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Elle souriait aussi.

— Combien de fois l'as-tu attrapé ?

— Il n'a été condamné qu'une fois, et encore n'avait-il pas alors adopté cette technique et volait-il comme tout le monde. Nous n'en possédons pas moins, au bureau, une liste des cambriolages qui peuvent lui être attribués à coup presque sûr. Dans certains cas, il a loué une chambre pendant plusieurs semaines en face des locaux cambriolés et il ne fournît aucune explication plausible.

— Pourquoi l'a-t-on assassiné ?

— C'est ce que je me demande. Pour le savoir, j'ai besoin de découvrir à quelle maison il s'est attaqué, la nuit dernière probablement...

Il en avait rarement autant dit à sa femme sur une affaire en cours sans doute parce que, pour lui, ce n'était pas une affaire comme les autres et il n'en était même pas chargé.

Cuendet l'intéressait en tant qu'homme et en tant que spécialiste, le fascinait presque, tout comme la vieille Justine.

— Je suis sûre qu'il ne me laissera pas sans rien... avait-elle dit avec confiance.

Pourtant, Maigret en était persuadé, elle ignorait où son fils cachait l'argent.

Elle avait confiance, la foi du charbonnier : Honoré était incapable de la laisser sans ressources.

Comment cet argent parviendrait-il jusqu'à elle ? Quelles mesures son fils avait-il prises, lui qui, pas une fois dans sa vie, n'avait eu de complices ?

Et pouvait-il prévoir qu'un jour il serait assassiné ?

Le plus curieux, c'est que Maigret en arrivait à partager la confiance de la vieille, à croire, lui aussi, que Cuendet avait envisagé toutes les éventualités.

Il buvait son café à petites gorgées. Allumant sa pipe, il jetait un coup d'œil au buffet. Comme rue Mouffetard, il y avait là un carafon, avec une eau-de-vie blanche qui, ici, était de l'eau-de-vie de prunes.

Mme Maigret avait compris et lui en servait un petit verre.

Chapitre 4

À quatre heures moins cinq, penché sur le rond de lumière de sa lampe qui éclairait un dossier annoté, Maigret hésitait entre deux pipes quand le téléphone sonna. C'était le central de Police-Secours, boulevard du Palais.

— Hold-up rue La Fayette, entre la rue Taitbout et la Chaussée d'Antin. On a tiré. Il y a des morts.

Cela s'était passé à quatre heures moins dix et déjà l'alerte générale était donnée, les voitures radio alertées, un car d'agents en uniforme quittait la cour de la police municipale tandis que, dans son bureau paisible du Palais de Justice, le procureur général, selon des ordres qu'il avait donnés, recevait la nouvelle à son tour.

Maigret ouvrait la porte, faisait signe à Janvier, grommelait quelques mots plus ou moins distincts et les deux hommes descendaient l'escalier en enfilant leur pardessus, s'engouffraient dans une voiture-pie.

À cause du brouillard qui avait commencé à descendre sur la ville, jaunâtre, un peu après le déjeuner, il faisait aussi sombre qu'à six heures du soir et le froid, au lieu de diminuer, était devenu plus pénétrant.

— Demain matin, il vaudra mieux faire attention au verglas, remarqua le chauffeur.

Il faisait fonctionner sa sirène, son feu clignotant. Taxis et autobus se rangeaient au bord du trottoir et les passants suivaient la police des yeux, Dès l'Opéra, la circulation était perturbée. Des bouchons s'étaient formés. Des agents arrivés en renfort sifflaient et gesticulaient.

Rue La Fayette, du côté des Galeries et du Printemps, c'était l'heure de pointe, une foule dense, surtout composée de femmes, sur les trottoirs ; c'était aussi l'endroit le plus illuminé de Paris.

On avait canalisé la foule, établi des barrages. Un tronçon de la rue était désert, avec seulement quelques silhouettes sombres d'officiels qui allaient et venaient.

