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— Le crime aura été commis à Montmartre et les truands qui ont fait le coup se sont débarrassés du corps en le jetant ici...

Il se tourna vers Maigret.

— Je ne pense pas, monsieur le commissaire, que ce soit une affaire pour vous. Vous devez avoir d'importantes enquêtes en cours. Au fait ! où en êtes-vous du hold-up du bureau de poste du XIII?

— Nulle part encore.

— Et des précédents hold-up ? Combien en avons-nous eus, rien qu'à Paris, en quinze jours ?

— Cinq.

— C'est le chiffre que j'avais en tête. Aussi suis-je assez surpris de vous trouver ici à vous occuper d'une affaire sans importance.

Ce n'était pas la première fois que Maigret entendait cette chanson-là. Ces messieurs du Parquet étaient effrayés par la vague de criminalité, comme ils disaient, et surtout par les vols spectaculaires qui, ainsi que cela arrive périodiquement, se multipliaient depuis un certain temps.

Cela signifiait qu'une nouvelle bande, un nouveau gang, pour employer le mot cher aux journaux, s'était formé récemment.

— Vous n'avez toujours aucun indice ?

— Aucun.

Ce n'était pas tout à fait vrai. S'il ne possédait pas d'indices à proprement parler, il n'en avait pas moins une théorie qui se tenait et que les faits semblaient confirmer. Mais cela ne regardait personne, surtout pas le Parquet.

— Écoutez, Cajou. Vous allez prendre l'affaire en main. Si vous m'en croyez faites en un fait divers banal, un crime crapuleux et, ma foi, si les mauvais garçons se mettent à se tuer entre eux, tant mieux pour tout le monde. Vous me comprenez ?

Il s'adressait à nouveau à Fumel.

— Vous êtes inspecteur dans le XVI?

Fumel acquiesçait de la tête.

— Depuis combien de temps travaillez-vous dans la police ?

— Trente ans... Vingt-neuf exactement...

À Maigret :

— Il est bien noté ?

— C'est un homme qui connaît son métier.

Le substitut entraînait le juge à l'écart et lui parlait à voix basse. Quand les deux hommes revinrent, Cajou semblait un peu embarrassé,

— Eh ! bien, monsieur le commissaire, je vous remercie de vous être dérangé. Je vais rester en rapport avec l'inspecteur Fumel, à qui je donnerai mes instructions, Si, à un moment donné, je juge qu'il a besoin d'aide, je vous enverrai des commissions rogatoires ou je vous convoquerai à mon cabinet. Vous avez une tâche trop importante et trop urgente à accomplir pour que je vous retienne plus longtemps.

Ce n'était pas seulement de froid que Maigret était pâle et il serra si fort sa pipe entre ses dents qu'il y eut un léger craquement de l'ébonite.

— Messieurs... prononça-t-il comme pour prendre congé.

— Vous avez un moyen de transport ?

— Je trouverai un taxi à la porte Dauphine.

Le substitut hésita, faillit proposer de l'y conduire, mais déjà le commissaire s'éloignait après un petit salut de la main à l'adresse de Fumel.

Pourtant, une demi-heure plus tard, Maigret aurait sans doute pu leur en apprendre assez long sur le mort. Il n'en était pas encore sûr et c'est pourquoi il n'avait rien dit.

Dès l'instant où il s'était penché sur le corps, il avait eu une impression de déjà vu, Le visage avait beau avoir été réduit en bouillie, le commissaire aurait juré qu'il l'avait reconnu.

Il n'avait besoin que d'une petite preuve, que l'on découvrirait en déshabillant le cadavre.

Il est vrai que, s'il avait raison, on arriverait au même résultat par les empreintes digitales.

Il trouva, au stationnement, le même taxi qui l'avait amené.

— Déjà fini ?

— Chez moi, boulevard Richard-Lenoir.

— Compris. N'empêche que, pour du travail rapide... Qui est-ce ?

Un bar était ouvert, place de la République, et Maigret faillit faire arrêter la voilure pour y prendre un verre de n'importe quoi. Il ne le fit pas, par une sorte de pudeur.

