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Il hoche la tête.

— C’est deux dollars, Msieur !

— Et vous tirez combien de coups d'arbalette pour ce prix-là ?

Il est pas porté sur les calculs et il n'avait jamais songé à faire le compte. Mais les Extrême-Orientaux sont des drôles de petits vieux dam leur genre, ne dit-on pas en effet que les extrêmes se touchent ? En moins de temps qu'il n'en faut à Bérurier pour se remémorer sa date de naissance, l’arbalétrier annonce la couleur.

— Environ centaine, M'sieur.

— Ma foi, je vous propose cent dollars pour tirer deux fois, c’est-à-dire l’inverse, correct, non ?

Effaré, notre ami Ho Ksé Bon Le Ton. Il se dit que pour une somme pareille, je vais lui faire décocher sa première flèche dans le dargeot de Johnson et la seconde dans celui de Mao, histoire de terminer, cette guerre.

— Rassurez-vous, m'empressé-j e ; Il ne s'agira pas de tirer sur quelqu’un, mais dans une fenêtre.

— Une fenêtre ?

— Ouverte, de surcroît. Et les flèches que vous tirerez auront un embout de caoutchouc, c'est-à-dire qu'elles ressembleront à des trucs pour déboucher les lavabos, toujours correct ?

Il opine.

— Fort bien, dis-je.

Moi, vous me cernez. Je sais comment traiter ce genre de marché. Je sors un bifton verdâtre de mon portefeuille (prélevé sur les fonds secret, si le Vieux savait ça !) et je le déchire en deux. Je lui tends une moitié et je range l'autre.

— Fifty à la commande, fifty à la livraison, cher ami, c'est bien ?

Silencieusement car il n'y a pas besoin de faire donner les trompettes d'Olida pour souligner un tel geste — il branle le chef derechef.

— Alors en route !

Pour ne pas donner l'éveil au singe-tenancier, l'arbalétrier prend une chambre avec Béru (leur réputation dût-elle en pâtir) tandis que Lathuile s'en choisit une pour lui tout seul. Rendez-vous est pris dans ma chambre. En attendant le regroupement, je rédige un message destiné à Curt Curtis. J'écris textuellement ceci, deux points t'à la ligne :

« Mon petit Curt,

En digne descendant de La Fayette, me voici ! Grâce à un petit appareil qui, pour une fois, n'est pas d'invention amerloque, j'ai la possibilité de t'entendre. Alors, au reçu de ce message, tu vas, sans avoir besoin d'élever la voix, raconter ton mode de vie dans ce que nous autres polissons de françaises appelons un cul-de-bassefosse. Des fois qu'on pourrait te tirer delà avant qu’il soit trop tard.

Je t’en serre cinq et profite de la présente pour te dire courage.

Ton pote San-A.

P.S. : Ne reste pas devant ta fenêtre car il va y avoir une seconde distribution. »

On toque à la lourde. Il est trop tôt pour que ce soit le laitier, ce n'est que l'arbalétrier.

Je pourrais vous dire qu'avec son arc monté sur un fût, il me regarde d'un air carquois, mais le jeu de mot ne rimerait pas à grand-chose et, chercheurs de suif comme je vous connais, vous seriez chiches de m'en tenir rigueur. Un Béru maussade parce que mal réveillé et mal dessaoulé l'escorte, de même qu'un Lathuile attentif, cramponné à son cigare de ses trente-deux dents, si je puis dire (et qui m'en empêcherait d'ailleurs ?) comme un peintre en bâtiment dingue se cramponne au pinceau qui lui sert à barbouiller le plafond, lorsqu'on lui retire son escabeau.

— Votre numéro de music-hall contient quoi ? je demande au tireur d'élite.

— Je crève des ballons, puis je coupe des fils, puis je perce des as de cœur, puis je…

— Ça me suffit, cher ami. Moi, ce que je vous demande c'est de m'expédier une flèche dans la fenêtre que je vais vous désigner.

J'ai réglé le viseur de mon appareil sur un trépied afin de le rendre fixe. Il est braqué sur la façade de la prison militaire. Au centre de la cible se trouve la fenêtre de Curt.

— Vous apercevez la fenêtre ?

— Très bien. C’est la combien ?

