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Il ne rit plus, il hurle.

«Comme je te l'ai écrit, je compte bien te remercier, à ma façon. Te rendre la monnaie de ta pièce. C'est le moment de payer, Morgane.

Tu es arrivée à destination. Et tu ne peux plus faire demi-tour.

J'ai l'impression que tu t'aimes beaucoup. Alors tu vas pouvoir crever en t'admirant sur ces magnifiques photos. Tu vas avoir tout le temps… Le temps de mourir de faim, de soif ou de froid… A moins que tu ne meures de peur!

Adieu, Morgane… Non: je te garde une place en enfer. Là, tu seras bien obligée de jouer à mes côtés.»

La cassette défile jusqu'au bout puis s'arrête enfin. Le silence leur tombe dessus comme une malédiction.

Marc reprend enfin ses esprits.

— Bon, restons calmes, dit-il. On va sortir d'ici. Le tout, c'est de garder notre sang-froid.

Il s'acharne à nouveau sur la porte. Coups de pied, coups d'épaule. Hurlements de fauve. Mais il doit se rendre à l'évidence: ce n'est pas comme ça qu'ils vont s'en tirer.

— J'ai vu un coffre au fond! réalise-t-il soudain en se massant l'épaule. Essaie de me trouver des outils, quelque chose pour faire levier… Quelque chose qui pourra nous aider à foutre le camp d'ici!

Morgane ne bouge pas d'un centimètre, complètement paralysée.

— Magne-toi! hurle son mari.

Comme elle est toujours pétrifiée, il lui arrache la lampe des mains et se dirige vers l'énorme coffre en palissandre qui trône sur une table basse, dans un angle de la pièce.

— Putain, il est fermé!

Il récupère le trousseau remis par le notaire dans la poche de son blouson en cuir, essaie une première clef qui semble correspondre.

— Ça ne marche pas! vocifère-t-il.

Morgane voudrait hurler. Seul un murmure s'échappe de ses lèvres.

— Marc, non…

— Ça y est, j'ai la bonne!.. Pourvu qu'il y ait quelque chose là-dedans. Autre chose que des putains de photos de toi!

— Marc, non!

Cette fois, elle a hurlé. De toutes ses forces. Trop tard.

En ouvrant le coffre, Marc sent une légère résistance.

Ce qui suit, Morgane a l'impression de le vivre au ralenti. Pourtant, tout va à une vitesse hallucinante.

Déclic, étincelle de feu, déflagration assourdissante.

Un cri et le bruit sourd de la chute. Un corps qui tombe, un homme qui s'effondre… Un fracas qui résonnera longtemps dans sa tête.

Elle garde la bouche ouverte, tremble des pieds à la tête. Puis ses dents commencent à s'entrechoquer de façon morbide. Grâce à la lampe sur le sol, elle peut apercevoir Marc, gisant sur le côté, les deux mains sur son abdomen. Là où la décharge de chevrotine a déchiqueté ses entrailles. A bout portant.

Il continue à gémir, elle continue à ne rien faire.

— Aide-moi…

Elle fond en larmes d'un seul coup, tombe à genoux dans la poussière.

— Mon Dieu, Marc!

— Putain, ce que j'ai mal…

D'une main hésitante, elle caresse ses cheveux. Des spasmes déchirent sa poitrine.

— Je vais crever ici…

— Marc, c'est… C'est de ma faute! dit-elle entre deux sanglots. C'est de ma faute! Je n'aurais jamais dû…

Il lève une main ensanglantée vers le visage de sa femme, l'effleure doucement. Y laissant un tatouage écarlate.

— C'est vrai que… que tu es une très bonne actrice… La meilleure.

Elle ferme les yeux.

— Fais quelque… chose, Morgane… Me laisse pas crever ici…

Elle se relève, empoigne la lampe. À force d'éclairer les murs, elle s'aperçoit qu'il y a une petite fenêtre recouverte d'un épais tissu noir. Elle l'arrache en poussant des cris de forcenée et découvre une grille derrière la vitre.

Et pas de poignée, bien sûr.

Impossible de quitter cette maudite baraque.

Elle revient vers Marc, toujours par terre. Dans une flaque rouge et visqueuse qui ne cesse de grandir. Il n'arrive presque plus à ouvrir les yeux.

— Casse la vitre, murmure-t-il. Et appelle… Hurle aussi fort que tu peux… Fais-le, Morgane, je t'en supplie.

A l'aide de la Maglite, elle s'attaque à la vitre, qui vole rapidement en éclats.

— Au secours! A l'aide!

Une voix de plus en plus faible continue à l'implorer.

— Morgane, je t'en prie… J'ai mal, je vais crever! J'veux pas mourir!

— À l'aide! On est bloqués ici, aidez-nous! Mon mari est gravement blessé, j' ai besoin d'aide!.. Est-ce que quelqu'un m'entend?

* * *

Oui, Morgane. Quelqu'un t'entend.

Richard peut même voir ton visage à la fenêtre.

Pourtant, il s'en va. Il court, si vite qu'il tombe. Il se relève, continue à cavaler comme un gibier traqué. Pris d'une panique incontrôlable.

Il a entendu le coup de feu. Puis tes appels au secours déchirants.

Comment pourrait-il expliquer sa présence ici? Comment pourrait-il justifier de t'avoir suivie?

Enfin, il rejoint sa voiture, au bord de l'asphyxie, et démarre aussitôt.

* * *

Il fait nuit noire, maintenant.

Morgane n'a pas songé à éteindre la Maglite cet après-midi, la laissant brûler inutilement.

Juste pour ne pas affronter les ténèbres.

Cierge pour veillée mortuaire.

Et lentement, la lumière s'est enfuie.

De temps en temps, Morgane parle. Elle ne sait même plus de quoi, à qui.

Le froid la bouffe de l'intérieur, l'attaque de l'extérieur.

La peur est là, collée à sa peau glacée. La mort est là, tout près.

Il y a des heures que Marc s'est éteint. En même temps que la lampe.

Il n'avait plus de souffle, elle n'avait plus de piles.

* * *

Privas, le 30 octobre 1991 — Commissariat de police, 14 h 00

— Vous voulez bien signer votre déposition, madame Agostini?

Le commandant lui tend un stylo à bille, elle le prend d'une main qui tremble encore et appose sa signature en bas de page.

— Voilà, vous allez pouvoir rentrer chez vous maintenant.

— J'attends mon chauffeur, murmure-t-elle. Je ne suis pas en état de conduire.

— Bien sûr. Je vais mettre une pièce à votre disposition, vous pourrez patienter en toute tranquillité.

— Et… Et mon mari?

— Il est à l'Institut médico-légal. Comme je vous l'ai dit, nous devons procéder à une autopsie.

Morgane ferme les yeux.

— Ensuite, nous vous rendrons son corps. Je comprends votre détresse, madame. Je comprends, croyez-moi. C'est vous que ce fou visait. Vous avez échappé à la mort de justesse. Si ces chasseurs ne vous avaient pas entendue appeler à l'aide, vous auriez pu rester plusieurs jours dans cette maison… Et mourir à votre tour.

— J'ai eu de la chance, c'est ça?

C'est vrai qu'elle est belle. Encore plus que sur grand écran. Le flic a du mal à cacher son trouble. Il aimerait bien la prendre dans ses bras, la consoler.

— Je n'ai pas dit ça, madame. J'ai dit que ça aurait pu être pire.

— J'ai perdu mon mari, je ne vois pas comment ça pourrait être pire!

— Vous auriez pu mourir tous les deux.