Madame, que ses vicissitudes passagères avaient rendue mal embouchée, a récupéré sa parfaite dignité de femme en puissance de la sexualité d’hommes parfois intéressants, surtout dans leurs débordements physiques. Elle porte une admirable robe violette, très épiscopale, à manches de résille noire, embrochée d’un bijou large comme le bouclier de Brennus. Je la trouve particulièrement « régnante » au milieu de son cheptel.
Miss Cannelle, déguisée en soubrette de « Autant en emporte le ventre », remplace la boutanche de champ’vide par une pleine. Depuis qu’elle occupe la « chambre de matage » voisine, elle est radieuse. D’autant que son installation a donné un regain d’activité au studio. Elle l’a transformé en « Case de l’Oncle Ben », que c’est beau-comme-là-bas-dis ! Bambou sur les murs, découverte représentant des champs de coton hydrophile à l’infini. Soleil rouge sang. Y en a même deux pour faire le pendant.
Madame, qui a toujours eu des prémonitions, a testé la pièce sur des habitués, sentant brusquement qu’elle « tenait » quelque chose. Effet immédiat ! Miss Cannelle, dans ce décor, prend un relief inattendu. Une femme de chambre noire, vêtue de blanc qui parvient à saisir des melons avec son sexe, tu peux pas savoir l’engouement des messieurs. La Mina ne songe plus à passer la main. Elle a pigé qu’un nouvel âge d’or lui tombait sur la cerise. Qu’en plus, lorsque la grosse Noire exécute son numéro, on branche la vidéo sur les autres piaules où « ces demoiselles aguerries » libèrent l’intime de quelques intellos déplumés à gueule de brochet naturalisé.
On étend l’accès du claque aux épouses, ce qui est une grande première ; ces pauvrettes étant toujours brimées, obligées de pomper le mec des recommandés pour s’égayer le destin, ou de déguster la sempiternelle bitoune de Félix Quedune, le copain de classe de leur mari. Dorénavant, elles ont accès au lit de travail des pensionnaires de Madame, auxquelles elles peuvent prêter fesse-forte en cas d’urgence. Il y a chaque année des flambées de bites dans les boxons, au printemps. La sève qui fait le ménage. Pourquoi ces dames feraient tintin sous prétexte que leur retour d’âge est passé par là, alors que leur tirlipoteur de dactylos continue de se faire déguster l’asperge après les déjeuners d’affaires ?
Elle va mettre bon ordre, la rombiasse cheftaine. Son claque, mis un instant à rude épreuve, repart pour une nouvelle conquête de l’Ouest (parisien).
L’euphorie, je te dis. D’autant qu’elle vient d’engager une petite Asiatique délicieuse dont on lui a dit le plus grand bien. Une Malaisienne d’un mètre cinquante, jolie comme un cœur, qui sort de la Puhtasse School de Kuala Lumpur et qui dérouille des braques géants dans sa chattoune adolescente. La mactée a obtenu cette merveille exotique par un ancien diplomate qui l’avait ramenée par la valise diplomatique, pour son usage personnel, et n’a pu la garder car il s’est mis à développer un diabète vertigineux qui l’a rendu tricard de baise pour le restant de ses jours. L’Excellence a eu l’idée altruiste de recaser la ravissante Sâl Pin Jite dans un bobinard pour que ses frères humains puissent en profiter.
En quelques jours, des temps nouveaux, des temps prometteurs pointent à l’horizon du délicieux bordel.
Coup de sornette en coulisse.
— J’y vais moi-même, décide Mina. Ce doit être Son Excellence.
Et c’est bien elle, en effet.
Le prince-diplomate fait son entrée, beau à se faire lécher les couilles, dans un costar bleu myosotis. Chemise jaune paille, cravate azur pâle.
