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— Vous savez quand ont lieu les obsèques ?

— Non. Lorsque j’ai quitté Mme Chabut, elle allait recevoir le représentant des pompes funèbres. Le corps a dû être ramené hier en fin d’après-midi place des Vosges. Au fait, si nous allions jeter un coup d’œil ?

Un peu plus tard, ils roulaient tous les deux en direction de la place des Vosges. Au premier étage, ils trouvèrent la porte contre et ils entrèrent, tout de suite enveloppés par l’odeur des cierges et des chrysanthèmes.

Oscar Chabut était déjà dans son cercueil mais celui-ci n’avait pas encore été refermé. Une femme d’un certain âge, en grand deuil, était agenouillée sur un prie-Dieu et un couple assez jeune se tenait face au mort qu’éclairait la flamme dansante des cierges.

Qui était la vieille dame en deuil ? Etait-ce la mère de Jeanne Chabut ? C’était possible. C’était même probable. Quant au jeune couple, il paraissait mal à l’aise et, après un signe de croix, l’homme entraîna sa compagne.

Maigret suivit les rites et dessina une croix dans l’espace avec le brin de buis trempé d’eau bénite. Lapointe l’imita avec une conviction presque comique.

Même mort, Oscar Chabut était impressionnant, car il avait une face puissante, aux traits taillés grossièrement, peut-être, mais non sans une certaine beauté.

Au moment où les deux hommes sortaient, Mme Chabut se montrait dans le couloir.

— C’est moi que vous êtes venus voir ?

— Non. Nous sommes venus rendre nos devoirs à votre mari.

— Il a l’air vivant, n’est-ce pas ? Ils ont fait un beau travail. Vous l’avez vu tel qu’il était dans la vie, avec malheureusement son regard en moins.

Elle les conduisait machinalement vers la porte d’entrée, à l’autre bout du hall.

— Je voudrais vous poser une question, madame, murmura soudain Maigret.

Elle le regarda avec curiosité.

— Je vous écoute.

— Désirez-vous vraiment qu’on découvre le meurtrier de votre mari ?

Elle ne s’y attendait pas et elle fut un moment comme suffoquée.

— Pourquoi souhaiterais-je que cet homme reste en liberté ?

— Je ne sais pas. Si on le découvre, il y aura un procès, un très grand procès, dont la presse, la radio et la télévision parleront abondamment. Il y aura aussi un important défilé de témoins. Les employées de votre mari seront entendues. Il y en aura certainement parmi elles qui diront la vérité. Peut-être aussi des amies de votre mari.

— Je comprends ce que vous voulez dire, murmura-t-elle avec l’air de réfléchir, de peser le pour et le contre.

— Il est évident, ajouta-t-elle un peu plus tard, que cela fera un beau scandale.

— Vous n’avez pas répondu à ma question.

— À vrai dire, cela m’est égal. Je ne suis pas pour la vengeance. Celui qui l’a tué se croyait certainement de bonnes raisons de le faire. Peut-être à bon droit. Quel bien cela fera-t-il à la société de le mettre en prison pour dix ans ou pour le restant de ses jours ?

— À supposer que vous ayez une indication sur sa personnalité, je suppose donc que vous la garderiez pour vous ?

— Comme ce n’est pas le cas, je n’y ai pas encore pensé. Mon devoir serait de parler, n’est-ce pas ? Dans ce cas, je crois que je parlerais, mais à contrecœur.

— Qui va prendre la tête des affaires de votre mari ? Louceck ?

— Cet homme me fait peur. Il ressemble à un animal à sang-froid et je déteste qu’il me regarde en face.

— Votre mari, pourtant, paraissait avoir confiance en lui ?

— Louceck lui a fait gagner beaucoup d’argent. C’est un homme retors, qui connaît admirablement le Code et la façon de s’en servir. Au début, il ne s’occupait que des impôts de mon mari puis, petit à petit, il s’est hissé jusqu’à la seconde place.

— De qui est l’idée du Vin des Moines ?

