Elle me porte un toast que je lui rends avec feu.
Elle boit.
Clape de la langue comme on ne le fait pas dans son monde, ni même dans le mien.
— Alors, assassin ? me demande-t-elle.
— Pire, madame. Policier !
Ses sourcils se joignent pour l’incompréhension.
— Plaisanteriez-vous ?
Je lui montre ma carte.
— Lisez-vous le français ?
Elle hennit.
— Et il est français, l’amour ! Venez vous asseoir près de moi.
J’obéis. Elle se parfume avec un arrosoir, la marquise, et son truc, elle l’achète ni chez Rochas ni chez Guerlin. Je lui résume sommairement mes avatars de l’après-midi, du moins l’essentiel. Seulement elle est de ces gens préoccupés d’eux-mêmes qui ne s’intéressent qu’aux questions qu’ils posent et non aux réponses qu’on leur fait. Elle ne m’écoute pas. Me regarde avec une avidité qui, tu me croiras si ça te fait plaisir, sinon t’iras ramasser des fraises, m’intimide pour de bon.
— Vous vivez seule avec cette vénérable servante, madame ? demandé-je, laissant quimper mes malheurs pour m’intéresser à sa quiétude.
— Oui, mon garçon, exactement.
— Seriez-vous veuve ?
— Non, Galeotto a Marinaro vit toujours et sans doute, présentement, doit-il essayer une martingale de plus au casino de Monte-Carlo. Le jeu est sa passion depuis que nous sommes séparés. Il m’a quitté trois jours après notre mariage.
— Le monstre ! crois-je bon de placer.
Elle sourit, mansuète toute pleine.
— Que non ! Le pauvre marquis avait quelque excuse, m’ayant trouvé au lendemain de notre mariage dans les bras du portier de notre hôtel, le surlendemain dans ceux du liftier, et le troisième en train de sucer le sexe du garçon d’étage, un amour de dadais acnéen de nationalité hollandaise. Car j’étais nymphomane, mon bon. C’est une maladie dont on ne guérit pas, heureusement. À présent que j’ai doublé l’âge que j’avais à cette époque, on appelle cela d’un autre nom, bien sûr. En tout état de cause, depuis ma puberté, et même avant, je suis une roulure de grand style. Vous allez vous en rendre compte sitôt que vous aurez ôté votre pantalon et moi ma culotte, laquelle est noire et à froufrous comme vous pouvez le constater, conclut-elle en se troussant très haut.
Cette agression délibérée me terrifie.
— Mais, madame, je…
— Vous êtes beau, français de surcroît, viril, je le vois à vos yeux, à vos lèvres, à vos mains, et de plus en danger. Ce sont là des conditions suffisantes pour que vous me fassiez passer un moment de qualité, en remerciement de ma coopération. Depuis ce matin, je n’ai pas fait l’amour, mon ami, et c’était avec un crétin de livreur qui vous éjaculait contre dès qu’on le prenait… par les sentiments.
Paniqué, j’implore grâce.
— Mais, madame la marquise, moi je l’ai fait deux fois cet après-midi, et fort intensément…
Elle applaudit.
— Bravo ! La troisième fois consécutive est toujour la plus intense. La mieux venue. Elle comporte quelque chose de pathétique. On approche l’absolu. Celles qui suivent ne sont plus que des petits réflexes organiques, peu nourris.
— Croyez, madame, que ce serait avec beaucoup de tout ce qu’il y a de volontiers, si les circonstances…
— Mais elles ne peuvent être plus favorables, mon bon. Nous sommes seuls. Je suis en rut, et vous avez déjà affuté vos sens. Nous allons connaître quelque chose d’inoubliable. Vous pensez : français comme vous êtes, et salope comme je suis, ce serait un comble que nous nous rations. Allons, allons, déshabillez-vous.
Et comme je n’obtempère pas, elle murmure, perfide.
— Préféreriez-vous que j’appelle au secours ?
Le comble, non ?
Le fin des fins.
