— Et alors ? Ça interdit de baiser ? On peut joind’ l’agriab’ à l’utile, mec. Pas d’ma faute si la bru du mourant a un fion comm’ une porcherie d’église.
Il va pour développer son argutie, mais un pas viril fait sonner le couloir de la maison vide et un motard de la Préfecture s’inscrit dans l’encadrement.
Me reconnaît et me salue militairement.
Il fouille sa sacoche. Comme il s’agit d’une giberne et non d’une gibecière, il en extrait un pli, au lieu d’un perdreau foudroyé.
— De la part de M. le ministre, annonce-t-il.
Je fais sauter le disque adhésif qui, de nos pauvres jours, remplace les somptueux cachets de cire d’antan.
Message.
Te le livre in extenso :
Cher ami,
A l’instant où je dois me rendre en France d’Outre-mer : une tuile. Son Excellence Karim Kanular, ambassadeur permanent de la Chyrie à l’Otan, vient d’être assassinée dans une maison de rendez-vous de Courcelles en des circonstances extrêmement mystérieuses. Le commissaire Mordanrir a fait les premières constatations.
Apprenant la qualité du défunt, au lieu d’ébruiter la chose, il a illico prévenu les R.G. Je vous charge de l’enquête. Une seule consigne : affaire top secret !
En mon absence, tenez mon secrétaire privé, Hilaire Dunquon, au courant du développement de vos investigations. Je compte sur vous.
L’estafette vêtue de cuir me considère d’un œil pétillant d’ennui.
Ayant lu, je coule le pli in my pocket.
— Je vous remercie, brigadier, le congédié-je-t-il.
Il retourne brûler de l’essence en faisant sonner les carreaux du hall sous ses chaussures motardes.
— Eh bien ! ça n’aura pas traîné, soupiré-je. Nous n’avons pas encore pris possession de notre nouveau P.C. que le boulot démarre !
— Que dois-je faire-t-il ? s’inquiète le gros Sac à merde.
— Achever de repeindre notre nouveau local de fonction.
— Et ensuite ?
— Je te préviendrai.
— Comment-ce ? Le bigophone a pas été rétabli !
— Toinet va s’en occuper.
Il m’examine d’un regard sans joie.
— T’as plus l’air d’êt’ toi-même, remarque ce grand observateur de l’humain.
— Je cherche mes nouvelles marques, soupiré-je.
— Alors dégrouille-toi d'les trouver parce qu’ t’es moins marrant d’puis quéque temps.
Mordanrir est un Normand bon teint dont la bouille rutilante serait à sa place sur l’étiquette d’une boutanche de cidre. On a toujours l’impression que ses pommettes vont saigner si on les touche. Il a l’œil matois, le front dégarni, et l’air d’un mec qui vient de vendre à un très bon prix une maison hantée à un innocent vacancier.
Il est en bras de chemise dans son burlingue, avec son holster de cérémonie bien sanglé et qui ressemble à quelque appareil orthopédique.
— Je vous attendais, monsieur le directeur, déclare-t-il en ôtant ses 45 fillette de son sous-main.
Il n’y a pas si longtemps, on se tutoyait. Mais Mordanrir respecte les promus, pensant que c’est la manière la plus sage de se faire promouvoir à son tour ; il sait qu’un subalterne doit garder ses distances s’il veut qu’elles soient abolies un jour.
— Tu sais ce qui m’amène ? demandé-je en m’asseyant dans le fauteuil réservé aux interrogatoires (je parle de celui des interrogés, bien entendu).
— La mort de l’ambassadeur ?
— Gagné.
— Quand on m’a annoncé, en haut lieu, que quelqu’un de spécial allait être chargé de l’enquête, j’ai tout de suite pensé à vous.
Je ne réponds rien. Dans ces cas-là, il vaut mieux conserver ses réflexions pour soi : elles peuvent resservir.
