— Hein? Tu es devenu fou!
— Non. Je ne suis pas cinglé. Je vais tuer ce salaud pour toi.
Elle se lève à son tour, comme expulsée du canapé par une décharge électrique.
— Arrête, Aubin. Tu me fais peur.
— Tu as bien dit que tu aimerais le voir crever? Que ce serait un intense soulagement? Eh bien, je suis prêt à lui offrir un aller simple pour l'enfer.
— Aubin, je t'en prie, cesse de délirer.
— Ai-je l'air de délirer?
Pas le moins du monde.
— Je vais tuer ce type, avant qu'il te tue.
Il continue à la fixer, avec un regard effrayant. Non, il ne délire pas. Il est parfaitement sérieux.
— Tu n'as qu'un mot à dire, Morgane. Un seul. Et je le tuerai pour toi.
— Qu'est-ce que tu veux, hein? murmure-t-elle. Qu'est-ce que tu cherches? Tu essaies d'obtenir de l'argent, c'est ça? Tu crois que je vais te payer pour… Comme un tueur à gages!
— Tu ne m'écoutes pas quand je parle, soupire Aubin. Ton fric ne m'intéresse pas… tu peux te le garder.
— Je ne veux pas en entendre plus, dit-elle en prenant ses affaires. Tu es devenu complètement fou.
Elle se dirige vers la porte, il la rattrape in extremis.
— Oui, je suis fou, avoue le jeune homme.
Il passe ses bras autour de sa taille, l'attire un peu brutalement contre lui.
— De toi…
Elle ferme les yeux. Parce qu'elle ne voit plus à cet instant que le monstre qu'elle a enfanté.
Parce qu'elle brûle de lui dire oui, vas-y, tue-le pour moi.
— Donne-moi ce que je veux et il est mort, chuchote-t-il dans son oreille.
Elle se dégage de son emprise, recule de quelques pas.
— Pour qui tu te prends? balance-t-elle avec violence. Tu t'es regardé? Tu me donnes envie de vomir…
Elle s'arrête de cracher son venin, tourne la tête.
— C'est toi qui m'as défiguré, Morgane, rappelle-t-il d'une voix étrangement douce.
— Pardon, je… Je ne voulais pas dire ça… Pardon.
Elle ouvre la porte et s'enfuit à toute vitesse.
Elle reviendra, je le sais.
Tu reviendras, Morgane. Et tu seras à moi.
Décidément, l'été est pluvieux. En ce début du mois de juillet, les averses se succèdent.
Aubin a poussé le fauteuil devant la porte-fenêtre, il regarde la pluie qui s'acharne à lui faire oublier le soleil. Pourtant, c'est sans doute son dernier été. Dame Nature aurait pu faire un effort.
La sonnette retentit, il sourit. Il se lève en grimaçant de douleur, marche lentement jusqu'à l'interphone. Il n'est pas surpris d'entendre la voix de Morgane.
Elle reviendra, je le sais…
Cette femme devenue obsession. Qui hante ses jours, ses nuits, ses rêves et ses cauchemars.
Quelques secondes plus tard, elle s'avance vers lui. Il ne bouge pas, reste planté devant la porte, lui barrant le passage.
— Bonjour Aubin.
— Il n'y est pas allé de main morte, ce salaud, constate-t-il sans la moindre émotion apparente.
Elle détourne son regard un instant.
— Je peux entrer? demande-t-elle.
Il s'efface enfin pour la laisser pénétrer chez lui.
— Tu peux enlever tes lunettes, ici, ajoute-t-il en fermant la porte. Il n'y a pas de paparazzi sur le balcon.
Elle obéit, dévoilant un coquard à l'œil gauche. Elle se laisse tomber sur le sofa, allume une cigarette. Elle a recommencé à fumer, depuis peu.
Une marque de strangulation dans le cou, un hématome sur le visage. Sans doute d'autres sur le corps. Elle va encore être obligée de trouver un prétexte pour s'absenter du tournage en cours.
— C'était avant-hier soir, dit-elle. Il est devenu comme fou…
— Il est fou, rectifie sèchement Aubin.
