Putain, l’odeur !
Oh ! dis donc : on est peu de chose. Quand je pense que je rouscaille lorsque Béru balance une louise ! Mais ses pets, c’est la vie, la salubrité des matins calmes.
Le zig qui était demeuré hors de la sépulture a tout prévu. Il place un masque de gaze arrosée de désinfectant sur son visage, puis enfile des gants de caoutchouc. Fort de cette protection, ce monsieur délicat entreprend d’explorer les fringues du cadavre. Ses compagnons (les manars du commando) attendent en tenant braqués sur le cercueil ouvert les faisceaux de deux loupiotes à halogène. De ma planque, je ne peux visionner le cadavre, non plus que la frite du mec qui le fouille, car c’est bel et bien d’une exploration minutieuse des vêtements moisis qu’il s’agit.
Bibi ronge tu sais quoi ? Oui, son frein ! Pas le frein à main, l’autre. N’éternue pas, bonhomme, ne tousse pas, ne bronche pas, et s’il t’arrive d’être en érection, bande en silence, mon chéri. Ta vie ne tient qu’à un fil… de la Vierge.
ZIP
Cette période me paraît plus longue que tout ce qui a précédé. Un méticuleux, le gars. Un acharné ! Travail de termite. Il s’interrompt parfois pour fuir un moment le cercueil, se désankyloser, respirer un peu l’air salubre. Puis il revient à la tâche, avec l’obstination d’un insecte.
Le plus surprenant, dans ce trio, c’est qu’aucun ne parle. Il y a des sons mais pas de paroles, pas de questions.
Selon les bruits que je capte, le détrousseur doit agir très lentement, avec une minutie d’horloger. Ses gants de caoutchouc glissent sur des étoffes gorgées d’humidité et de moisissure. Les faisceaux étroits et intenses des loupiotes suivent ses faits et moindres gestes. Ma parole, on va passer la nuit sur ce documentaire !
Mais Dieu est généreux, qui couronne de succès nos entreprises lorsque nous les conduisons avec persévérance.
Brusquement, Exploreur 1 se fige. L’une des lampes enrobe ses mains d’une lumière crue. Il tient une sorte de petite pochette de daim et dégante sa main droite afin de pouvoir l’ouvrir. Je distingue des carrés de papier, de bristol plus exactement. L’homme les examine l’un après l’autre car il semble y en avoir plusieurs.
L’un de ses sbires lui pose une question à laquelle il ne répond pas. Alors, le questionneur, furieux, lui arrache la pochette des mains pour regarder à son tour le contenu. Le montre ensuite à son acolyte. Les deux fossoyeurs échangent quelques mots gutturaux. Le troisième, agacé, reprend ce qu’il a découvert d’un geste sec et le glisse dans sa poche. Il y a un bref instant de forte tension entre les trois mecs.
Puis le climat s’assainit. Les deux croquemorts d’occasion retournent à l’intérieur du caveau. Celui qui commande l’opération les aide à renfoumer la bière. Le cercueil en pourrissement disparaît. Je perçois des raclements souterrains, quelques interjections. Au bout d’un moment, les choses souterraines se normalisent. Une main sort du sépulcre. Ça ferait une chouette affiche pour un film d’épouvante, style « La Nuit des Morts-Vivants ».
L’homme demeuré à l’extérieur sort alors de son pantal un pistolet muni d’un silencieux. De sa main libre, il braque le faisceau d’une des torches dans le trohu.
Une série de petits bruits ridicules retentissent, qui tiennent de la louise mal contrôlée et du bouchon de champagne foireux. Des cris s’échappent du caveau (qui devient nettement « de famille », il me semble).
Le flingueur se penche un peu plus et balaie l’intérieur de la tombe avec sa lampe, ponctuant parfois son investigation d’un nouveau pet de nonne.
Silence complet.
Je cause, je raconte, j’ai l’air de prendre mon temps. Mais sache bien que tout cela s’est déroulé en un clin d’œil.
Mon petit lutin intérieur me passe un branle, soudain. Il me crie dans le silence de ma conscience : « T’attends quoi, Ducon ? »
Il n’en faut pas plus. Je dégaufre mon ami Tu-tues et bondis, façon tigre du Bengale.
