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— Bien sûr. Et je vous jure que c'est propre !

Cuendet était-il si sûr de lui qu'il ne s'était pas donné la peine de déménager après le vol ? Ou bien avait-il craint d'éveiller les soupçons en quittant le logement ?

Maigret l'avait trouvé chez lui, occupé à lire. En se penchant à la fenêtre, il avait pu suivre les allées et venues des locataires dans les appartements d'en face.

— Il faut que je vous prie de me suivre à la P. J.

Le Vaudois n'avait pas protesté. Il avait laissé fouiller son logement sans mot dire. On n'avait rien trouvé, pas un bijou, pas une fausse clé, pas un outil de monte-en-l'air.

L'interrogatoire, Quai des Orfèvres, avait duré près de vingt-quatre heures, entrecoupé de verres de bière et de sandwiches.

— Pourquoi avez-vous loué cette chambre ?

— Parce qu'elle me plaisait.

— Vous vous êtes disputé avec votre mère ?

— Non.

— Vous ne vivez plus chez elle

— J'y retournerai un jour ou l'autre.

— Vous y avez laissé presque toutes vos affaires.

— Justement.

— Êtes-vous allé la voir ces derniers temps ?

— Non.

— Qui avez-vous rencontré ?

— La concierge, les voisins, les gens qui passent dans la rue.

Son accent mettait dans ses réponses une ironie peut-être involontaire, car son visage restait calme et sérieux, il avait l'air de faire son possible pour satisfaire le commissaire.

L'interrogatoire n'avait rien donné, mais l'enquête, rue Mouffetard, avait fourni des présomptions. On apprenait en effet que ce n'était pas la première fois qu'Honoré disparaissait de la sorte pour un temps plus ou moins long, de trois semaines à deux mois en général, après quoi il revenait vivre chez sa mère.

— Quels sont vos moyens d'existence ?

— Je bricole. J'ai un peu d'argent de côté.

— À la banque ?

— Non. Je me méfie des banques.

— Où se trouve cet argent ?

Il se taisait. Depuis sa première arrestation, il avait étudié le Code pénal qu'il connaissait par cœur.

— Ce n'est pas à moi de prouver mon innocence. C'est à vous d'établir que je suis coupable.

Une seule fois, Maigret s'était fâché et, devant l'air doucement réprobateur de Cuendet, il l'avait regretté tout de suite.

— Vous vous êtes débarrassé des bijoux d'une façon ou d'une autre. Il est probable que vous les avez revendus. À qui ?

On avait fait le tour, bien entendu, des receleurs connus, alerté Anvers, Amsterdam et Londres, On avait aussi passé le mot aux indicateurs.

Personne ne connaissait Cuendet. Personne ne l'avait vu. Personne n'avait été en rapport avec lui.

— Qu'est-ce que je vous disais ? triomphait sa mère. Je sais bien que vous êtes malins, mais mon fils, voyez-vous, c'est quelqu'un !

Malgré son casier judiciaire, malgré la chambre de bonne, malgré tous les indices, force avait été de le relâcher.

Cuendet n'avait pas triomphé. Il avait pris la chose tranquillement. Le commissaire le revoyait encore, cherchant son chapeau, s'arrêtant devant la porte, tendant une main hésitante.

— Au revoir, monsieur le commissaire...

Comme s'il s'attendait à revenir !

Chapitre 3

Les chaises étaient à fond de paille tressée et avaient, dans la pénombre, des reflets dorés. Le plancher, de vulgaire sapin pourtant, très vieux, était si bien encaustiqué qu'on y voyait comme dans un miroir le rectangle de la fenêtre. Le balancier de cuivre d'une horloge, au mur, battait à un rythme paisible.

On aurait dit que le moindre objet, le tisonnier, les bols à grandes fleurs roses et jusqu'au balai où le chat se frottait le dos avait sa vie propre, comme dans les anciens tableaux hollandais ou dans les sacristies.

La vieille ouvrait le poêle pour y verser deux pelletées de charbon luisant et un instant les flammes venaient lui lécher la figure.

— Vous permettez que j'enlève mon pardessus ?

— Cela veut dire que vous allez rester longtemps ?

