les Eucalyptus depuis plus d’une semaine.

Il donnait ses instructions au commissaire Blanc.

— Avez-vous, parmi vos inspecteurs, un garçon qui ne soit pas connu de ces gens-là ?

— Mes hommes ne restent jamais longtemps inconnus, mais j’en ai un qui est arrivé il y a trois jours. Il vient de Brest, car il doit surtout s’occuper de l’arsenal. Il n’est sûrement pas encore repéré.

— Envoyez-le aux Eucalyptus.

— Compris. Il y sera avant Meurant, car le pauvre garçon, soit qu’il veuille faire des économies, soit qu’il n’ait aucune idée des distances, s’est mis en route à pied. Comme il y a des chances pour qu’il se perde deux ou trois fois dans les chemins de la colline...

Maigret souffrait de ne pas être sur place. Malgré leur rapidité et leur précision, les rapports qu’il recevait ne lui donnaient que des renseignements de seconde main.

Deux ou trois fois, ce jour-là, il fut tenté d’aller rue Delambre et de reprendre contact avec Ginette Meurant. Il avait l’impression, sans raison spéciale, qu’il commençait à mieux la connaître. Peut-être, maintenant, trouverait-il les questions précises auxquelles elle finirait par répondre ?

C’était encore trop tôt. Si Meurant s’était dirigé sans hésiter vers Toulon, il devait avoir ses raisons.

Au cours de l’enquête, la police n’avait rien tiré du frère, mais cela ne signifiait pas qu’il n’y avait rien à en tirer.

Gaston Meurant n’était pas armé, c’était déjà un point acquis et, pour le reste, il n’y avait qu’à attendre.

Il rentra chez lui, bougon. Mme Maigret se garda bien de l’interroger et il dîna, en pantoufles, se plongea dans la lecture des journaux, puis mit la radio, chercha un poste pas trop bavard et, n’en trouvant pas, coupa le contact avec un soupir d’aise.

À dix heures du soir, on l’appelait de Toulon. Ce n’était pas Blanc, qui assistait à un banquet, mais le jeune inspecteur de Brest, un nommé Le Goënec, que le commissaire de la brigade mobile avait envoyé aux Eucalyptus.

— Je vous téléphone de la gare.

— Où est Alfred Meurant ?

— Dans la salle d’attente. Il prendra le train de nuit dans une heure et demie. Il a réglé sa chambre d’hôtel.

— Il est allé aux Eucalyptus ?

— Oui.

— Il a vu son frère ?

— Oui. Quand il est arrivé, vers six heures, trois hommes et la patronne jouaient aux cartes dans le bar. Il y avait Kubik, Falconi et Alfred Meurant, tous les trois très détendus. Arrivé avant lui, j’avais demandé si je pourrais dîner et dormir. Le patron était sorti de sa cuisine pour m’examiner et avait fini par me dire que oui. Muni d’un havresac, j’ai prétendu que je faisais la Côte d’Azur en auto-stop tout en cherchant du travail.

Ils l’ont cru ?

Je ne sais pas. En attendant l’heure du dîner, je me suis assis dans un coin, j’ai commandé du vin blanc et je me suis mis à lire. On me jetait un coup d’œil de temps en temps, mais on n’a pas eu l’air de trop se méfier. Gaston Meurant est arrivé un quart d’heure après moi. Il faisait déjà noir. On a vu s’ouvrir la porte vitrée du jardin et il est resté debout sur le seuil en regardant autour de lui avec des yeux de hibou.

— Quelle a été l’attitude du frère ?