Sa femme, qui s'était recouchée, ne l'entendit pas moins monter l'escalier et lui ouvrit la porte. Elle aussi s'étonna :

— Déjà ?

Puis, tout de suite après, d'une voix inquiète :

— Que se passe-t-il ?

— Rien. Ces messieurs n'ont pas besoin de moi.

Il lui en parlait le moins possible. C'était rare que, chez lui, il évoque les affaires du Quai des Orfèvres.

— Tu n'as pas mangé ?

— Non.

— Je vais préparer ton petit déjeuner. Tu devrais vite prendre un bain pour te réchauffer.

Il n'avait plus froid. Sa colère avait fait place à de la mélancolie.

Il n'était pas le seul, à la P. J., à se sentir découragé, et le directeur avait parlé deux fois de donner sa démission. Il n'aurait pas l'occasion d'en reparler une troisième, car il était question de le remplacer.

On réorganisait, comme on disait. Des jeunes gens instruits, bien élevés, issus des meilleures familles de la République, étudiaient toutes les questions dans le silence de leur bureau, en quête d'efficacité. De leurs savantes cogitations, il sortait des plans mirifiques qui se traduisaient, chaque semaine, par de nouveaux règlements.

Et, d'abord, la police devait être un instrument au service de la justice. Un instrument. Or, un instrument n'a pas de tête.

C'était le juge, de son cabinet, le procureur, de son bureau prestigieux, qui menaient l'enquête et donnaient des ordres.

Encore, pour exécuter ces ordres, ne voulait-on plus de policiers à l'ancienne mode, de ces vieilles « chaussettes à clous » qui, comme Aristide Fumel, ne savaient pas toujours l'orthographe.

Que faire, lorsqu'il s'agissait surtout de remplir des paperasses, de ces gens qui avaient appris leur métier dans la rue, passant de la voie publique aux grands magasins et aux gares, connaissant chaque bistrot de leur quartier, chaque mauvais garçon, chaque fille, et capables, à l'occasion, de discuter le coup avec eux en parlant leur langage ?

Il leur fallait maintenant des diplômes, des examens à chaque étape de leur carrière et, quand il avait à commander une planque, Maigret ne pouvait compter que sur les quelques anciens de son équipe.

On ne l'évinçait pas encore. On patientait, sachant qu'il n'était qu'à deux ans de la retraite,

On n'en commençait pas moins à surveiller ses faits et gestes.

Il ne faisait pas jour et il prenait son petit déjeuner tandis que des fenêtres de plus en plus nombreuses s'éclairaient aux maisons d'en face. À cause de ce coup de téléphone, il était en avance, un peu engourdi, comme quand on n'a pas assez dormi.

— Fumel, ce n'est pas celui qui louche ?

— Oui.

— Et dont la femme est partie ?

— Oui.

— On ne l'a jamais retrouvée ?

— Il paraît qu'elle est mariée, en Amérique du Sud, et qu'elle a une ribambelle d'enfants.

— Il le sait ?

— À quoi bon ?

Au bureau aussi, il arriva en avance et, bien que le jour fût enfin levé, il dut allumer sa lampe à abat-jour vert.

— Donnez-moi la permanence de la Faisanderie, s'il vous plaît...

C'était lui qui avait tort. Il ne voulait pas devenir sentimental.

— Allô !... L'inspecteur Fumel est-il là ?... Comment ?... Il rédige son rapport ?

Toujours du papier, des formulaires, du temps perdu.

— C'est toi, Fumel ?

Celui-ci parlait à nouveau d'une voix feutrée, comme s'il téléphonait en cachette.

— L'Identité Judiciaire a terminé son travail ?

— Oui, Ils sont partis il y a une heure.

— Le médecin légiste est venu sur place ?

— Oui. Le nouveau.

Car il y avait un nouveau médecin légiste aussi. Le vieux docteur Paul, qui pratiquait encore des autopsies à soixante-seize ans, était mort et avait été remplacé par un certain Lamalle.

— Qu'est-ce qu'il dit ?

— Comme son confrère. L'homme n'a pas été tué sur place. Il n'y a pas de doute qu'il y ait eu une forte hémorragie. Les derniers coups au visage ont été portés alors que la victime était morte.