— Il y a moins cinq degrés dehors et, chez vous, il fait plutôt chaud.

— On prétend que les vieux deviennent frileux, grommelait-elle, plutôt pour elle-même, pour occuper son esprit, que pour lui. Moi, mon poêle me tient compagnie. Tout jeune, mon fils était déjà comme ça. Je le vois encore, chez nous, à Sénarclens, collé contre le poêle pour étudier ses leçons.

Elle regardait le fauteuil vide, au bois poli, au cuir usé.

— Ici aussi, il le rapprochait du feu et pouvait passer des journées à lire sans rien entendre.

— Qu'est-ce qu'il lisait ?

Elle levait les bras en signe d'impuissance.

— Est-ce que je sais, moi ? Des livres qu'il allait chercher au cabinet de lecture de la rue Monge. Tenez ! Voici le dernier. Il les échangeait au fur et à mesure. Il avait une sorte d'abonnement. Vous devez connaître ça...

Relié d'une toile noire et lustrée qui faisait penser à une vieille soutane, c'était un ouvrage de Lenotre sur un épisode de la Révolution.

— Il savait beaucoup de choses, Honoré. Il ne parlait pas beaucoup, mais sa tête n'arrêtait pas de travailler. Il lisait des journaux aussi, quatre ou cinq chaque jour, et de gros illustrés qui coûtent cher, avec des images en couleur...

Maigret aimait l'odeur du logement, faite de maintes odeurs différentes. Il avait toujours eu un faible pour les habitations qui ont une odeur caractéristique et il hésitait à allumer sa pipe qu'il avait bourrée machinalement.

— Vous pouvez fumer. Il fumait la pipe aussi. Il tenait même tellement à ses vieilles pipes qu'il lui arrivait de les réparer avec du fil de fer.

— Je voudrais vous poser une question, madame Cuendet.

— Cela me fait un drôle d'effet que vous m'appeliez comme ça. Il y a tellement longtemps que tout le monde m'appelle Justine ! Je crois bien qu'à part le maire, quand il m'a félicitée le jour de mon mariage, personne ne m'a appelée autrement. Dites toujours ! Je vous répondrai si j'en ai envie.

— Vous ne travaillez pas. Votre mari était pauvre.

— Vous avez rencontré un taupier riche, vous ? Surtout un taupier qui boit du matin au soir ?

— Vous vivez donc de l'argent que vous remettait votre fils.

— Il y a du mal à ça ?

— Un ouvrier remet sa paie à sa femme ou à sa mère chaque semaine, un employé tous les mois. Je suppose qu'Honoré vous donnait de l'argent au fur et à mesure de vos besoins ?

Elle le regardait avec attention, comme si elle comprenait la portée de la question.

— Et alors ?

— Il aurait aussi pu vous remettre une somme importante au retour de ses absences, par exemple.

— Il n'y a jamais eu de somme importante ici. Qu'est-ce que j'en aurais fait ?

— Ces absences duraient plus ou moins longtemps, parfois des semaines, n'est-ce pas ? Si, pendant ce temps-là, vous aviez besoin d'argent, que faisiez-vous ?

— Je n'en avais pas besoin.

— Il vous en donnait donc suffisamment avant de partir ?

— Sans compter que j'ai un compte chez le boucher, chez l'épicier, que je peux acheter à crédit chez n'importe quel commerçant du quartier et même aux petites charrettes. Tout le monde, dans la rue, connaît la vieille Justine.

— Il ne vous a jamais envoyé de mandat ?

— Je ne sais pas comment j'aurais fait pour le toucher.

— Écoutez, madame Cuendet...

— J'aime encore mieux que vous disiez Justine...

Elle était toujours debout et remettait un peu d'eau chaude dans son ragoût, reposait le couvercle en laissant une légère ouverture pour la vapeur.

— Je ne peux plus lui causer d'ennuis et je n'ai aucune intention de vous en causer à vous. Ce que je cherche, c'est à retrouver ceux qui l'ont tué.

— Quand est-ce que je pourrai le voir ?

— Cet après-midi, sans doute. Un inspecteur viendra vous chercher.