Oh ! le nœud ! Le triste, le faramineux locdu ! Dans ma précipitance, je n’ai pas tenu compte d’une chose essentielle : l’immobilité prolongée que je viens de subir m’a engourdi, a mis des boisseaux de fourmis dans mes pauvres membres. Je te présente, exécuté par le maestro, le fiasco le plus grand, le plus ridicule de ma carrière : je me tords la cheville, lâche mon feu qui s’en va dinguer à dache, voire même plus loin, et m’étale dans la glaise. Ai-je déjà vécu une aussi grande humiliation au cours de ma brillante carrière ?
Non, hein ?
Ben tu vois : y a un début à tout !
En attendant, ce coup fourré ne fait pas mes oignes !
Surpris, certes, par ma fulgurante intervention, le pilleur de sépulture réagit vite fait bien fait.
Je ne suis pas encore relevé que j’ai le canon de son arquebuse dans le creux de la nuque, là que m’man me donnait des gros bisous quand j’étais moujingue, pour me faire rire de plaisir.
L’espace de rien du tout, je me dis : « C’est un tueur, alors il va presser la détente et mon kilogramme de cervelle ira décorer la pierre tombale d’Annette Lenfouré, ce qui fera le bonheur des zoziaux, lesquels raffolent des abats. »
Mais à la seconde que je pense cette chose désagréable, je perçois un choc[11]. C’est suivi d’un geignement escamoté et je reçois une poussée de haut en bas égale au poids du type déplacé. Fais un pas en avant pour permettre à mon tagoniste de mieux s’étaler, ce dont il ne se prive pas.
Une ombre surgit d’entre les morts, plus zégzactement d’entre les caveaux de famille. Tu sais qui ? Quel est celui d’entre toi qui vient de crier « Toinet » ? Tu lis plus vite que j’écris ou quoi-ce ?
D’accord, c’est bel et bien mon rejeton apocryphe qui se pointe, guilleret, souple et félin.
Il s’arrête devant le gonzier inanimé et lui chope son feu.
— Qu’est-ce tu dis de ça, p’pa ? C’est pas une entrée de théâtre, dans son genre ? T’as de la chance que je sois nyctalope d’une part et ancien tueur de piafs de l’autre. Quand je l’ai vu te braquer, j’ai eu les chocottes qu’il te praline comme les deux autres. Alors j’ai empoigné un vase de bronze sur une tombe et l’ai propulsé aussi fort que j’ai pu.
Je ramasse la lampe que le mec a fait choir et la braque sur lui.
Il est plus que groggy ; un filet de sang sourd de son oreille, pareil à un gros ver rouge. Je ne suis pas chirurgien, mais si cet homme ne se paie pas une fracture du crâne en bonne et due forme, moi je suis l’archevêque de Canterbury.
Je pose ma main sur l’épaule de Toinet.
— Tu vois, fils, soupiré-je, c’est ça « tomber à pic ».
— Tu crois ? rigole-t-il en ramassant mon feu.
— Yes, sir : je crois.
Comme on a un coup de flou dans les montants, on s’assoit, sans s’être concertés, sur le caveau de cette pauvre Annette Lenfouré qui n’a jamais, de son pauvre vivant, eu l’occasion de connaître des périphéries pareilles[12].
La chouette engagée par la production nous donne son aubade. Blottis l’un contre l’autre sur le marbre froid, on savoure l’élémentaire bonheur qui nous échoit.
C’est bon de vivre et de s’aimer. Surtout dans un cimetière.
HISTOIRE D’OS
Un tunnel, quand on y réfléchit, c’est un raccourci. D’accord, pendant un moment tu ne vois pas le soleil, mais tu gagnes du temps pour mieux en profiter après.
Voilà ce que je me dis dans le salon de la mère Mina où, en compagnie de ces dames, je sable (qui a crié d’Olonne dans l’assistance ?) le champagne. En attendant, non pas Godot, mais Son Excellence configurative Karim Kanular que j’ai priée céans et qui a accepté.
11
Les romanciers professionnels ajoutent généralement « sourd ». Un choc sourd. C’est la tradition. Tu l’auras remarqué.