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Face à elle se trouvent deux fauteuils. A chaque extrémité du hall, il y a un gorille basané dans un costar clair, une belle cravate peinte dénouée au cou et une hypertrophie à gauche de la poitrine, because un holster hébergeant un extincteur de vie auquel ne résisterait pas un éléphant.

Dès que j’ai franchi la porte, le sas se referme derrière moi avec le bruit glisseur d’un tiroir de morgue.

Aucun des trois personnages ne bronche, c’est à peine s’ils me regardent surviendre. Ils posent comme a priori qu’ils m’enculent moralement, physiquement, civilement, et sans les honneurs militaires.

Je me dirige donc vers la fille d’un pas que je voudrais assuré, mais qui doit comporter quelque raideur.

Parvenu devant son burlingue, je lui vote une œillade tellement langoureuse qu’un chanteur napolitain en ferait caca dans le trou de sa mandoline.

La donzelle reste impassible. Elle ne cille pas. Un pareil self-control n’est pas donné à tout le monde, crois-moi. Faut une sacrée énergie à une sœur pour ne pas broncher quand je lui décerne mon œillade enjôleuse number one.

Pour amorcer la converse, je lui représente ma brème professionnelle ; mais elle l’élude d’une mimique comme étant du déjà-vu.

— Je souhaiterais m’entretenir avec la personne la plus proche de Son Excellence l’ambassadeur, dis-je d’un ton que je pense impénétrable, mais qui l’impressionne autant qu’une hypersécrétion de sébum sur le nez de Léon Zitrone.

J’entends enfin la voix de ma terlocutrice :

— A quel propos ?

— A propos de Son Excellence, précisément.

Elle force l’intensité de son regard au risque de faire disjoncter mes lotos.

— Si vous souhaitez dire quelque chose de particulier concernant Son Excellence, c’est à elle-même qu’il faut parler.

— Je le souhaiterais ardemment, mais en son absence…

La femme me darde de plus en plus fortement, au point que ses prunelles de feu me font des cloques sur les pommettes.

Puis elle semble prendre une décision et décroche l’un de ses téléphones.

Une voix masculine lui répond. La voilà qui se met à jacter fissa mais sans véhémence. Elle ne me regarde plus, fixe les ongles également mauves de sa main gauche.

Elle use d’un parfum plutôt violent, la sœur, très oriental ; je me dis que si elle s’en met sur tout le corps, je me paierais une chouette crise d’éternuements en lui dégustant le trésor.

Le gusman auquel elle turlure doit lui dire d’attendre car elle cesse de parler tout en demeurant en ligne.

Au bout d’un moment assez long à mon gré, une autre voix se manifeste. Elle lui répond avec déférence. C’est très bref.

Presque aussitôt, elle remet le combiné sur sa branche fourchue, adresse un signe à l’un des mastards de la sécurité. Le gorille développe un corps de basketteur noir américain et s’approche d’une démarche très souple pour son gabarit.

La secrétaire lui donne un ordre puis, à ma pomme :

— Son Excellence va vous recevoir.

Je ne peux me retenir de demander :

— Quelle Excellence ?

Ma question paraît la déconcerter un tout petit poil de zob. Elle me flashe d’un air singulier :

— J’ai cru comprendre que vous vouliez parler à M. l’ambassadeur, non ?

— Heu, bien sûr.

— Eh bien, on va vous conduire à lui.

J’emboîte le pas au gorille. Je dois ressembler à un boxeur groggy sauvé par le gong.

Un ascenseur capitonné de soie comme un luxueux écrin me hisse au premier.

A l’instant où j’en sors, une saloperie de môme qui doit atteindre ses sept ans sans qu’ils lui apportent l’âge de raison, me braque le canon d’une mitraillette jouet dans les roustons en gueulant « Haut les mains ! » en arabe moderne.

Le choc est si violent que je manque en dégueuler dans les chiraz.

