Sourire ponctué d’un léger opinement de tronche.
Malgré le gaz de vérité, elle reste sur une certaine réserve, comme disait un de mes amis indiens. A croire que sa nature secrète livre un combat contre l’inhalateur de mon pote. Pourtant, rien de conflictuel ne transparaît sur sa physionomie.
— Son cadavre est toujours chez la tenancière, le prince est au courant ?
Acquiescement de la jolie secrétaire.
— Que compte faire Son Excellence ?
Elle a un hochement de tête s’enfoutiste.
— Rien ? j’insiste-t-il.
— Elle va attendre ; il faut bien en passer par là !
Un temps, puis elle complète :
— Vous ne pensez pas ?
Moi, gros con comme devon :
— Évidemment !
Pourtant, j’ajoute :
— L’affaire va faire du bruit.
Mon interlocutrice hausse les épaules :
— C’est un mal nécessaire.
Voilà que ça se met à déféquer dans le landerneau ! Une lourde du hall, dissimulée dans une tapisserie qui représente un sage assis sur un tapis, près d’un minaret, avec plein de colombes autour, s’ouvre brusquement et deux mecs se pointent. Pas grands, secs, avec des barbes de prophètes assermentés.
Ils putoisent comme des perdus afin d’alerter les deux gardes ; ça réveille celui qui dort, délecturise celui qui consultait les Dernières Nouvelles d’Alsace.
Ça glapit, gueule, tonitrue. Les deux hommes se précipitent sur la secrétaire et sur moi, leurs parabellums dégainés. Nous les enfoncent dans l’abdomen. Nous arrachent de nos sièges. La môme interjectionne à tout berzingue, et en arabe, ce qui n’arrange rien.
— Eh là !… Doucement ! j’offusque. Je suis le directeur de la Police !
Mais ça continue de crillasser, y a de l’égosillance au max du niveau sonore, que ça sature, si tu voudras que je te dise. C’est surtout après la gerce qu’ils se démènent. Torrentiels ! L’oued en crue. A l’oued, rien de niveau ! La pauvre gonzesse proteste de plus en plus mollement. Moi, je me dis que ces nergumènes vont nous faire un mauvais parti, sur leur lancée et avec des armes à feu à dispose. Alors, j’agis, qu’autrement personne ne le fera en mes lieu et place pour assainir mon horoscope.
Le petit inhalateur de Mathias. Je m’en vigule deux trois narinées du côté inoffensif. Puis le retourne et dégage autour de moi, plein pot, en me retenant de respirer. D’abondance. En décrivant un 360°. Que ces gens sont tellement inhabitués à de pareilles façons qu’ils se demandent ce dont je fabrique. Et le gars Mézigue, fils unique et préféré de Félicie, cœur-joise de grand rechef : « tchloque tchloque ». Les belliqueux se calment, en arrivent à se demander ce qu’ils branlent là, en cercle, et pourquoi ils sont essoufflés, tout rouges, le poil hérissonné avec de la sueur au front et des traces de freinage dans leurs calbute. Je leur souris. Ils me sourient. Dents blanches, avec moins d’incisives que tout de suite avant.
Un bref état de la situation me fait apparaître qu’il me serait bon de prendre, en vrac, mes cliques d’un côté, mes claques de l’autre, et de m’emporter ailleurs dans les meilleurs des laids.
Je souscris d’emblée à cette autosuggestion et retrouve avec un immense plaisir l’air vivifiant, quoique pollué, de ce Paris dont on m’a seriné qu’il serait toujours Paris. Et que veux-tu qu’il fasse d’autre ?
Pinuche dort, façon marmotte. A l’odeur de beau cuir de sa Rolls, se mêle celle de ses chaussettes de laine dont le suint suinte.
Tagada !
CLOQUE
Les grands cimetières sous la lune, qu’il a écrit, Bernanos. J’en suis certain : je l’ai pas lu. T’as beau être cultivé, t’as des trous, comme le gruyère français (le suisse, lui, n’en a pas).
Le soir rôde entre les tombes. Les ombres s’allongent comme ma bite dans la main d’une dame rencontrée au cinoche à la projection de « Le doigt sur une chatte brûlante », d’après la fameuse pièce de j’sais plus qui, mais c’était bien.
