Machinalement, ma dextre se pose sur la cuisse de la troisième partie de cette trinité ensorcelante. C’est tiède, c’est lisse, et il s’en dégage une formidable électricité pas si statique qu’on le pourrait croire. J’ai l’ami Popaul qui se transforme dard-dard en perchoir à perroquet. D’autant que, le prince a raison : les trois filles sentent le désir comme le cul de ta femme quand tu pars en voyage et que le temps va changer.
Karim Kanular parle enfin.
— Cher monsieur, fait-il, me permettez-vous d’envoyer chercher dame Mina, la gentille bordelière ? Il serait intéressant que vous l’interrogiez en ma présence, il me semble ?
— Très bien vu, Excellence, approuvé-je. J’ai des hommes à moi, dans la rue ; je vais leur dire de l’amener ici, puisque vous me le proposez si aimablement.
Toinet fait le pied de grue devant l’ambassade. Je le hèle et lui demande d’aller quérir la taulière.
— Tu as des indices concernant l’ambassadeur ? demande-t-il.
— Plus fort que ça, réponds-je : j’ai l’ambassadeur en personne…
Il débonde des coquilles.
— Comment ça, p’pa ?
— Nous sommes encore loin des explications auxquelles tout lecteur a droit, soupiré-je. Fais ce que je te dis dans les meilleurs délais, mon grand garçon, et tu en seras récompensé.
Là-dessus, je retourne à l’alcôve princière où, au cours de ma brève absence, les choses ont évolué, en ce sens que Monseigneur l’Excellence est en train de se faire turluter le Nestor par ses trois sublimes, alternativement. Je sursaute en constatant qu’il est chibré comme un lutteur turc. C’est pas le zigomar de Béru, mais pas loin s’en faut.
Les sœurs Karamazov l’ont entrepris en grand. L’une d’elles lui polit le casque de Néron, une autre s’occupe de ses sombres aumônières, lesquelles paraissent dures comme des noix de coco, tandis que la troisième lui énuclée l’œil-de-bronze de son pouce.
Les trois grâces (l’anagramme est valable aussi) œuvrent en esprit d’équipe : coordination des gestes, précision de la thérapie, onomatopées soigneusement étudiées. La technique est brillante, les initiatives judicieuses, les gestes harmonieux et dénués de fioritures. On comprend toute l’efficacité d’une pratique, sans cesse révisée. Au travail rigoureux s’ajoute une inspiration rare, celle-là même qu’engendre la véritable sensualité toujours remise en question.
Une troïka aussi perfectionnée provoque l’admiration. La mienne est totale. Je me dis qu’il conviendrait de filmer l’opération, non à des fins salaces, mais afin de révéler l’importance d’une forte expérience à celles (et à ceux) pour qui l’amour physique est un apostolat.
Je reste là, assis en biais au pied de la vaste couche, fabuleux terrain de manœuvres où s’accomplit l’exploit. Impressionné par un tel savoir-faire auquel se mêlent les richesses d’initiatives toujours renouvelées.
Au milieu de ce foisonnement « luxuriant », le prince-diplomate m’aperçoit et retrouve ses soucis d’hôte.
— Venez, venez, mon cher ! lance-t-il avec son affabilité coutumière. Vous avez votre place dans ce tableau vivant.
Tu résisterais à pareille invite, toi ?
Pour mézigo, c’est impossible. Tournemain, je suis dépiauté et la tête chercheuse de l’Antonio se met en quête d’un terrier.
N’a plus son libre « arbite » (ou arbi). Pas le temps de demander mon chemin. C’est kif un essaim de frelons qui s’abattrait sur moi. Je suis agrippé, happé, pompé, ventousé. J’ai le bas-ventre léché, les roustons mordillés, le filet stimulé aux battements de cils, l’oigne onguenté, la bouche lubrifiée à la chatte survoltée ; toutes mes zones érogènes sont prises à partie, voire simplement en considération. On m’inflige un bonheur physique si éperdu qu’il en est douloureux.
Et tu voudrais que j’entre dans les ordres, toi ?
