Выбрать главу

Yann arrête de respirer. L'empreinte sanglante d'un tueur, la suivre au long d'une vie…

— Merde! Dis-moi que c'est pas vrai… Il s'est tiré y a combien de temps?

— A peine une heure.

— À peine une heure? Tu te fous de ma gueule ou quoi?

— T'énerve pas… Les képis sont déjà sur le coup, ils ont mis les barrages en place. Hénot a piqué la bagnole d'une femme devant l'hosto… Une Golf blanche.

— Des dégâts?

— Il a buté un infirmier, gravement blessé un vigile ainsi que la propriétaire de la voiture. Elle est entre la vie et la mort.

— Putain… T'es où?

— En bas de chez toi.

— J'arrive.

Pour rejoindre Avignon depuis Aix, ils en ont pour une petite heure environ. Mais Maxime Hénot, dans sa Golf, a pris de l'avance.

— Je dois y aller. On a un fou dangereux dans la nature.

— Fait chier! marmonne Natacha en se tournant face au mur.

Yann n'insiste pas. A quoi bon? Il s'habille à la va-vite, récupère son flingue au fond d'un tiroir avant d'enfiler un blouson. Dors bien, chérie.

Mardi, 6 h 07

Se débarrasser de cette Golf, recherchée par toute la flicaille. Devenue la cible. Trouver une autre caisse, mais d'abord planquer celle-ci pour que les keufs mettent un moment à réaliser qu'il a changé de monture. Il a dépassé Givors depuis peu; par les routes secondaires, c'est toujours plus long. Mais tellement plus sûr…

Une bourgade plutôt coquette se présente dans les nimbes gris du petit jour. Endroit idéal pour une halte.

6 h 55

Valise en main, Sonia se dirige vers l'autocar garé au milieu du parking. La porte est ouverte, pourtant le chauffeur n'est pas là. Elle jette un œil alentour: personne. Rendez-vous fixé à 7 h 30, elle est en avance. Un peu anxieuse, comme chaque fois qu'elle emmène ses protégés en excursion, elle monte les marches du Mercedes. Un véhicule flambant neuf, ses mômes vont être ravis! Elle se retourne, tombe nez à nez avec un homme. Petit cri de frayeur.

— Pardon! dit-elle en riant. Je ne vous avais pas entendu! Vous devez être le chauffeur?

Il se contente d'acquiescer.

— Sonia Lopez, l'éducatrice qui organise cette sortie. Enchantée!

Il saisit la main qu'elle lui tend, la serre un peu trop fort.

— Gilles.

— Ah…? Votre patron m'avait parlé d'un Bernard quelque chose…

— Bernard a eu un malaise, je le remplace au pied levé.

— Pas trop grave, j'espère?

— Quoi donc?

— Le malaise…

— Pas sûr qu'il survive.

La jeune femme reste bouche bée.

— Je plaisante, précise le chauffeur avec un petit sourire.

Un type grand, mince, pour ne pas dire maigre, avec un visage taillé à la serpe. Qui la fixe droit dans les yeux. Ces yeux qu'il a clairs. Et fascinants.

— Comme la porte était ouverte, je me suis permise de monter.

Putain, ce regard… A tomber à la renverse. Fenêtre turquoise ouverte sur un abîme sans fond.

— Les gamins ne vont plus tarder, bavarde-t-elle pour dissimuler sa gêne. Il faut combien de temps pour aller à Villard-de-Lans? Trois heures, c'est ça?

— Environ. Combien de passagers?

— Seize enfants, trois accompagnateurs — deux parents et moi — et le moniteur de sport. Ça fait… Vingt!

— Les enfants, quel âge?

— Entre six et huit, répond Sonia. Ils sont handicapés sensoriels ou déficients intellectuels légers.

Gilles fronce les sourcils.

— C'est-à-dire?