Contrairement à ce que d’aucuns, et même d’autres, assurent, les cimetières ne m’impressionnent pas le moindre. Ces bonnes gens peinards, dont l’absence a été excusée une fois pour toutes, me communiquent un sentiment de paix. Ils furent et ne sont plus. Tous mes compliments ! Les moins émus. Les plus sincères. Nous autres, nous continuons de nous faire chier à marcher entre leurs tombes. A la mémoire de Césarin Godiveau, d’Amélie Mélaux, de Trac et de Muche, bons cons venus et repartis, spermatozoïdes différés, un instant détournés de la bonde du bidet pour exister, faire semblant ; se chicaner, se haïr, très peu s’aimer, et enfin pourrir homo humus ! Trois petits coups de zob et puis s’en vont. Et y aura fallu les aimer, because frères z’humains, tu m’as compris ?
Oh ! mais que c’est abominable, tout ça ! La colique m’en biche, d’y penser. Parce que c’est sans vraie fin. Juste un déroulant sur boucle. Je le sais : j’ai eu l’occasion de mourir, deux ou trois fois, juste le temps de piger que ça ne sert à rien de crever. T’es pas davantage fini après qu’avant. La fin, c’est que c’est sans fin. Mais tu peux pas entrevoir, tu crois trop aux histoires bien faites. Le malentendu littéraire d’où tout découle, c’est ces trois foutues lettres : FIN. On aurait le temps, j’arriverais peut-être à te faire partager ma philosophie qui est : « Rien, avec Dieu autour ». Qu’à quoi bon, mon pleutre ? Qu’à quoi bon ?
Voilà ce dont je réfléchis, moi, Santonio, bricoleur de basses œuvres, semeur de foutre et d’idées folles. Assis sur la pierre d’Evariste Corniflard, 1908–1976 dont la gueule émaillée fait apprécier le trépas : gros glandeur engoncé dans sa graisse. Crise cardiaque, je te prends le pari. La paupière lourde sur un regard de bite. Moustache comme deux brosses à dents circonflexes. Trois mentons et un quatrième en chantier. Tiens, un limaçon vient lui rendre visite. Bave sur sa cravate noire. Hermaphrodite, le pauvre ! Corniflard devait l'être aussi, moralement, en tout cas. Comme tout le monde. On n’est pas finis, les uns les autres. On cause, on éjacule, mais ça consiste en quoi ? Où ça va ? que répétait mon Francisque.
J’attends. Ma Cartier, inflexible, m’annonce neuf heures dix et il existe encore une vague traînée de clarté au fond du ciel, vers l’Amérique, tu vois ?
Sur son fax trouvé à notre P.C., Toinet a mis :
Qu’est-ce que tu fiches ? Impossible de te joindre nulle part ! Si tu reçois cette babille à temps, trouve-toi, ce soir, dès le début de la nuit, au cimetière du Mont-Charognarre ; il risque de s’y passer des choses.
Bon, alors m’y voici.
Toujours imprévoyant, je n’ai pas pris de survêtement, non plus que de bouftance. Je suis le genre de flic qui s’estime prêt à tout affronter, y compris l’Annapuma, quand il a son feu avec un chargeur de rechange.
J’ai choisi le caveau d’Evariste Corniflard comme poste d’observation car il est dominant dans ce cimetière en pente. Assis sur la dalle et adossé à la sainte croix de pierre, les cannes allongées, j’ai une vue d’ensemble du lieu. L’idéal de mon observatoire, c’est qu’il se trouve contre une haie de hauts cyprès dont l’ombre me dissimule complètement.
Certes, le siège et son dossier sont un peu durs, mais un vaillant de ma trempe ne s’arrête pas à ces sordides détails. Je me dis que lorsque cette affaire sera conclue, je m’offrirai enfin la virée que…
Meeerde !
Tu sais à qui je repense, brusquement, après ces jours d’un étrange insouci ? A ma petite potesse Linda que je devais emmener en voyage de fesses. Elle a dû poireauter comme une dingue, avec son Mort à crédit sous le bras et sa valdingue pur box à ses pieds. Et ma pomme, goret putride, qui l’avait fait renoncer à ses vacances chez sa copine de Biarritz ! Oh ! l’immonde ! Le triste sagouin !