Morgane s'effondre soudain en larmes, sans préavis. Il ne fait pas un geste, la regardant seulement se noyer dans ses propres sanglots. Au bout de quelques instants, il la prend par les épaules et l'oblige à relever la tête:
— Tu t'en es pris plein la gueule et tu t'es dit: tiens, si j'allais m'épancher sur l'épaule de ce cher Aubin?… C'est ça?
Il la considère avec un odieux sourire. Elle le repousse violemment, se met debout.
— Je voulais juste m'excuser pour ce que je t'ai dit la dernière fois, mais… mais j'ai eu tort de revenir!
— Tu mens. Tu n'es pas venue pour t'excuser. Juste aujourd'hui, juste après avoir subi la violence de ton cher mari. Quel curieux hasard!
— Tu as raison, je ne vois même pas ce que je suis venue faire ici! avoue-t-elle avec hargne.
Elle veut partir, il la retient, l'emprisonne dans ses bras.
— Oh si, tu sais parfaitement ce que tu es venue chercher ici, Morgane. Et moi aussi, je le sais.
— Lâche-moi, je m'en vais.
— T'as envie d'aller le retrouver? Il te manque? Tu as envie de mortier encore un peu?
— Laisse-moi! Je croyais que tu étais…
— Que j'étais quoi, Morgane? Un pauvre admirateur transi, rampant à tes pieds? Un objet de pitié, peut-être? Une bonne action pour rassurer ta conscience?
— Mon ami!
— Ton ami?
Il éclate de rire.
— Qu'est-ce que tu racontes, Morgane! On n'a jamais été amis, toi et moi. Jamais…
Elle recommence à sangloter, il caresse ses cheveux.
— C'est moi que tu es venue chercher, poursuit-il d'une voix tranquille. Et tu vas me demander de le tuer, je le sais. N'est-ce pas, Morgane?… Tu penses peut-être que tes larmes y suffiront. Qu'elles sauront m'apitoyer, que je n'exigerai rien d'autre…
Elle tente de se libérer, il la tient fermement, continue à parler près de son oreille.
— Mais un meurtre n'est jamais gratuit, Morgane. Jamais… Il faut que tu me donnes une bonne raison de me salir les mains pour toi.
Elle parvient enfin à se dégager, marche à reculons vers la porte. Titube, presque. Tout en le dévisageant avec horreur.
— Je ne suis pas pressé, annonce Aubin.
Il rit à nouveau.
— Enfin, reviens tout de même avant que je sois mort…
— Je ne remettrai plus jamais les pieds ici! prévient-elle d'une voix tremblante.
— Vraiment? Moi, je suis sûr que tu reviendras. La prochaine fois qu'il te frappera, qu'il te traitera comme une moins-que-rien. Tu reviendras, Morgane.
— Non! Tu ne vaux pas mieux que lui, finalement!
— Peut-être. Pourtant, c'est à moi que tu es venue te confier. C'est ici que tu es venue chercher de l'aide… Je ne vaux peut-être pas mieux que lui, mais moi, j'ai quelque chose à t'offrir.
Elle pose la main sur la poignée de la porte.
— Ne me fais pas trop attendre, Morgane. On ne sait jamais, je pourrais changer d'avis.
Il pensait qu'elle mettrait plus de temps. Il avait même quelques doutes. Reviendra-t-elle? Mais cinq jours plus tard, elle a frappé à sa porte. Seulement cinq jours…
… Morgane attend sagement sur le paillasson. Malgré la pénombre du couloir, Aubin devine qu'elle est salement amochée. Il ne fait pas un mouvement, comme s'il n'avait pas l'intention de la laisser entrer. Alors, elle le bouscule, manque même de lui faire perdre l'équilibre et s'invite dans l'appartement. Il sourit, ferme la porte.
À clef.
Elle est debout dans le salon, près de la table basse. Ils n'ont pas échangé un seul mot. Ils s'observent. Lui, continue à sourire, presque tendrement. Elle, ressemble à un morceau de marbre blanc.