Luc et Sonia vérifient si chaque enfant a correctement enfilé son gilet de sauvetage. Les voilà parés pour traverser le magnifique étang en canoë canadien. Les embarcations se remplissent avec, à leur bord, quatre gamins et un adulte. Martine affiche une mine qui semble vouloir dire, que suis-je venue faire dans cette galère?
Gilles, au bout du ponton, les regarde s'éloigner en fumant une cigarette.
9 h 55
Dans le canoë dirigé par Martin, qui pagaye comme s'il préparait les prochaines Olympiades, Cédric s'agite. Le gilet de sauvetage lui pince férocement la peau. Il ne supporte déjà plus cette prison gonflable. D'un geste malhabile, il desserre la sangle. Amaury, son inséparable copain, lui file un coup de main sous le regard réprobateur de leurs deux petites camarades de croisière, sages comme des images…
10 h 02
Amaury et Cédric s'excitent. Martin élève la voix, en vain. Amaury se penche pour prendre de l'eau dans sa main et asperger son copain. Les filles poussent des cris aigus, comme si la flotte était brûlante.
— Ça suffit! s'égosille le prof. Arrêtez, c'est dangereux!
Les garçons rient de plus belle. Cédric se penche à son tour, Amaury le bouscule un peu fort… Le gilet reste à la surface, Cédric coule à pic. Il remonte aussitôt, juste le temps de hurler, avant de boire à nouveau la tasse. Les trois enfants se mettent debout, Martin aussi. L'embarcation chavire.
Cédric est en train de se noyer, Martin fait la planche. Il vient de recevoir les cinquante kilos du canoë sur le crâne, navigue désormais dans les vapes.
Sonia et Luc, qui ont suivi la scène de loin, accélèrent la cadence pour rejoindre les naufragés. Mais ils n'ont pas vu que Cédric n'a plus son gilet, pensent qu'il s'agit juste d'un bain forcé.
Paniquée, Martine s'emmêle les pagaies, son kayak tourne en rond.
Gilles, lui, a déjà plongé.
10 h 23
— Je me gèle! avoue Gilles en essayant de réprimer ses claquements de dents.
— J'ai demandé une couverture, dit Sonia en posant une main sur son épaule.
— Merci.
— C'est moi qui te remercie… Tu as sauvé la vie de cet enfant. Sans toi, il se noyait.
— J'ai fait ce que je devais faire, rien de plus. Et notre expert en algèbre?
— Ça va mieux… Il récupère de sa frayeur.
— La prochaine fois, fais-leur découvrir le ping-pong!
— On peut se blesser en jouant au ping-pong…
— Vraiment? s'étonne le chauffeur. À part en avalant la raquette, je vois pas comment.
Sonia éclate de rire et lui offre une cigarette. Évacuer le stress.
— Va t'occuper des gamins, ordonne Gilles. Sinon, je vais avoir mauvaise conscience.
— Luc est avec eux. Martine a conduit Cédric chez le médecin le plus proche… Histoire de vérifier que tout va bien.
13 h 12
Yann rentre enfin chez lui. Dans l'entrée, une valise. Natacha est en train de manger un morceau. Il l'embrasse sur le front.
— Tiens, tu te souviens que tu habites ici? balance-t-elle avec un sourire acerbe.
— Arrête chérie, je t'en prie. Si tu crois que ça m'amuse…
— Tu aurais pu au moins m'appeler.
— Pardonne-moi… Tu vas où?
— Rejoindre mon amant! rétorque Natacha le plus naturellement du monde.
Dumonthier se contente de sourire tout en se préparant un jambon-beurre.
— Je vais à Paris, j'ai une émission de télé demain soir.
— Je m'arrangerai pour regarder, affirme le commissaire.
— Je pense que tu auras d'autres chats à fouetter. De toute façon, je fais ça pour vendre des bouquins, pas pour plaire à mon flic de mari. Quoique… J'aurais peut-être besoin de le reconquérir.
Elle claque la porte, un peu trop fort.
14 h 02
Encore un déjeuner sur l'herbe, au bord de l'eau. Avec observation de la multitude d'oiseaux nichant dans ce microcosme paradisiaque. Et dont Gilles a parlé avec passion.
— Je ne savais pas que tu étais ornithologue! sourit Sonia.
— Je suis juste chauffeur de bus.
— Chauffeur de bus, sauveteur et ornithologue: quel magnifique CV!
— Un type bourré de qualités, en somme! enchaîne Luc d'un ton qui se voudrait sincère.
Luc, qui fait grise mine. Il faut dire qu'ils ont frôlé la catastrophe et qu'il est responsable de la sécurité de toute activité sportive.
— On ne pouvait pas prévoir que Cédric détacherait son gilet, dit Sonia. Tu n'as rien à te reprocher, je t'assure. Et puis, tout est bien qui finit bien.
— Pas grâce à moi, répond le moniteur, le regard étrangement trouble.
14 h 16
Yann sort de la salle de bains en peignoir. Natacha bouquine, étendue sur le lit.
— Ça a l'air passionnant ce que tu lis, dit-il en s'asseyant près d'elle.
— Normal, c'est pas moi qui l'ai écrit!
Il sourit, l'embrasse dans la nuque.
— Désolé de ne pas avoir appelé. Je suis terrorisé de savoir ce type en liberté et…
— Ça va, n'en parlons plus.
Elle délaisse enfin son roman pour s'intéresser à lui. Ils reprennent là où ils s'étaient arrêtés deux nuits avant.
Trois minutes plus tard, le téléphone sonne.
— Putain, c'est un cauchemar! murmure Natacha.
Yann met quelques secondes à se lever; il décroche juste à temps.
— Oui, Fischer?
— On a un mec assassiné à Montant.
— C'est où, ça?
— Vingt kilomètres au sud de Lyon. On l'a retrouvé dans le coffre de la Golf blanche… Je passe te chercher?
— Je t'attends.
— Décidément, soupire Natacha, ton Maxime Hénot, c'est le meilleur moyen de contraception que je connaisse… Tu pourras le lui dire, quand tu le choperas.
15 h 11
Après-midi chasse au trésor. Quatre groupes d'enfants partant se perdre dans les bois à la recherche d'indices qui les conduiront à une cargaison de bonbons.
Cédric va bien, mais Martine l'a consigné au gîte où elle reste près de lui, veillant à ce qu'il se repose.
Luc part en premier, avec ses mômes. Quelques instants plus tard, Gilles, qui s'est proposé pour remplacer Martine, entraîne son groupe surexcité dans la direction opposée. Sonia est rassurée de savoir les enfants entre de si bonnes mains.
17 h 07
— Le type dans le coffre n'a plus ni vêtements, ni papiers, monsieur le directeur. On suppose donc que Hénot a usurpé son identité et volé sa voiture. D'après le légiste, le décès remonte à hier matin.
— Il faut trouver le nom de ce cadavre, Dumonthier! en déduit astucieusement le patron.
— C'est ce que nous nous employons à faire… Il faudrait surtout savoir dans quel véhicule il se déplaçait. Nous montrons sa photo à un maximum de riverains, mais comme le temps presse, j'aimerais la diffuser aux infos régionales ce soir.
— Excellente idée, Dumonthier. La photo d'un macchabée à la télé, pile à l'heure du dîner, voilà qui va nous rendre populaires!
— Arrêter Maxime Hénot, voilà ce qui nous rendra populaires, monsieur. Surtout s'il commet un meurtre par jour. Le visage de l'inconnu n'est pas trop abîmé, on dirait qu'il dort. Vous pouvez essayer de faire retoucher le cliché pour qu'il ait l'air vivant.