— De mon mari. Tout se faisait alors quai de Charenton. C’est Louceck qui a conseillé d’installer des bureaux avenue de l’Opéra et de multiplier les dépôts en province afin d’augmenter le nombre de points de vente.

— Votre mari le considérait comme honnête ?

— Il avait besoin de lui. Et il était de taille à se défendre.

— Vous n’avez pas répondu à ma question. Est-ce lui qui va diriger l’affaire ?

— Il restera sans doute à son poste, en tout cas pendant un certain temps, mais pas plus haut.

— Qui aura le pouvoir ?

— Moi.

Elle dit cela simplement, comme si cela allait de soi.

— J’ai toujours eu l’étoffe d’une femme d’affaires et mon mari me demandait souvent conseil.

— Vous aurez votre bureau avenue de l’Opéra ?

— Oui, sauf que je ne le partagerai pas avec Louceck comme le faisait Oscar. Ce ne sont pas les locaux qui manquent.

— Et vous irez aux entrepôts, dans les caves et les bureaux du quai de Charenton ?

— Pourquoi pas ?

— Vous ne prévoyez aucun changement parmi le personnel ?

— Pour quelle raison y aurait-il des changements ? Parce que les filles ont à peu près toutes couché avec mon mari ? Dans ce cas-là, je ne devrais plus voir mes amies non plus, sauf celles qui ont l’âge canonique.

Une jeune femme entrait, menue et vive, se jetait dans les bras de la maîtresse de maison en murmurant :

— Ma pauvre chérie...

— Vous m’excusez, monsieur le commissaire.

— Je vous en prie.

Tout en descendant l’escalier, Maigret grommelait en s’essuyant le front de son mouchoir :

— Curieuse femme.

Quelques marches plus bas, il ajouta :

— Ou je me trompe fort, ou cette histoire est loin d’être finie. Jeanne Chabut n’avait-elle pas tout au moins le mérite de la franchise ?

CHAPITRE IV

Il était environ cinq heures quand on frappa discrètement à la porte du bureau de Maigret. Sans attendre de réponse, le vieux Joseph, le plus ancien des huissiers, s’avança et tendit une fiche au commissaire.

« Nom : Jean-Luc Caucasson.

« Motif de la visite : affaire Chabut. »

— Où l’avez-vous mis ?

— Dans l’aquarium.

On appelait ainsi une salle d’attente vitrée de trois côtés où il y avait toujours des visiteurs.

— Laissez-le mariner encore pendant quelques minutes, puis amenez-le-moi.

Maigret se moucha longuement, alla se camper quelques instants devant la fenêtre et finit par boire un peu de la fine champagne qu’il avait toujours en réserve dans son placard.

Il se sentait toujours flou et il avait l’impression désagréable d’évoluer dans un univers cotonneux.

Il était occupé à allumer sa pipe, debout près de son bureau, quand Joseph annonça :

— Monsieur Caucasson.

Celui-ci ne paraissait pas impressionné par l’atmosphère du quai des Orfèvres. Il s’avançait, la main tendue :

— C’est au commissaire Maigret que j’ai l’honneur... ?

Mais le commissaire se contentait de grommeler :

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Lui-même contournait son bureau pour aller s’asseoir à sa place.

— Vous êtes éditeur de livres d’art, je pense ?

— C’est exact. Vous connaissez ma boutique de la rue Saint-André-des-Arts ?

Maigret évita de répondre et regarda comme rêveusement son interlocuteur. C’était un bel homme, grand, élancé, aux abondants cheveux gris bien lissés. Son complet, son pardessus étaient gris aussi et il avait aux lèvres un sourire suffisant qui devait lui être habituel. Il faisait penser à un animal de race, à un chien afghan, par exemple.

— Je m’excuse de vous déranger, d’autant plus que ma démarche n’a pas grand intérêt pour vous. J’étais un ami d’Oscar Chabut...

— Je sais. Je sais aussi que, mercredi, vous avez assisté à la première mondiale d’un film sur la Résistance. Le film n’a commencé qu’à neuf heures et demie et vous aviez tout le temps de parcourir le chemin entre la rue Fortuny et les Champs-Elysées.