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Là-dessus, il se retire, et je reste branché sur la seule respiration de Curt Curtis. Au bout d'un instant, mon ami se met à siffloter. Il siffle « if you dont want it, je la remets dans ma culotte », chanson franco-américaine due aux compositeurs Jean Pon — O' Tanklopez (chacun a écrit une note sur deux).

Laura revient précipitamment. Elle semble désolée.

— Ils ne m'ont pas crue, dit-elle. Ils voulaient savoir mon nom et où j'étais, ils…

— En attendant ils ont vérifié, mon chou, triomphé-je. — Curt se trouve bel et bien dans la cellule number two.

Elle bat des mains.

— Bravo, Tony ! Sensationnel !

Elle marque un temps et demande :

— Et maintenant, qu'allons-nous faire ?

CHAPITRE V

Déroutant comme question.

Car c'est vrai, ça : qu'allons-nous faire maintenant ?

Nous célébrons ce repérage de la cellule comme une grande victoire, mais en fait, à quoi cela nous avance-t-il ?

Dans ces cas-là, il y a deux solutions, les gars : répondre carrément à Laura que je n'ai pas la plus minuscule idée de la suite à donner à cette découverte, ou bien prendre l'air entendu de l'homme qui en a deux (airs). Moi, vous me connaissez ? Toujours soucieux de sauver la face, je me choisis une expression spirituelle (j'y parviens sans difficulté, merci) et je lui réponds qu'elle va voir ce qu'elle va voir, ce qui n'est pas à proprement parler un mensonge, et n'en constitue pas moins une sorte d'espèce de promesse.

Je plie mon matériel et nous redescendons. Le singe-patron me regarde venir à lui d'un œil oblique et vigilant.

— C'est fou ce que je me plais chez vous, lui dis-je. Depuis les vacances que j'ai passées sur le lac de Côme, je n'ai jamais trouvé d'endroit plus fascinant. Je garde la chambre pour encore deux jours.

Il n'exprime ni surprise ni doute. Il se contente d'opiner et de me demander des piastres. Au rade, parmi les matafs, il y a un gros touriste énorme, — rougeaud, beurré, qui se finit à la bière. On voie qu'il est touriste à l'appareil photo qui lui pend sur le bide et qui, sur ce gros ventre, ressemble à une valve. En apercevant Laura, le touriste éructe : en étrusque et rassemblant ses frasques d'un geste brusque, devant le chinois qui sent le mur, se rue jusque sur la jeune femme qu'il offusque.

— A moi, maintenant ! Tu me plais ! lui gazouille-t-il poétiquement en amerloque et en d'effusionnant. Ma camarade se débat comme une belle diablesse, en glapissant des « lâchez-moi, espèce de porc » qui rameutent l'établissement.

Vous vous rendez compte ? Cette espèce d'immonde tas de viande prend la ravissante Laura pour une dame « faite-pour-ça » ! Et devant moi, encore ! Je bondis et cramponne l'horrible par la courroie de son appareil.

— Dis donc, Fatty, je l'apostrophe, c'est pas parce que t'as été mannequin chez Olida qu'il faut te croire tout permis !

Ça le dégrise de voir virevolter mon poing à la hauteur de ses trous de nez.

— C'est votre femme ? il demande.

— Ça pourrait l'être ! éludé-je, alors réfrène tes transports en commun, mon pote, ou bien je te passe au laminoir, compris ?

— Excusez-moi, bafouille le sirs qu'est ranci en se rapatriant vers le zinc.

Je pars la tête haute, en roulant les mécaniques.

Au bar anglais de notre Pâlace, l'ambiance est plus sélecte, mais les buveurs sont tout aussi chlass que dans le boui-boui jouxtant le camp américain. Ils boivent des denrées plus gouteuses et parlent moins fort que les saoules du Chinois, mais leur éthylisme s'aligne sur celui des précédents. Parmi les clients les plus indiscutablement ivres, citons pour référence le camarade Lathuile et le célèbre Alexandre-Benoit Bérurier. Leurs langues fait la colle (buissonnière) et leur gestes sent maladroits. Lorsque nous radinons, Béru philosophe, écouté par le journaliste dont le métier est basé sur le vieil adage « voir et entendre ».

