De prime abord, cette initiative ne semble pas modifier la situation. Lors, en Casanova expérimenté, le preux entonne le goulot dans le frifri trop exigu. Une bonne rasade qu’il répartit urbi et orbi.
Miracolo ! Ses poussées lentes et puissantes obtiennent le résultat escompté. Au bout de cinq minutes, il est installé, presque confortablement, dans le centre d’accueil de la dame Croupeton, laquelle transforme ses gémissements de douleur en cris de liesse.
La frénésie s’amplifie. La gigue se déclare. Le sommier durement sollicité grince comme une goélette par gros temps. Marinette implore que « plus vite, plus viiiiite ! ». Béru rétroque, preuve à l’appui, qu’on n’est pas des bœufs. Il déclenche son dispositif d’exception et se met à tringler la dame à toute volée, ses gros roustons battant la charge contre les miches de la donzelle écarquillée.
Dantesque ! La furia culière en majesté ! Les troupes d’Attila envahissant la Gaule ! Les Quarantièmes rugissants ! Le plumzingue craque de plus en plus sinistrement. On pressent de la cata, on comprend que le pire est en route. Et poum ! il se produit.
Tu sais ce que sont ces vieux lits d’autrefois, plus que centenaires, dont on a dû changer le sommier exténué. Mauvais calcul. Il s’en fallait de cinq centimètres. Tant pis, on l’a calé tant mal que bien avec des chevilles, des coins de bois, des cornières de fer. Vaille que vaille, il a rempli son office, supporté des sommeils, des coïts, des accouchements. Seulement la tringle béruréenne ressemble à quelque typhon dans son genre. Elle déprède.
Au plus intense de la culée du Mammouth, quelque chose cède dans l’entrepont. Le terrain de manœuvres bascule soudain, jetant à terre, en un pêle-mêle invraisemblable, tringleurs et mourant.
La baise portée à l’incandescence ne s’arrête pas pour autant. Au contraire, cette basculade en a accentué la folle intensité. Marinette, forcée au-delà du possible, pousse une profonde clameur de stade lors du marquage d’un but.
Bérurier juge qu’il a accompli sa prestation et peut, de ce fait, songer à son confort personnel. Il déflaque la tête haute.
Un simple cri d’intense libération lui vient, qui n’est pas sans analogie avec celui du taureau perpétrant une saillie.
Il a, tout de suite après, les deux mots qu’il lance à l’issue de chaque copulation et qui expriment la joie organique du mâle œuvrant pour la propagation de l’espèce :
— Bon gu !
Ancestral ! Tous les Bérurier venant de découiller l’ont poussé. Déjà un Béroyer, fidèle compagnon de Duguesclin, le bieurlait à pleins poumons en libérant sa zone génitale.
« Bon gu. » Le besoin d’associer le Seigneur à son lâcher de potage. Humble témoignage d’une reconnaissance qui, pour être organique, n’en est pas moins fervente.
Un instant de récupération. Les amants essaient de retrouver une respiration malmenée par l’intensité de l’effort.
Et voilà que, soudain, une voix sort de cet enchevêtrage épique de viande et de literie :
— Qu’est-ce y est arrivé ? Mais qu’est-ce y est-il arrivé ?
Le mourant !
Ce séisme culier l’a miraculeusement arraché aux sombres tentacules du trépas[2].
Chiffonné, il est assis dans les décombres du plumard et considère ce couple dénudé du bas d’un œil surpris.
— Un tremb’ment d’terre, assure Alexandre-Benoît, de mansuétude 5 su’ l’échelle double d’la caserne Champerret. Voiliez dans quel état qu’y nous a mis, moi et maâme. N’heureus’ment qu’j’ sus docteur et qu’j’ai l’habitude d’voir la chatte des dames, qu’aut’ment elle eusse pu s’sentir gênée, la chère femme. Soiliez pas intimidée, p’tite. Un méd’cin, c’est ni pu ni moinsse qu’un docteur. Des chattes d’ gonzesses, on passe not’vie à fout’ des spéculateurs d’dans. T’nez, v’là vot’ slip, mon bijou ; mais vous fereriez bien d’aller vous rafraîchir la moniche au paravent. Ces s’cousses simiesques vous envoyent tout’ sortes de détritus (comme on dit en latin) dans les orifesses. Moive, j’m’occupe du papa tandis qu’vous vous détartrerez la case trésor.