— La deuxième.

— Parfait.

Je m’empare de la première flèche et j’y attache mon message avec du scotch.

— Alors, allez-y.

Béru se fourbit l’orbite pour mater la fenêtre, pendant que l’arbalétrier est en train de bander.

— Oh, ça alors, comment qu’il bande !

Il est arrêté en plein élan par un coup de pompe de Lathuile.

— Non mais, la toiture, ça t’arrive souvent de faire ça ?

— Toutes les fois qu’un abruti de ton genre a une langue aussi longue que l’escalator du printemps, machonne l’autre.

Je fige Bérurier d’un œil sanguinolent.

— Si tu ne fermes pas ta bouche d'égout, je t’assomme à coups de crosse, Enflure !

Il maugrée mais bon gré mal gré se met au secret.

— Jé suis prêt, m’sieur, me fait le facteur.

— Alors allez-y, prenez votre temps et faites moi du bon travail.

L'œil rivé au viseur je surveille la cible. Heureusement il fait un clair de lune au néon. Et, re-heureusement, là façade de notre hôtel est plongée dans l'ombre. D'en bas nous parvient le tohu-bohu géant des matafs américains ivres-morts. Des bribes de juke-box aussi.

A mes côtés, personne ne moufte. A croire que le temps s'est arrêté, obéissant ainsi à Lamartine avec quelque cent trente ans de retard. On dirait même que nos cœurs ne battent plus.

C'est ça le suce-pense.. ! Un léger claquement, une vibration profonde nous libèrent. J'ai eu beau m'écarquiller le lampion sur la lunette, je n’ai rien vu. La flèche aurait-elle manqué son but ?

Inquiet, je me tourne vers l'homme chargé d'assurer la soudure avec Curtis (une soudure à l'arc, en somme). Il est impassible, son arbalète dans les pognes.

— Raté ? soufflé-je.

Il fait un signe négatif.

— Non, M’sieur, pas raté.

— Pourtant, je regardais.

— Flèche, très rapide…

Je coiffe mon casque et branche le fouisaneur lombaire à émancipation correctible. O bonheur ! O joie ! O vieil ennemi ! Je perçois un bruit de papier déplié. Il y a un court silence. Puis une exclamation en ricain. Et puis un souffle haletant. Et alors, enfin, la bonne chère voix du bon cher Curt.

— San-Antonio, my love ! Tu es le diable ou le bon Dieu ! Alors, réellement, tu peux m'entendre ?

Ce que j'aimerais pouvoir lui répondre. Mais pour l'instant, mon petit engin ne fonctionne qu'à sens unique.

Nouveau froissement de papelard. Curtis relit le message, ou bien il l'utilise autrement. Je suppose qu'il le relit pour bien se persuader que je peux l'entendre.

Ça doit être déroutant de parler sans recevoir de réponse, surtout lorsque des murs et plusieurs centaines de mètres vous séparent de votre interlocuteur.

— Qu'est-ce que ta bricoles ? demande Lathuile !

D'un geste péremptoire, je lui ordonne de se verrouiller le piqueupe.

Mais l'intarissable Bérurier chope le relais.

— Les postes à galène c'est démodé, Gars, t'aurais intérêt à t'acheter un transistor !

— Ne parlez pas, je vous en supplie ! dit Laura.

Elle entraine mes deux camarades dans un angle de la chambre et leur explique ce qu'est mon appareil. Cependant, dans sa cellote, Curt reprend d'un ton posé et précis d'officier rendant compte de sa mission.

— Je suis bouclé dans une espèce de chambre forte, my friend. Par précaution, comme le bâtiment n'a pas d'étage, on a scellé des plaques de fer dans les murs et dans le plancher. La porte est également en fer. Elle ferme avec deux verrous et une clé. Elle donne sur un couloir éclairé seulement par des hublots. A un bout de ce couloir, il y a le mur. A l’autre, un poste de garde avec des factionnaires. Pour pénétrer dans ce poste de garde, il faut franchir un petit bâtiment plein de soldats. Bref, le Bon Dieu lui-même ne pourrait pas me tirer de ce guêpier. Inutile de tenter quelque chose, boy, tu y laisserais tes belles plumes !