— Le progrès, assure le Gros, c'est superficiel. On aura beau Inventer des avions super conniques et des lunettes espéciales permettant de regarder les albinos, la glace à la vanille se bouffera toujours dans des cornets, mec !

La démonstration, encore que sibylline, parait plonger Lathuile dans un marécage de réflexions cloaqueux.

— Ça te donne à réfléchir, hein mon pote ? savoure le Gros.

— Je réfléchis pas : je sens, déclare Lathuile, en confirmant ses dires d'un véhément pompage de narines.

— Tu sens quoi t'est-ce ? sourcille Béru.

— Toi, révèle Lathuile.

— Et qu'est-ce que je sens ? s'inquiète Sa Majesté.

— Des tas de trucs pénibles n'ayant rien de commun avec les parfums de l'Arabie, entre autres choses le flic-mal-lavé !

Et Lathuile d'ajouter :

— Quand t'es ni noir ni rouquin et que tu pues, t'as aucune excuse !

C'est catégorique. Béru vide son seizième Bourbon d'un coup de gosier hargneux.

— C'est pour m'atteindre que tu dis ça, Lathuile.

— Pas toi personnellement, réduit le journaliste, je rêve de réformer la police. Je serais préfet, j'exigerais que tous les poulets se lavent les pieds au moins une fois par semaine.

— Tu vois grand, grommelle le Mastar, mais je serais de toi, Lathuile, je m'hâterais d'écraser pour pas recevoir en plein Pâlace une peignée pure laine qui ferait mauvais effet.

Les choses s'envenimant, je juge utile de signaler notre présence.

— On cause chiffons, les poivrots ? demandé-je en m'approchant de leur table.

En nous voyant, Béru se calme.

— C'est pas dommage, il fait. Vous avez joué papa-maman au service de la France, tous les deux, soit dit sauf votre respect, madame Curtis.

Malgré sa haute teneur en alcool, Lathuile bondit.

— Madame Curtis ! fait-il.

Il s'incline devant Laura.

Un mauvais sourire déguise sa lèvre inférieure en gargouille moyenageuse. Il me prend par l'épaule.

— Dis donc, San-A., chuchote le plumitif, que tu sois cachotier, ça fait partie de ton triste turbin, mais que tu me prennes pour de la crème d'andouille en me tirant les vers du nez à propos de Curtis, je trouve la chose un peu blette !

A mon tour je passe mon bras sur ses endosses, ce qui nous unit étroitement.

— Lathuile, lui chuchoté-je dans le creux de la vasque, ton abominable profession est basée sur l'indiscrétion, mais il est des circonstances où il faut savoir oublier.

Il a le regard gélatineux, le prince de la picole.

— Et celle-ci en est une, je parie ? il dit d'une voix plutôt menaçante.

— Yes, Monsieur, affirmé-je. Une supposition que tu n'oublies pas, moi je n'oublierais pas non plus.

— Avec deux bonnes mémoires on peut arriver à un résultat, poursuit cette peau d'hareng fumé.

— Le résultat, je peux te le raconter comme si on y était, Lathuile. Je t'imagine avec des béquilles, des lunettes de soleil pour cacher tes yeux enflés et ton Hermès bourré de rendez-vous chez le dentiste, obligé de te poser des dominos d'occasion.

— Dois-je considérer cela comme une menace, San-A ?

— Tu fais ce que tu veux, gars, t'es assez grand pour sortir sans ta bonne.

Il hèle le loufiat et commande une tournée générale, histoire de se donner le temps de la réflexion.

— Dans la vie, dit-il doctement, les gens intelligents trouvent toujours un terrain d'entente.

— Il te reste plus qu'à trouver auparavant une intelligence à louer.

— Mission secrète ? élude-t-il dans un souffle.

— Et ta sœur ?

— Elle est sténotypiste à France-Flash et va m'appeler dans une petite heure, répond cette sale fouine.