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Malgré le ton enjoué du prisonnier, je décèle l'étendue de son amertume. Il en a gros sur la patate, Curt. Faut dire que c'est démoralisant, l’idée de se faire fusiller après-demain pour une faute qu'on n'a pas commise.

Ce qui me met en renaud, c'est de ne pas pouvoir lui poser les questions qui me viennent en tête.

— Je ne sais pas si tu m'entends vraiment, vieux frère.

J'écris fiévreusement sur un feuillet : « Finis de jouer les défaitistes, nous sommes là pour t'arranger le coup. T'arrive-t-il de sortir de ton piège à rat au cours de la journée. Si oui, quand et comment. Reçois-tu des visites ? Parle, bonté divine ! Raconte-nous aussi les barreaux de ta fenêtre ! »

J'enroule, comme précédemment, le message après la flèche.

Sans un mot je la tend au tireur.

Le voilà qui se remet à bander dur son arc métallique.

Cette fois, je m'abstiens de lorgnetter puisque le gars est plus rapide que mon nerf optique. Je préfère contempler les faits et gestes de l'arbalétrier. Il épaule, les coudes déployés comme les ailes d'une chauve-souris. Il parait sur le point de s'envoler. La flèche empennée de blanc repose sur sa rampe de lancement. Et puis soudain : dzzzi, elle y est plus, l'arc est détendu. Il vibre.

Je recoiffe le casque :

— …Il parle ? murmure Laura.

— Que dit il ?

— Rien de plus intéressant que ce que la Marquise de Sévigné écrivait à sa fille !

Effectivement, le voilà qui se remet à jacter, Curt. Sa voua a changé, cette fois il reprend espoir. Mon second message le dope. Il en veut !

— Alors, vrai, tu m'écoutes ! saint-thomase-t-il. C'est bon, tu sais. Oui, tous les matins à huit heures pile je vais aux douches. Deux M.P. viennent me chercher…

Ça m'aurait étonné que l'hygiène fût négligée. Je connais les Ricains et leur côté Cadum..

« On traverse le poste de garde, reprend Curtis. Les douches se trouvent dans le petit bâtiment dont je t'ai parlé, et qui sert d'infirmerie. C'est ma seule culture physique. Les autres prisonniers ont droit à une balade sous escorte autour des bâtiments, mais pas moi. Qu'est-ce que tu veux savoir encore ? Des visites ? A part celle de l'aumônier, depuis que je suis passé en conseil de guerre, je n'en reçois plus. Il vient une fois par semaine, le samedi ou le dimanche. Mais il viendra jeudi matin pour me dire « courage » et me charger sûrement de faire certaines commissions, aux copains du ciel ! Franchement, je ne vois rien d'autre à te dire, vieux frère. On m'apporte le breakfast le matin, après la douche. C'est copieux et bon. A midi, j'ai droit à une assiette de viande froide, et le soir à un repas substantiel. J'obtiens des livres par l'aumônier. Il m'en apporte une brassée à chacune de ses visites. Ils sont du genre lecture édifiante et si tu ne me sors pas de la m… je mourrai néanmoins en odeur de sainteté ! »

Allons, l'humour reprend ses droits. A mon avis, l'heure du troisième message est venue. Je me chope le bol à deux mains, pour bien réfléchir. Il faut que, sur l'instant, j'organise mon plan de bataille. Et dire qu'à Pantruche, le vieux me croit en train de traquer un réseau de trafiquants ! C'est un peu honteux de lui faire de l'arnaque, hein ?

Ma décision est prise. Je rédige mon troisième poulet.

« Demain matin, dans la douche, file-toi un coup de tête contre le mur de manière à saigner du pif. Et puis fais mine d'être évanoui. Surtout reste inanimé jusqu'à ce que je te dise banco, compris ? Je vais demeurer cinq minutes à l'écoute pour le cas où tu aurais encore quelque chose d'intéressant à m'apprendre. A demain, j'espère. »

Là-dessus je demande au zélé arbalétrier de m'interpréter le Facteur sonne souvent trois fois.