Il a un léger geste mi-salueur, mi-bénisseur de monarque en vacances. Les trois jumelles (si je puis dire) l’accompagnent, foudroyantes dans une robe claire assortie aux fringues de K. K.[13]. Je parle d’UNE robe car c’est la même en trois exemplaires. Toutes ces dames s’extasient devant leur hallucinante ressemblance. L’atmosphère est relaxe, joyeuse. Le bon prince a dans toute sa personne un je-ne-sais-quoi de décontracté, de presque heureux qui fait du bien à regarder. Avec ses trois chattes de luxe, il a l’air deux fois plus monarque oriental.
— Il paraît que vous me cherchez, mon cher monsieur et ami ? fait-il en guise de bienvenue.
— D’arrache-pied, si je puis dire, Excellence.
— Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a eu quelques troubles dans mon pays ? J’ai été obligé de m’y rendre précipitamment pour aider le président à remettre de l’ordre.
— Je l’ai appris par les médias et j’y vois une merveilleuse allégorie : la monarchie volant au secours de la démocratie !
Il rit.
— Beau sujet de méditation, j’en conviens. Mais les temps changent constamment, mon bon directeur ; les valeurs basculent, les institutions commencent à ressembler à un jeu de lego dont les pièces se transforment à volonté.
Tout naturellement, nous nous sommes retirés à l’écart des radasses. Les pouffes de la mère Mina demandent aux trumelles de montrer leurs minouches, histoire de s’assurer que leur mimétisme joue là comme ailleurs. Notre pensionnaire lesbienne pousse le scrupule jusqu’à vouloir goûter aux trois pour vérifier si leur saveur est également identique.
Mine de rien, j’entraîne le diplomate dans le couloir conduisant aux chambres. Il me suit tranquillos, les mains aux poches.
— Pendant que vous remettiez de l’ordre dans votre pays, j’en ai mis dans vos affaires personnelles, Excellence, assuré-je en souriant.
— Je vous en sais mille grâces, mon ami, et je compte vous témoigner ma profonde reconnaissance.
J’entre sans répondre dans la chambre « fatale », comme l’écrirait un journaliste de canard à sensation.
Je désigne l’un des fauteuils à Kanular et vais m’installer au pied du lit d’apparat, selon ma bonne habitude : j’adore m’asseoir au pied des plumards, qu’ils soient d’apparat ou grabats infâmes. Au long de ma vie, quelques-unes des conversations les plus importantes que j’ai eues, je les ai tenues dans cette posture désinvolte.
Le prince a cet air badin du mec qui n’attend jamais rien parce qu’il a tout, qu’il contrôle tout et que des chiées de mecs compétents s’ingénient à lui baliser l’existence.
Il attaque :
— Quand je parle de vous exprimer ma gratitude, ami, je ne parle pas d’une décoration de mon pays dont vous n’auriez que faire.
Je rétorque :
— Ce sont celles du mien qui m’indiffèrent, prince ; les récompenses chyriottes ont à mes yeux l’attrait de l’exotisme. Elles appartiennent à un pays qui fait rêver.
Semi-courbette du prince-diplomate.
— Alors je vous décerne d’ores et déjà l’ordre d’Al-KhâliVôlatil.
— Merci, Monseigneur. Puis-je vous demander de quelle couleur est son ruban ?
— Vert et or.
— Cela fera très bien sur mon alpaga marine.
Mon terlocuteur sourit avec indulgence.
— Je n’en resterai pas là, monsieur le directeur. Je compte vous offrir une montre Cartier au cadran serti de diamants.
— C’est beaucoup trop ! récrié-je. D’ailleurs, je ne mérite aucun présent ; votre illustre sympathie me suffit. Et si vous m’honoriez d’une de vos photographies dédicacées, je ne me tiendrais plus de joie.
— Vous l’aurez AUSSI !
Je lui adresse une inclinaison de tronche.
— Ah ! que vous êtes bien un prince, prince ! Donner est chez les grands un acte naturel.
— Question d’éducation, assure ce personnage d’exception. Et maintenant, racontez-moi l’histoire de mon double que j’ai tant de peine à admettre.
— Elle est si mal croyable, Monseigneur !
— Et cependant elle fut ! dit-il avec cette conviction empreinte de résignation qui animait le cher Galilée.