Le commissaire de police du IXe était arrivé avec plusieurs de ses hommes. Des spécialistes prenaient des mesures et faisaient des marques à la craie. Une auto, ses deux roues avant sur le trottoir, avait son pare-brise en éclats et, à deux ou trois mètres, on voyait une tache sombre autour de laquelle des gens discutaient à mi-voix.

Un petit monsieur à cheveux gris, vêtu de noir, un foulard de laine tricotée autour du cou, tenait encore à la main le verre de rhum qu'on était allé lui chercher à la brasserie d'en face. C'était le caissier d'un grand magasin d'articles de ménage de la rue de Châteaudun.

Il recommençait son récit pour la troisième ou la quatrième fois, en évitant de se tourner vers une forme humaine, recouverte d'un tissu râpeux, étendue à quelques mètres.

Derrière les barrières mobiles, comme celles dont la ville se sert pour les cortèges, la foule poussait et les femmes, excitées, parlaient d'une voix aiguë.

— Comme toutes les fins de mois...

Maigret avait oublié qu'on était le 31.

— ... j'étais allé chercher à la banque, derrière l'Opéra, l'argent nécessaire à la paie du personnel.

Maigret, en passant, avait vu le magasin sans soupçonner son importance. Il comportait trois étages de rayons, deux sous-sols et trois cents personnes y étaient occupées.

— J'avais à peine six cents mètres à parcourir. Je tenais ma mallette de la main gauche.

— Elle n'était pas attachée à votre poignet par une chaîne ?

Ce n'était pas un encaisseur professionnel et aucun dispositif d'alarme n'était prévu. Le caissier avait seulement un automatique dans la poche droite de son pardessus.

Il avait traversé la rue entre les lignes jaunes. Il se dirigeait vers la rue Taitbout, dans une foule si dense qu'aucun attentat ne paraissait possible. Soudain, il avait remarqué qu'un homme marchait très près de lui, à sa hauteur, puis, tournant la tête, il en avait vu un autre sur ses talons.

La suite avait été si rapide que l'employé s'était mal rendu compte du déroulement des événements. Il se souvenait surtout des mots murmurés à son oreille :

— Si tu tiens à ta peau, fais pas le mariole !

Au même moment, on lui arrachait violemment sa mallette. Un des hommes se précipitait vers une auto qui venait en sens inverse, rasant le trottoir au ralenti. Entendant une détonation le caissier avait d'abord cru que c'était sur lui qu'ou tirait. Des femmes criaient, se bousculaient. Un second coup de feu avait été suivi d'un bruit de verre brisé.

Il y en avait eu d'autres, certains disaient trois, certains quatre ou cinq.

Un personnage rougeaud se tenait à l'écart avec le commissaire de police. Il était assez ému, ne sachant pas encore si on allait le traiter en héros on lui réclamer des comptes.

C'était l'agent Margeret, du 1er arrondissement. N'étant pas de service cet après-midi-là, il ne portait pas son uniforme. Pourquoi avait-il néanmoins son automatique en poche ? Il aurait à s'en expliquer plus tard.

— J'allais rechercher ma femme qui faisait des courses... J'ai assisté au hold-up... Quand les trois hommes se sont précipités vers l'auto...

— Ils étaient trois ?

— Un de chaque côté du caissier, un autre derrière...

L'agent Margeret avait tiré. Un des bandits était tombé à genoux, puis s'était étendu lentement sur le trottoir parmi les jambes des femmes qui se mettaient à courir.

L'auto fonçait dans la direction de Saint-Augustin. L'agent de la circulation sifflait. On tirait, de la voiture, qui avait bientôt disparu dans le trafic.

Pendant deux jours, Maigret n'allait guère avoir le temps de penser à son Vaudois paisible et, deux fois, l'inspecteur Fumel l'appela au téléphone alors qu'il était trop occupé pour répondre.

On avait relevé le nom et l'adresse d'une cinquantaine de témoins, y compris la marchande de gaufres dont le stand était tout proche, un infirme au violon qui mendiait à quelques pas et deux des garçons de café qui travaillaient en face, ainsi que la caissière qui prétendait avoir tout vu, bien que les vitres fussent embuées.