CHAPITRE VI

Toujours généreux, une fois que j'ai remis la seconde partie de son bifton de cent raides au tireur d'élite, je lui abandonne itou mon rouleau de scotch pour le rajuster.

— Et maintenant, qu'est-ce que tu vas fiche ? s'impatiente Lathuile intéressé, mais goguenard par profession.

— Laisse tomber la neige, mon pote, je lui réponds, et allons faire un gros dodo réparateur.

— Tu comptes sérieusement sortir le gars de son trou ?

— J'essaierai.

Il me biche à part.

— Qu'est-ce que sa bonne femme branle avec toi ? demande ce curieux congénital.

Je lui répondrais bien, mais on se ferait p't'être censurer.

— J'ai eu besoin de son concours, un point c'est tout, camarade.

— Ha bon, j'insiste pas ; mais je compte assister à la suite des événements, c'est juré hein ?

— Devant Dieu et devant les hommes, promets-je. Rendez-vous à six heures du matin dans le hall de notre hôtel.

Il s'étrangle.

— Six heures ! T'es pas louf !

— Mon vieux Lathuile, lui dis-je, l'épopée, ne s'écrit pas pendant les heures de bureau. Pour le second épisode, c'est comme pour la pêche.

Le lendemain morninge, à six heures, mes acolytes sont rassemblés dans un canapé du Pâlace. Laura sent le propre, la savonnette de luxe, l'eau de toilette délicate. Elle est fraîche et bien éveillée. Lathuile sent le café et le whisky, il nous explique qu'il est obligé de mettre moitié café moitié gnole dans son verre pour pouvoir tenir la position verticale. Quant à Béru, il sent le poisson qui s'attarde à l'étal d'un marchand. Ses pauvres yeux sont gonflés comme les joues d'un avaleur de pommes et ses lèvres désenchantées clapent à vide sur une nostalgie de bec.

— Votre programme, Docteur ? soupire-t-il libérant un bâillement.

— Mes amis, dis-je, nous arrivons au moment où nous allons friser l’illégalité, nous allons franchir le pas et batifoler dans la marge. En cas d'échec nous risquons gros, c'est pourquoi, Lathuile, si tu as des craintes pour ta carrière et la blancheur immaculée de ton casier judiciaire, tu peux remonter te pieuter et nous oublier.

Le journaliste sort un cigare et l'allume. Il porte un costar à petits carreaux qui le fait ressembler au drapeau d'un starter.

— Oublie-moi avec tes sermons, rouscaille-t-il. Depuis le temps que j'exerce ce foutu métier, mon casier a pris des égratignures, tu penses bien. Si je comptais les condamnations pour diffamation, coups et blessures, insultes à magistrat, tentatives de corruption de fonctionnaires et autres babioles, j’aurais besoin d'un ordinateur I.B.M.

— Nous allons, ce matin même, commettre une agression contre les forces américaines, mon gros loup, toujours O.K. ?

Il a un petit bâillement.

— Qu'appelles-tu une agression, poulet ?

— Je pense attaquer une voiture de l'armée, neutraliser ses occupants et m'en emparer.

Il fait la grimace.

— En effet, t'as pas froid aux chasses. Et qu'appelles-tu « neutraliser » ses occupants ?

— Je ne suis pas un assassin, Lathuile.

— Je m'en gaffe. Bon, je peux toujours vous faire un brin de conduite ; où vas-tu opérer cette fiesta ?

— A toi de me le dire puisque tu connais le patelin. J'aimerais m'emparer d'une ambulance. Seulement, pour la bonne marche des opérations, il ne faudrait pas que je me farcisse un convoi complet, O.K. ?

— Une ambulance, c'est ce qu'il y a de plus facile, assure-t-il, car elles ne chôment pas en ce moment.

Comme il achève ces mots, une formidable explosion retentit. Les vitres du Pâlace tremblent.