MON DIEU !
L’autre nuit, j’ai fait un rêve prémonitoire.
J’ai rêvé que j’étais déclaré hors la loi et que mes bouquins étaient mis au pilori. On perquisitionnait chez les gens, au hasard, et quand on trouvait un Sana chez eux, on les passait par les armes. Lorsqu’un stock de mes zœuvres était découvert dans quelque dépôt de distribution, on procédait à un autodafé et l’on brûlait le gérant du dépôt en question en même temps que mes inoubliables bouquins.
Moi, j’étais claquemuré en une confidentielle mansarde par le vasistas (ou tabatière) duquel je contemplais le brasier en tentant vainement de chiffrer les droits d’auteur perdus. Je pensais, philosophiquement, que voir détruire son œuvre par un Etat totalitaire constituait un privilège bien plus grand que d’entrer à l’Académie française, puisqu’on la juge assez importante pour l’anéantir, au lieu de la glorifier sottement et vainement par des pompes à merde chamarrées et séniles.
Des discours, bien sûr, accompagnaient cette destruction, aussi cons et verbeux que ceux qui sont ânonnés sous la Coupole, car dès qu’il parle et quoi qu’il dise, l’homme n’ouvre sa gueule que pour en laisser sortir des turpitudes.
Mon réveil, ne m’apporta pas de soulagement, comme c’est le cas à l’issue d’un cauchemar, plutôt d’obscurs regrets, car il ne me déplairait pas de souffrir pour une chose qui m’aura donné tant de joies, d’argent et de déconsidération. Que mon œuvre soit un peu mongolienne sur les bords renforce la tendresse que je ressens pour elle ; aussi trouvé-je équitable de partager l’opprobre qu’elle soulève de-ci, de-là, et tout principalement chez les cons pincés.
Si je fais allusion à mon rêve, au moment où des trumelles en rut sollicitent à fond mes glandes pour extirper de moi quelques centilitres d’une sève surchoix, c’est parce que je le trouve tout à coup riche de sens et dérisoire. Je suis embarqué dans des tribulations charnelles si intenses qu’elles rendent inintéressant ce qui ne concerne pas ma bite. Dans quelques instants, un spasme libérateur remettra tout en ordre et ma vie retrouvera les hiérarchies qui la gèrent, mais en cet instant hors du temps, tout se trouve aboli et nié. Cette explosion qui est déjà constituée dans mes bourses et que je parviens encore à contenir ou plutôt à différer, représente le réel mystère de ma vie. Seulement je vais la libérer et, une fois la secousse tellurique (ou tellurienne) passée, je vais redevenir gros jean, ou gros con, comme devant.
Les trois acharnées, sentant ma petite mort prochaine, se battent, ou presque, pour recueillir mon offrande à la terre. Mon braque est assailli par trois mêmes bouches affamées qui font penser aux oisillons de la pub Esso. Que la meilleure gagne !
Je ferme les yeux et m’envole vers l’extase.
Le guignol qui cogne à 150, des lancineries de feu derrière ma tronche, je reste inerte tandis que les trois ineffables me finissent bien à fond.
Je perçois une sonnerie. La voix du diplomate, brève et incisive, dit une seule syllabe.
Je rouvre les yeux. Ces dames me contemplent en souriant, émues. L’une d’elles murmure je ne sais quoi au prince, lequel, pendant mes péripéties copulatoires, s’est tenu en réserve de la République (voire de son sultanat).
Nos regards se rencontrant, il traduit :
— Il paraît que vous êtes d’une abondance exceptionnelle, monsieur le directeur.
— Un tel festin le méritait, réponds-je avec une grâce très XVIIe siècle.
Là-dessus, comme dit La Fontaine dans « Le loup et l’agneau », on toque à la lourde. Kanular balance une onomatopée. La porte s’ouvre. Le malabar qui, naguère m’a convoyé, amène cette fois la brave mère Mina, very nice dans un manteau de léopard et coiffée d’une toque taillée dans le même bestiau ou dans la peau de son cousin germain.