C’était un homme de trente-huit ans, assez grand, les épaules larges, avec des cheveux d’un blond roussâtre qui frisaient, un teint de roux, des yeux bleus.
Tous les témoins le décrivaient comme un être doux et calme, peu sociable, qui partageait son temps entre son atelier de la rue de la Roquette et son logement du boulevard de Charonne par les fenêtres duquel on découvrait les tombes du Père-Lachaise.
Il représentait assez bien le type de l’artisan solitaire, et si quelque chose étonnait, c’était la femme qu’il avait choisie.
Ginette Meurant était petite, fort bien faite, avec ce regard, cette moue des lèvres, ce genre de corps qui font tout de suite penser aux choses amoureuses.
De dix ans moins âgée que son mari, elle paraissait encore plus jeune que son âge et elle avait l’habitude enfantine de battre des cils avec l’air de ne pas comprendre.
— Quel emploi du temps l’accusé vous a-t-il fourni pour le 27 mars de dix-sept heures à vingt heures ?
— Il m’a dit avoir quitté son atelier vers six heures et demie, éteint les lampes dans le magasin et être rentré chez lui à pied comme il en avait l’habitude. Sa femme n’était pas dans l’appartement. Elle était allée au cinéma, à la séance de cinq heures, ce qui lui arrive assez souvent. Nous avons le témoignage de la caissière. Il s’agit d’un cinéma du faubourg Saint-Antoine, dont elle est une habituée. Quand elle est rentrée, un peu avant huit heures, son mari avait mis la table et préparé le dîner.
— C’était courant ?
— Il semble que oui.
— La concierge du boulevard de Charonne a vu rentrer son locataire ?
— Elle ne s’en souvient pas. L’immeuble comporte une vingtaine d’appartements et, en fin d’après-midi, les allées et venues sont nombreuses.
— Avez-vous parlé à l’accusé du vase, des pièces d’or et des titres au porteur ?
— Pas ce jour-là, mais le lendemain, 2 mars, quand je l’ai convoqué à mon bureau. Je venais seulement d’entendre parler de cet argent par la concierge de la rue Manuel.
— L’accusé a paru être au courant ?
— Après avoir hésité, il a fini par me dire que oui.
— Sa tante l’avait mis dans la confidence ?
— Indirectement. Je suis obligé, ici, d’ouvrir une parenthèse. Il y a environ cinq ans, Gaston Meurant, sur les instances de sa femme, semble-t-il, a abandonné son métier pour racheter, rue du Chemin-Vert, un fonds de café-restaurant.
— Pourquoi dites-vous « sur les instances de sa femme » ?
— Parce que celle-ci, lorsque Meurant l’a connue, il y a huit ans, était serveuse dans un restaurant du faubourg Saint-Antoine. C’est en y prenant ses repas que Meurant l’a rencontrée. Il l’a épousée et, d’après elle, a insisté pour qu’elle cesse de travailler. Meurant l’admet aussi. L’ambition de Ginette Meurant n’en était pas moins d’être un jour la patronne d’un café-restaurant et, quand l’occasion s’en est présentée, elle a insisté auprès de son mari...
— Ils ont fait de mauvaises affaires ?
— Oui. Dès les premiers mois, Meurant a été obligé de s’adresser à sa tante pour lui emprunter de l’argent.
— Elle en a prêté ?
— À plusieurs reprises. Selon son neveu, il y avait, dans le vase chinois, non seulement le sac de pièces d’or, mais un portefeuille usé qui contenait des billets de banque. C’est dans ce portefeuille qu’elle prenait les sommes qu’elle lui remettait. En riant, elle appelait ce vase son coffre-fort chinois.
— Vous avez retrouvé le frère de l’accusé, Alfred Meurant ?
— Pas à cette époque. Je savais seulement, par nos dossiers, qu’il menait une existence irrégulière et qu’il avait été condamné deux fois pour proxénétisme.
— Des témoins ont-ils déclaré avoir vu l’accusé dans son atelier l’après-midi du crime, après cinq heures ?
