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— Tout est là dedans ?

— Même un reste de paquet de cigarettes et une vieille pipe cassée. Nous allons encore rester longtemps ici ?

— Je n’en sais rien, mon petit. Vous vous ennuyez ?

— Moi, non. Mais il y a des clients qui deviennent trop familiers, et mon mari commence à s’impatienter. D’ici à ce qu’il leur cogne sur la figure…

Il fouillait toujours le tiroir et il en retira un petit harmonica de marque allemande qui avait beaucoup servi. Il le mit dans sa poche, à la grande surprise d’Irma.

— C’est tout ? questionna-t-elle.

— C’est tout.

Quelques minutes plus tard, d’en bas, il téléphonait à M. Loiseau, que sa question ahurit :

— Dites-moi, cher monsieur, est-ce qu’Albert jouait de l’harmonica ?

— Pas à ma connaissance. Il chantait, mais je n’ai jamais entendu dire qu’il jouait d’un instrument.

Maigret se souvenait de l’harmonica trouvé rue du Roi-de-Sicile. L’instant d’après, il appelait le tenancier du Lion d’Or à l’appareil.

— Est-ce que Victor jouait de l’harmonica ?

— Certainement. Il en jouait même dans la rue en marchant.

— Était-il le seul à en jouer ?

— Serge Madok en jouait aussi.

— Ils avaient chacun leur harmonica ?

— Je crois. Oui. C’est même certain, car il leur arrivait de faire des duos.

Or, il n’y avait qu’un harmonica dans la chambre du Lion d’Or quand Maigret l’avait fouillée.

Ce que Victor le simple était venu chercher quai de Charenton à l’insu de ses complices, ce pourquoi, en fin de compte, il était mort, c’était son harmonica.

CHAPITRE VIII

Ce qui advint après-midi allait s’ajouter aux quelques histoires que Mme Maigret racontait en souriant lors des réunions familiales.

Que Maigret rentrât à deux heures et se couchât en refusant de déjeuner, ce n’était pas trop extraordinaire, encore que son premier soin, a n’importe quelle heure, quand il pénétrait dans l’appartement, fût d’aller dans la cuisine soulever le couvercle des casseroles. Il prétendit, il est vrai, qu’il avait mangé. Puis, un peu plus tard, alors qu’elle le poussait un peu pendant qu’il se déshabillait, il avoua qu’il avait chipé une tranche de jambon dans la cuisine du quai de Charenton.

Elle ferma les stores, s’assura que son mari ne manquait de rien et sortit sur la pointe des pieds. La porte n’était pas refermée qu’il dormait profondément.

Sa vaisselle finie, la cuisine mise en ordre, elle hésita un bon moment à rentrer dans la chambre pour aller prendre son tricot qu’elle avait oublié. Elle écouta d’abord, entendit un souffle régulier, tourna le bouton avec précaution et s’avança sur la pointe des pieds sans faire plus de bruit qu’une bonne sœur. C’est à ce moment-là que, tout en continuant à respirer comme un homme endormi, il prononça d’une voix un peu pâteuse :

— Dis donc ! Deux millions et demi en cinq mois...

Il avait les yeux fermés, le teint très coloré. Elle crut qu’il parlait dans son sommeil, s’immobilisa néanmoins pour ne pas le réveiller.

— Comment t’y prendrais-tu pour dépenser ça, toi ?

Elle n’osait pas répondre, persuadée qu’il rêvait ; toujours sans remuer les paupières, il s’impatienta :

— Réponds, madame Maigret.

— Je ne sais pas, moi, chuchota-t-elle. Combien as-tu dit ?

— Deux millions et demi. Probablement beaucoup plus. C’est le minimum qu’ils ont ramassé dans les fermes et une bonne partie en pièces d’or. Il y a les chevaux, évidemment...

Il se retourna pesamment, et un de ses yeux s’entrouvrit un instant pour se fixer sur sa femme.

— On en revient toujours aux courses, tu comprends ?