— Eh bien, certains sont malvoyants ou malentendants, explique l'éducatrice. D'autres sont trisomiques ou présentent des troubles du langage et de la communication.

Justement, les premiers enfants arrivent, offrant à Sonia une excuse pour redescendre du bus et se soustraire ainsi à l'emprise invisible de cet homme.

7 h 43

Un sac de sport sur l'épaule, il avance à vive allure vers l'attroupement autour du petit autocar. Une voiture de gendarmerie passe au ralenti dans la rue adjacente. L'homme jette un œil furtif au gyrophare avant de se fondre dans la foule. Une jeune femme brune, ravissante, lui adresse un sourire empli d'espoir:

— Vous êtes Luc, je suppose? J'ai cru que vous alliez nous faire faux bond!

Il sourit à son tour, visiblement soulagé, un peu essoufflé.

— Désolé d'être en retard, dit-il. Ma voiture est tombée en panne!

Elle lui tend la main:

— Sonia Lopez, l'éducatrice que vous avez eue au téléphone.

— J'avais reconnu votre voix!

Pas moi, a-t-elle envie de répondre. Elle se tourne vers les parents les plus proches:

— Voici Luc Garnier, le moniteur de sport qui nous accompagne dans le Vercors.

7 h 59

Le car est plein, les portes se ferment. Les enfants adressent de grands signes à leurs parents. Pour certains, c'est la première longue séparation, même si elle ne durera que cinq jours. Sonia parcourt l'allée centrale, vérifiant qu'ils sont confortablement installés et ont bouclé leur ceinture. Rassurée, elle revient près du chauffeur qui manœuvre pour sortir du parking. Sa conduite est brusque, hésitante. Il a déjà calé deux fois.

Pourvu que ça s'arrange, songe-t-elle. Sinon, mes petits vont être malades! Il l'a trouvé où, son permis? Dans une pochette-surprise…?

Elle observe à la dérobée le moniteur qui s'est assis au fond, son sac sur les genoux; sac qu'il fouille avec acharnement. Aurait-il oublié sa brosse à dents…? Il en extirpe un T-shirt, le détaille comme s'il le voyait pour la première fois. Puis un lecteur MP 3, qu'il se hâte de coller sur ses oreilles.

Le véhicule quitte enfin la ville, empli d'un joyeux brouhaha. Les deux parents volontaires pour encadrer le groupe, un homme et une femme, semblent dépassés par les événements. Finalement, ils s'assoient et commencent à lier connaissance. Inutile de vouloir calmer seize gamins surexcités partant en vacances: c'est perdu d'avance…

8 h 23

De retour à son bureau, le commissaire Yann Dumonthier sirote son énième café, aussi dégueulasse que les précédents. Mais qui allège un peu les paupières.

Maxime Hénot, 36 ans, reconnu coupable de sept meurtres. Non, huit depuis cette nuit. Depuis qu'il a sauvagement assassiné l'infirmier avant de prendre la fuite, en lui plantant un morceau de fer vaguement aiguisé en travers de la gorge.

Neuf, voire dix, si les deux blessés ne survivent pas.

Avant l'évasion de cette nuit, toujours le même mode opératoire ou presque: il assassine des couples, en commençant par la femme qu'il viole devant son mari avant de les éliminer tous les deux. A l'arme blanche, à mains nues ou avec ce qui lui tombe sous la main. Aucun rituel dans le meurtre: ce qu'il veut, c'est ravir la femme de l'autre, la lui prendre sous ses yeux impuissants. Sa femme, et parfois ses gosses, s'ils ont le malheur d'être là. Car Maxime Hénot a déjà tué un enfant. Yann se souvient… Killian, onze ans. Il replonge six ans en arrière, se met à penser à voix haute:

— Il ne tue jamais une proie quand elle est seule, uniquement lorsqu'il y a un ou plusieurs témoins. Ce qui l'excite, c'est la souffrance dans les yeux de l'autre. Oui, c'est ça qui t'excite, salopard…