— Pas à ce moment-là.
— Portait-il, selon lui, un complet bleu et un imperméable marron ?
— Non. Son complet de tous les jours, qui est gris, et une gabardine beige clair qu’il mettait le plus souvent pour aller à son travail.
— Si je comprends bien, aucun élément précis ne vous permettait de l’accuser ?
— C’est exact.
— Pouvez-vous nous dire sur quoi, dans les jours qui suivirent le crime, a porté votre enquête ?
— D’abord, sur le passé de la victime, Léontine Faverges, et sur les hommes qu’elle avait connus. Nous nous sommes intéressés aussi aux fréquentations de la mère de l’enfant, Juliette Perrin, qui, au courant du contenu du vase chinois, aurait pu en parler à des amis.
— Ces recherches n’ont rien donné ?
— Non. Nous avons interrogé aussi tous les habitants de la rue, tous ceux qui auraient pu voir passer l’assassin.
— Sans résultat ?
— Sans résultat.
— De sorte que, le matin du 6 mars, l’enquête en était encore au point mort.
— C’est exact.
— Que s’est-il passé le matin du 6 mars ?
— J’étais à mon bureau, vers dix heures, lorsque j’ai reçu un coup de téléphone.
— Qui se trouvait à l’autre bout du fil ?
— Je l’ignore. La personne n’a pas voulu dire son nom et j’ai fait signe à l’inspecteur Janvier, qui se tenait à mon côté, d’essayer de repérer la source de l’appel.
— On y a réussi ?
— Non. La communication a été trop brève. J’ai seulement reconnu le déclic caractéristique d’un téléphone public.
— Était-ce un homme ou une femme qui vous parlait ?
— Un homme. Je jurerais qu’il parlait à travers un mouchoir afin d’assourdir sa voix.
— Que vous a-t-il dit ?
— Textuellement : « Si vous voulez découvrir l’assassin de la rue Manuel, demandez à Meurant de vous montrer son complet bleu. Vous y trouverez des taches de sang. »
— Qu’est-ce que vous avez fait ?
— Je me suis rendu chez le juge d’instruction qui m’a remis un mandat de perquisition. En compagnie de l’inspecteur Janvier, je suis arrivé, à onze heures dix, boulevard de Charonne et, au troisième étage, j’ai sonné à la porte de l’appartement des Meurant. Mme Meurant nous a ouvert. Elle était en robe de chambre, chaussée de mules. Elle nous a dit que son mari était à son atelier et je lui ai demandé s’il possédait un complet bleu.
« — Bien sûr, a-t-elle répondu. Celui qu’il porte le dimanche.
« J’ai demandé à le voir. Le logement est confortable, coquet, assez gai mais, à cette heure, il était encore en désordre.
« — Pourquoi voulez-vous voir ce complet ?
« — Une simple vérification...
« Je l’ai suivie dans la chambre à coucher où elle a pris un costume bleu marine dans l’armoire. Je lui ai montré alors le mandat de perquisition. Le complet a été enfermé dans un sac spécial que j’avais apporté et l’inspecteur Janvier a établi les documents habituels.
« Une demi-heure plus tard, le costume était entre les mains des spécialistes du laboratoire. Dans le courant de l’après-midi, on me faisait savoir qu’il portait en effet des traces de sang sur la manche droite et sur le revers, mais que je devais attendre le lendemain pour savoir s’il s’agissait de sang humain. Dès midi, cependant, je faisais exercer une surveillance discrète autour de Gaston Meurant et de sa femme.
« Le lendemain matin, 7 mars, deux de mes hommes, les inspecteurs Janvier et Lapointe, munis d’un mandat d’amener, se présentaient à l’atelier de la rue de la Roquette et procédaient à l’arrestation de Gaston Meurant.
« Celui-ci a paru surpris. Il a dit, sans se révolter :
« — C’est certainement un malentendu.
« Je l’attendais dans mon bureau. Sa femme, dans un bureau voisin, se montrait plus nerveuse que lui.