Je sors l’un des calepins au papier ligné, que m’a légués mon papa, ainsi que mon stylobille.
— Je t’écoute, Magloire.
C’est son surnom dans la Rousse, à cause du calva qu’on distille dans son bled.
— Vous avez dû entendre parler du prince Kanular ?
— Moins que plus, fais-je. Il est incontournable dans les raouts distingués et les soirées mondaines, préside des manifestations caritatives, organise des galas de bienfaisance et porte davantage le smoking que la gandoura !
— C’est un bon résumé du prince, lâche mon confrère. Ce personnage n’a qu’un défaut reconnu : la pointe. La légende prétend qu’il consomme jusqu’à trois femmes par jour, et avec brio. Dans les claques huppés, ces dames ne rêvent que d’être choisies par lui.
Il se retient d’ajouter : « Un type dans votre genre, quoi ! » mais le prononce avec les yeux, si je puis dire.
— Bon préambule, complimenté-je.
— Merci. Donc, hier soir, le prince est allé tirer sa crampe vespérale dans une maison confortable proche du théâtre Hébertot. Sa partenaire était du genre vendeuse, style qui excite particulièrement Sa Seigneurie.
« La prostitution n’est pour la fille qu’une source de revenus occasionnels destinée à lui assurer le superflu. Beaucoup de petites polissonnes sont dans son cas à Paris, trouvant ainsi un excédent de plaisir et de finances.
« Comme à chacune de ses visites, Kanular commence la petite cérémonie friponne par l’ouverture d’une bouteille de champagne ; breuvage que sa religion lui interdit, mais dont il raffole. Il a, aux dires de “Madame”, une façon très particulière de le boire puisqu’il se sert du sexe de sa partenaire comme d’une coupe. Sa réputation est solidement établie, au point que l’on place toujours une alaise sur le lit de ses exploits. »
Je souris.
— Tu racontes bien, commenté-je.
Il me vote un sourire reconnaissant.
— Ensuite ? l’encouragé-je.
— Eh bien, pour ensuite, on ne peut faire que des suppositions. A un certain moment, le prince a débouché la bouteille de champagne ; il excellait, paraît-il, dans ce délicat exercice.
— Et le champagne était nocif ?
— Remplacé par un gaz qui a dû s’échapper dès que le bouchon a sauté. On a transmis le récipient au labo, je crois que vous aurez le rapport dans l’après-midi.
— Voilà un meurtre peu banal, je dis comme ça, sans me mouiller.
— Un double meurtre, car la femme est décédée également.
J’opine en branlant le chef, lequel est de bonne composition.
— Ensuite ? demandé-je, insatiable.
Magloire produit avec sa bouche l’un des multiples bruits que Bérurier exécute avec son anus.
— Plusieurs heures se sont écoulées. Le garde du corps du prince a fini par perdre patience dans l’antichambre et a demandé à la mactée de s’informer. La suite, vous la devinez. On a toqué à la porte ; personne ne répondant, on a fait sauter le verrou.
« Il subsistait encore du gaz nocif car le préposé à la sécurité du diplomate a dû être hospitalisé par la suite et “Madame” elle-même s’en est trouvée incommodée. »
— Et puis ? lancé-je-t-il, avide tout plein (si je puis dire).
— Mme Mina, la taulière, m’a appelé en confidence.
— Tu es sur sa liste civile ?
Il sursaute.
— Qu’allez-vous penser, monsieur le directeur ? Ma carrière est irréprochable.
— Je plaisantais.
— Me suis rendu seul dans son pince-cul. Là, le garde du corps du défunt, bien que très mal en point, m’a fait tout un schprountz pour que je n’ébruite pas la chose. Alors j’ai appelé l’Intérieur où l’on m’a confirmé qu’il fallait observer une discrétion totale et que « quelqu’un » allait s’occuper de l’affaire. J’ai donc apposé les scellés sur la porte de la chambre.