Ce que voyant, moi, dans un mouvement irréfléchi, et profitant de ce qu’ils ne m’ont pas passé les menottes, je délourde prestement la portière de mon côté et m’élance à l’extérieur.
Ce sprint, mes louloutes ! Je cabriole sur le trottoir, parmi la foule. Écartant ceux de devant pour aller plus vite, bondissant gauche droite, droite gauche…
Y’ a une vraie meute brusquement à mes chausses. Tu penses que mes petits confrères siciliens ne sont pas des lourdauds obligés de se faire un dessin au tableau noir pour piger le tour que je viens de leur jouer. Ah que nenni. Et ils sont souples, les bougres ! Véloces autant, voire davantage, que moi. Ils se déploient en éventail. Un qui court sur la chaussée, pour aller plus vite, pas me perdre de vue, en sifflant comme un arbitre du rugby. Je sens qu’ils me gagnent du terrain. Et puis, en face, d’autres s’annoncent au tout grand galop pour me sectionner la retraite.
Moi, je me traite de tous les noms pour ce geste dingue. Faut vraiment avoir de la crème à raser sous la coquille pour se comporter de la sorte, quoi, merde ! Un vrai gamin ! C’est pas tout de suite que je pourrai les convaincre de ma bonne foi, les collègues italoches, après un tel numéro. L’étau se resserre, comme ils disent dans les livres.
Une impasse.
Avec au fond, un restaurant charmant dont la terrasse s’entoure de plantes grimpantes et de fleurs.
J’y fonce, ma route se trouvant coupée par les flics qui surgissent à ma rencontre. Piège à rats ? Sans doute…
Des serveurs en limouille dressent les couverts. Ils sursautent en voyant la meute de poulets et de volontaires sur mes talons. Font front, avec des couteaux de table. Alors je les esquive et me lance dans une allée en pierre de taille de belle taille dont les portes vitrées sont grandes ouvertes. Un escalier de marbre… Zou ! Chargez ! Ça va finir sur le toit, cette aventure, comme, dans tous les polars quand un fugitif se rabat dans un immeuble. Ou bien dans une chambre de bonne. En général, la petite bonne, séduite par une galoche expresse et tes yeux de velours, te cache sous son plumard et prétend qu’elle n’a rien vu.
On verra bien…
C’est de la crèche de luxe. Un appartement par palier. Et quel ! Double lourde moulurée, flanquée de lanternes de cuivre. Y’ a des statues entre les étages. Façon romaines. Des Apollon en position de réflexion. Des déesses chasseresses, véry gracious. Des angelots ailés.
Comme je parviens au troisième étage, une porte s’écarte et un visage de fouine paraît, clignoteur. Celui d’une vêtuste servante en uniforme de servante, noir et blanc, petit bonnet de dentelle empesée. Elle a au moins mille ans, cette personne. Le bruit qui lui a alerté l’attention pendant qu’elle plumeautait les bibelots du salon. Elle me voit, se pose des questions auxquelles j’apporte une rude réponse en achevant de délourder d’un coup d’épaule qui envoie le fossile valdinguer. J’entre, referme. Chaîne de sécurité. Toujours ça.
Le petite vioquarde gît les quatre fers en l’air sur un tapis fort heureusement épais.
Une autre dame déboule du fond de l’appartement. Grande, massive, pimpante, coiffée comme en 1928 (ou 29, faudra vérifier sur des « Illustrations » de l’époque).
Avec une poitrine qui la précède de quatre-vingts centimètres, abondamment garnie de perlouzes et des boucles d’oreille qui font greli-grelin quand elle marche.
— Eh bien ! Eh bien ! qu’arrive-t-il ? exclame-t-elle.
Moi, dans une telle position, faut jouer le jeu, hein ? Je me souviens de mon revolver et le lui montre.
Tu crois que ça l’affecte, cette Tour de Nesle ?
Du tout.
— Seriez-vous un gangster, jeune homme ? elle me demande.
À ce moment-là, la cavalcade croît dans l’escalier. La petite vieille renversée chougne dans ses jupailles. Je cours la relever, la traîne au salon en refoulant ma grande cavale aux grands airs.