Je m’immobilise, me tenant la panoplie d’alcôve à deux mains. J’espère que mon mentor va morigéner le mouflet, mais je t’en fous : il demeure impassible et le môme Trouduc me porte un nouveau coup, dans le bide cette fois. Naturellement, mon premier réflexe est de beigner la gueule de l’effronté, mais je me rappelle in extremis que les fils de princes ont tous les droits et que, ce faisant, je créerais un incident diplomatique avec l’État chyrien. Alors, bon, je surmonte ma nausée, domine ma douleur, enveloppe ma colère dans de la ouate dont j’aimerais bien me servir pour m’emmitoufler les valseuses et adresse au garnement un bon sourire plein de reconnaissance.

Le garde m’entraîne dans le couloir tandis que Sa Petite Majesté de merde tente de me sodomiser à travers mon futal avec le canon de sa mitraillette. J’adore les enfants, mais je suis intimement persuadé qu’une fessée jusqu’au sang, saupoudrée de poivre, ne ferait pas de mal à celui-ci.

Une double porte moulurée et dorée. Mon guide y toque.

On lui répond d’entrer.

Il ouvre et s’efface. Le gosse me lâche les baskets pour filer un coup de crosse dans les chevilles du garde du corps. Bravo ! Je suis d’accord. Le mec ne réagit pas plus qu’à une chiure de mouche.

Je les oublie l’un et l’autre en formant des vœux inchantables pour que le petit con de prince se fasse assaisonner par l’esclave. A notre époque, rien ne justifie qu’on tolère un chiare mal élevé, fût-il prince, roi, empereur ou fils de pute.

Et maintenant, Santantonio, reprends ta narration sans te laisser distraire par d’humbles épisodes de la vie domestique.

Je me trouve dans une très vaste pièce qui, en définitive, doit être une chambre, si je m’en réfère à l’immense catafalque dressé sur un praticable tendu de velours vert.

Impressionnant.

Tu gravis trois marches et tu accèdes à un gigantesque lit bas mesurant au moins quatre mètres de large sur trois de long (si l'on peut s’exprimer de la sorte). Dans ce plumard hors série, quatre personnages qui le sont également ; un homme et trois femmes.

Le mec n’est autre que le prince Kanular, ambassadeur de Chyrie, président de l'O.RC.D.Q.R.S.F.

Il porte une robe de chambre en velours vert à parements rouges et brandebourgs d’or.

Les trois dames, et c’est là que le sidérant rejoint l’incroyable, sont des sœurs « trumelles » monozygotes dont la ressemblance est stupéfiante au point de te causer un malaise ! T’as beau les mater l’une après l’autre, bien posément, l’impression que tu en tires confine au vertige. Un mec blindé se croirait arrivé au stade qui prélimine les chauves-souris géantes et les énormes lézards verts du delirium tremens. Deux, c’est fascinant, à ce degré d’identisme, mais trois, ça fait peur ; tu te crois grevé d’un maléfice dont il sera coton de te débarrasser.

Bêtement, je souris à cette triple et même image.

Beau triptyque ! Les trois filles sont brunes, coiffées à la garçonne, et portent la même tunique largement échancrée et fendue du bas jusqu’au haut de la cuisse. L’échancrure du décolleté ne cache pas grand-chose des seins abondants, en forme de poire, dont l’entre-deux vertigineux te fait venir l’eau à la bite. Six yeux à l’iris couleur d’iris composent, semble-t-il, un seul regard en trois exemplaires. Sur les trois visages se reflète la même expression intéressée et un brin salace. Je reste pantois devant cette vision extraordinaire.

Mais j’ai le devoir pressant de m’expliquer.

— Je suis navré de vous importuner, Monseigneur, articulé-je comme un qui vient de mordre dans une pomme au caramel non encore refroidi. Des faits d’une grande importance m’obligent de troubler votre quiétude.