Elle savait qu’il ne parlait pas pour elle, mais pour lui. Elle attendait qu’il fût rendormi pour se retirer comme elle était venue, même sans son tricot. Il se tut un bon moment, et elle put croire qu’il était rendormi.

— Écoute, madame Maigret. Il y a un détail que je voudrais connaître tout de suite. Où y avait-il des courses mardi dernier ? Dans la région parisienne, bien entendu. Téléphone !

— À qui veux-tu que je téléphone ?

— Au Paris-Mutuel. Tu trouveras le numéro dans l’annuaire.

L’appareil se trouvait dans la salle à manger, et le fil était trop court pour qu’on pût l’apporter dans la chambre. Mme Maigret se sentait toujours mal à l’aise quand elle devait parler devant le petit disque de métal, surtout à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Elle questionna, résignée :

— Je dis que c’est de ta part ?

— Si tu veux.

— Et si on me demande qui je suis ?

— On ne te le demandera pas.

À ce moment-là, il avait les deux yeux ouverts. Il était donc complètement réveillé. Elle passa dans la pièce voisine, laissa la porte ouverte pendant le temps qu’elle téléphonait. Ce fut très court. On aurait dit que l’employé qui lui répondait avait l’habitude de ces questions-là, et il devait connaître son calendrier des courses par cœur, car il lui donna le renseignement sans hésiter.

Or, quand Mme Maigret revint dans la chambre pour répéter à Maigret ce qu’on venait de lui dire, celui-ci dormait à poings fermés, la respiration assez sonore pour s’appeler ronflement.

Elle hésita à l’éveiller, décida qu’il valait mieux le laisser reposer. À tout hasard, elle laissa la porte de communication entrouverte et, de temps en temps, elle regardait l’heure avec étonnement, car les siestes de son mari étaient rarement longues.

À quatre heures, elle alla dans la cuisine pour mettre sa soupe au feu. À quatre heures et demie, elle jeta un coup d’œil dans la chambre, et son mari dormait toujours ; il devait rêver qu’il réfléchissait, car il avait les sourcils froncés, le front tout plissé et une drôle de moue aux lèvres.

Or voilà qu’un peu plus tard, alors qu’elle s’était rassise dans la salle à manger, à sa place, près de la fenêtre, elle entendait une voix qui prononçait avec impatience :

— Eh bien ! Cette communication ?

Elle se précipita, le regarda, étonnée, assis sur son séant.

— La ligne est occupée ? questionna-t-il le plus sérieusement du monde.

Cela fit un curieux effet à Mme Maigret. Elle eut presque peur, comme si son mari avait déliré.

— Bien sûr que j’ai la communication. Il y a près de trois heures de ça.

Il l’observait, incrédule.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Voyons, quelle heure est-il ?

— Cinq heures moins le quart.

Il ne s’était même pas aperçu qu’il s’était endormi. Il avait cru fermer les yeux le temps d’un coup de téléphone.

— Où était-ce ?

— À Vincennes.

— Qu’est-ce que j’avais dit ! triompha-t-il.

Il n’en avait parlé à personne, mais il l’avait suffisamment pensé pour que ce fût tout comme.

— Appelle-moi la rue des Saussaies... 00-90... Demande le bureau de Colombani...

— Qu’est-ce que je dois lui dire ?

— Rien. Je lui parlerai, pour autant qu’il ne soit pas encore en route.

Colombani était encore à son bureau. Il avait d’ailleurs l’habitude d’arriver en retard à ses rendez-vous. Il fut bien gentil et consentit à venir voir son collègue chez lui au lieu de le rencontrer à la P. J.

***

Elle lui avait préparé, sur sa demande, une tasse de café fort, mais cela n’avait pas suffi à le réveiller tout à fait. Il avait un tel arriéré de sommeil que ses paupières restaient roses, picotantes. Il lui semblait que sa peau était trop tendue. Il n’avait pas eu le courage de s’habiller et il avait passé un pantalon, des pantoufles, une robe de chambre sur sa chemise de nuit au col orné de petites croix rouges.