En homme actif bourré d’initiatives, le cher Gros « médecin » s’occupe effectivement à réparer les dégâts de la soi-disant secousse « simiesque ». Il arrache le ci-devant mourant aux décombres, l’installe dans un fauteuil voltaire que M. Croupeton père a hérité de sa tante Adélaïde, laquelle était postière à La Chaux-de-Pysse, dans le Puy-de-Dôme. Avec le seul concours de son couteau Opinel qui ne le quitte jamais, ce praticien émérite parvient à réparer le lit. Il y recouche l’exmourant, le borde avec des gestes de maman et va jusqu’à déposer un baiser sur son front ivoirin.
— A présent, une bonne dorme vous reconstituerera, pépé, assure-t-il. Laissez-vous soigner par vot’ bru qu’est très conne-pétante, s’lon d’après c’que j ai pu juger. J’r’passererai vous voir d’main.
Il retrouve sa conquête, à califourchon sur un appareil de porcelaine exécuté par l’entreprise Jacob Delafon.
— Je crois que vous m’avez blessée avec votre gros machin, docteur, dit la dame sans marquer de ressentiment.
— C’est la première fois qui coûte, rassure le docteur Bérurier. Faites des blablutions et mettez un peu d’ beurre des Charentes su’ les parties endouleurises. J’sus sûr qu’ ma troussée de demain pass’ra comm’ un’ lett’ à la poste.
— Demain, nous serons samedi, mon époux sera à la maison, objecte l’aimable bru de M. Croupeton senior.
— N’en c’cas, vous viendrerez vous faire traiter n’à la clinique, tranche calmement le praticien pour qui la vie est un long fleuve de foutre tranquille.
DIABLE
— Les travaux sont presque terminés, remarque Toinet. Tu dis que c’est tonton Béru qui a repeint tout ça ?
— Un surdoué du pinceau, ricané-je-t-il. Ce gros sac à merde doit se trouver au bistrot.
— Il n’a pas besoin d’y aller, ricane le môme ; tu as vu ses provisions ?
Il me désigne des caisses de bouteilles pleines, empilées dans le fond de la pièce.
Sur la réplique, le Mastard apparaît dans sa blouse blanche maculée de peinture. Il rougeoie plus que jamais. De loin, sur un champ de neige, tu le prendrais pour le drapeau japonais.
— D’où viens-tu ? l’apostrophé-je froidement.
— Une urgence ! rétorque l’Obèse avec gravité.
— C’est-à-dire ?
— Une voisine avait b’soin d’un méd’cin pour son beau-dabe qu’est en train de larguer les amarres.
— Et tu lui as fait quoi ?
— Ce qu’y fallait, assure sobrement notre ami. J’croive pas qu’y lâche la rampe aujourd’hui.
— Quand penses-tu avoir terminé tes travaux ?
— En fin d’journée. Y reste plus que l’plaftard d’c’te piaule.
— C’est cet après-midi qu’on amène les meubles, souligné-je.
Le Dodu se fout en rogne :
— Est-ce que tu te rends-il compte qu’j’m’aye appuilié seulâbre tout le restechaussé de c’te masure ? On d’vait z’êt’ trois s’lon d’après c’qui m’avait été annoncé.
— Pas ma faute si la belle-mère de Jérémie est morte et si Pinaud est allergique à l’essence de térébenthine.
— Conclusion, c’est moive l’con ! dit sinistrement le Gros.
Toinet fait soudain, d’un ton désinvolte :
— Oncle Béru, je te signale que tu as des traînées de foutre sur ton bénoche et que ça fait désordre.
— Y a pas de honte : c’est le mien ! riposte sans s’émouvoir le Casanova des comptoirs.
— Je croyais que tu étais allé donner une consultation médicale ? objecté-je.
2
Qu’on ne croie pas à une délirade de ma part. L’un de mes amis, considéré comme cliniquement mort, était rapatrié de l’hôpital en ambulance. En cours de route, le véhicule fut durement accidenté. Le choc ranima mon pote qui vécut plusieurs années supplémentaires.