— Madame, chuchoté-je à cette dernière, je suis un homme poursuivi par la police et qui peut commettre de grands malheurs si on ne l’aide pas. D’une seconde à l’autre on va carillonner à votre porte. Vous irez ouvrir…
Elle m’interrompt, le masque révulsé.
— Moi, aller ouvrir ? La marquise da Galeotto a Marinaro ! Vous plaisantez, mon garçon !
— Vous irez tout de même ouvrir, belle marquise, pour m’empêcher de commettre des choses irréparables ; vous savez que le sang part très mal des tapis ?
Elle a un léger sursaut.
— Vous avez dit « belle » marquise ?
— Je crois.
— Pourquoi ?
Je devine que cette dame est une originale qui considère la vie sous son angle à elle qui n’est pas celui de tout le monde.
— Mais parce que vous êtes belle, madame. À coup sûr l’une des plus sublimes personnes qu’il m’ait été donné de rencontrer au cours de ma vie aventureuse.
Là-dessus, on sonne.
J’applique mon feu sur la nuque de la servante.
— Madame, allez ouvrir, et songez qu’un mot, un signe malheureux, vous priveraient des services de cette digne personne dont les forces ne sont plus ce qu’elles furent, mais qui peut encore vous rendre de menus services. Songez aussi, poursuis-je, alors que retentit le second coup de sonnette impatienté, que je défendrai chèrement ma liberté, ce qui causerait le massacre des merveilles qui nous entourent et dont tout me porte à croire qu’elles sont la conséquence d’héritages glorieux.
Troisième drelin-drelin.
— Vite, Madame, vous êtes trop belle pour me décevoir !
C’est le coup de pétard du starter.
Elle fonce à la porte. Je plaque ma paluche sur la bouche concave de la sans-dentenaire et me dissimule avec mon otage derrière une tenture comme dans une pièce du vieux répertoire, pleine de traîtres, de poison et de coups de théâtre durement assenés.
Je perçois des parlementations. Gloussements frivoles de la marquise, qui dénègue à tout berzingue, je le comprends à son ton. Au bout d’un minuscule instant, la v’là qui revient, belle comme une jument de parade, caracolante, pomponnée. Cette chère grande dame est allée se recrépir la façade en vitesse avant de me réapparaître. L’on dirait Madame Marie Marquet, en plus jeune. Son autorité en impose.
— Laissez donc cette pauvre Anna tranquille, mon garçon. Elle se tiendra coite si je le lui demande.
Et, à sa servante :
— Bonne nounou, va te reposer après cette émotion ; ce jeune homme, malgré ses menaces et son vilain revolver, a bonne tournure et je me charge de lui. Pas un mot sur sa présence ici, sinon je te mets à l’asile, tu m’as compris, dis, sorcière ?
La basse vieillarde opine et trotte menu jusqu’à sa niche.
— Elle retombe en enfance sans jamais avoir été vraiment adulte, commente mon hôtesse, insouciante et radieuse.
Marrante bonne femme. Une quarantaine solidement établie, fumante, un peu braque. Pardon : trrrrès braque. Sensuelle à sa manière, c’est-à-dire que sa sensualité passe par le crible de sa louftinguerie.
— Vous boirez bien un doigt de porto histoire de vous remettre de vos émotions ? propose cette étrange personne.
— Volontiers.
— En ce cas, servez-le-nous, mon ami. Tout est dans cette desserte. Pour moi ce sera du blanc, il est moins sirupeux.
Et elle se laisse choir dans un sofa moelleux, relève sa robe pour plus commodément croiser les jambes qu’elle a fort belles d’ailleurs.
Je trouve verres et boutanches, verse des rasades raisonnables qui font tiquer ma protectrice.
— Que diantre, beau jeune homme, me prenez-vous pour une pucelle ? Quand je bois, je bois, moi ! Foin des mondanités, remplissez-moi ces verres et ne remisez pas encore les flacons ; j’aime à ne pas les perdre de vue pendant que je déguste, rien n’est plus triste que de vider un verre en sachant qu’il ne vous sera pas rempli.