Une gonzesse qui appelle au secours si on ne la viole pas ! Ah ben ça… J’en ai vu des biscornues du bulbe, des surchauffées du baigneur, des exaltées de la glandoche, mais des comme la marquise, jamais. « Bon, me dis-je, in petto, après tout… »
Tu comprends, je ne suis pas à ÇA près. Seulement c’est sa dinguerie qui me paralyse. Je veux bien bouillaver avec une conne (on ne peut pas toujours rester chaste), mais avec une pincecornée, c’est dégodant, admets ? Suivre la filière de son sensoriel tourne vite à l’inextricable. Tu te perds dans des labyrinthes confus…
Je me déloque pourtant.
Quand je suis à loilpé, elle me considère la région péninsulaire avec une avidité d’où toute pudeur est absente.
— Bien, roucoule cette ogresse. Très bien… Parfait… J’aime déjà. Ah, oui, j’aime. C’est noble, net, solide et pour tout dire équilibré. Rare, l’équilibre dans un membre. Le sexe masculin pèche par là, et ces petites bécasses n’y attachent pas d’importance. Pour moi c’est tout. Révélateur. Éloquent. Votre sexe, mon joli, est un vrai poème. Ah, laissez-moi l’admirer. Superbe de proportions. Pas idiot dans sa posture d’attente, voyez-vous. Il a de la grâce, du maintien, de l’énergie. On sait où il va en venir. Beaucoup de sexes masculins sont recourbés, à quoi tient ce phénomène ? Toujours est-il que j’ai horreur des bananes.
« Il y a de la négligence dans un sexe en arc de cercle, de l’illogisme, sauf peut-être si la courbure en rend l’extrémité ascendante. Oui, dans ces cas d’exception, peut-être… Et puis autre avarie répandue, et à laquelle échappe votre organe : les testicules. Neuf sur dix sont effectivement des bourses (et Seigneur, combien sont pleines ?) ; j’entends par là qu’ils ressemblent à des réticules. On les voit conçus pour contenir, or il y a toujours de l’excédent, fatalement, à quoi doit contenir. Les vôtres, gentil partenaire impromptu, les vôtres sont compacts. Montrez… Oui, admirablement denses et proportionnés. Les roues d’un affût de canon. Et quel magnifique canon, mon cher ! Fichtre, c’est de l’artillerie à longue portée. Mais pas lourde. Oh, non, pas lourde, on sait, au premier regard sa liberté de manœuvre, sa puissance considérable. Ah, vous me rendez folle à force d’extase. Passons dans mon boudoir.
Son boudoir, je te jure, n’est pas piqué des vers.
Plafond et murs sont revêtus de miroirs. Au sol une moquette dans laquelle il ne doit pas faire bon perdre ses boutons de manchettes. Plus un lit très bas, avec des repose-jarrets à écartement réglable. Et puis un coffre ouvert contenant un bric tout ce qu’il y a d’à brac, mystérieux, comme ça, en tas. Mais dont on subodore l’usage.
La marquise s’y rend d’autor et cramponne un fouet à manche court et à longue lanière garnie de piquants, comme les fils barbelés.
Elle me le tend.
— Soyez gentil : déshabillez-moi.
Je considère l’outil avec l’éberluance que tu devines.
— Comment cela, madame, vous déshabiller ?
— À coups de fouet, j’adore…
— Mais…
— Non, pas mais… Jamais mais ! Mais, connais pas ! Mais, au rebut… Vous allez me dévêtir à coups de fouet, cher réfugié. Sinon j’appelle au secours (son dada). Rassurez-vous, j’ai la peau tannée et, si mon sang est bleu, il ne coule pas facilement. Rien ne me met davantage en condition que de me faire déshabiller de la sorte. Seulement, voulez-vous que je vous dise ? La plupart n’osent pas. Des chiffres. Molles ! Ils ne sont pas galants, mais timorés. Je me protège simplement les yeux, comme ceci. Là, y êtes-vous ? Alors frappez. Et soyez gentil jusqu’au bout : en frappant, appelez-moi Majesté, j’ai toujours rêvé d’être une reine qu’on exécute sur la place de Grève. Ah, bel ami, cet Henri VIII, quel chou ! Le seul roi de l’Histoire qui ait compris quelque chose aux femmes. Le seul ! Frappez, mon bon. Frappez fort, et l’on vous ouvrira !