Выбрать главу

— Une dame vous demande, monsieur le commissaire.

— Vous me connaissez ? spontanément je questionne. — Jolie ?

La dame en question doit être toute proche du préposé car il baisse le ton et c'est d’une voix confuse qu'il lâche :

— Très, monsieur le commissaire.

— Alors, faites monter !

Déclic !

Et des claques ! Celles que Béru m’administre sur les jambons.

— V’là qu'on vient relancer m’ssieur sur son chantier ! pouffe-t-il. Le beau linge peut plus patienter jusqu'aux heures de fermeture ! Faut-il que j'enfile ma veste pour être plus présentable, dis, San- A ?

— Boutonne seulement ta braguette, ça suffira, lui enjoins-je.

Et voilà-t-il pas que l'interphone grésille à nouveau ; mais cette fois-ci, c'est l'organe froid du Vieux.

— Vous êtes là, San-Antonio ?

— Je, monsieur le directeur !

— Vous pouvez monter, c'est urgent.

— J'arrive. Le temps de renouer ma cravate.

— Faites patienter la dame annoncée, dis-je à mes subordonnés, et tâchez de vous tenir convenablement.

— Tu peux partir tranquille, promet Béru, j'y ferai des tours de cartes et j'y chanterai « Les Matelassiers » pour lui faire prendre patience.

Je m'esbigne. Coup de périscope dans le couloir, mais personne dans les horizons. Le réceptionnaire a dû la fourrer dans le vieil ascenseur hydraulique qu'on n'utilise plus que pour grimper les caisses de bière ou le ministre tant il est lent.

Je sais pas si le Big Dabe a son retour d'âge, toujours est-il qu'il s'est fringué en Roméo par cette superbe matinée de juin. Il porte un blazer à rayures saumon, grises et bleu-pervenche ; un pantalon de flanelle grise, une chemise blanche et une cravate bleue. On lui donnerait cent ans de moins, facile ! Sa coupole étincelle comme le phare tournant d'une ambulance et il sent l'eau de Cologne de luxe. Peut-être qu'il s'est levé une nana, monsieur le dirlo, allez savoir ? L'amour, personne lui échappe. J'en sais des malins qui vivaient bien à l'abri, s'estimaient hors d'atteinte… Et puis un jour :. crac ! Coup de buis derrière la tronche et le palpitant à l'incandescence ! C'est comme les accidents on se figure toujours qu'ils n'arrivent qu'aux autres, jusqu'au jour où l'on se retrouve dans une chambre d'hosto avec une guitare emballée comme un appareil d'optique et un drain de 8 m 47 branché dans le sac à boyaux.

Comme toujours, il me tend sa belle paluche de prélat qu'une gentille manucure doit lui fourbir hebdomadairement.

— En forme, San-Antonio ?

— Je suis positivement branché sur la force, monsieur le directeur.

Il est décidément très joyce, le scalpé. Quelques poils gris s'accumulent en couronne autour de son donjon. Il rectifie la position de sa chevalière dont le camée représente Cupidon à la bataille de Marignan et soupire :

— J'ai un petit travail pour vous, du genre aimable.

— A vos ordres, Patron.

— La brigade des stupéfiants vient d'être ridiculisée par une bande de trafiquants.

Ça le fait marrer rétrospectivement, le Big Boss. Il adore quand les collègues des autres services ont des avaries. C'est le genre de mec qui est plus sensible au malheur d'autrui qu'à son propre bonheur.

— Ils se sont laissé posséder comme des enfants !

J'ai envie de lui dire que ça arrive dans toutes les bonnes carrières de flic, d'être repassé sottement un jour ou l'autre. Au cours de l'année 33–34, toute la volaille amerloque était mobilisée contre Dillinger, mais l'ennemi public number one se tirait de toutes les embuscades à la faveur d'incidents ridicules qui jouaient en sa faveur. Ça a un nom, ce truc-là. Ça en a même plusieurs. On l'appelle la baraka, le bol, le pot, ou plus communément la chance. Jusqu'au jour où Dillinger s'est fait assaisonner à la sortie du cinéma où il venait de visionner un film de tueurs ! Le propre de la veine, c'est de ne pas durer. Ceux qui en bénéficient croient qu'ils l'ont annexée une fois pour toutes, alors ils jouent hardiment avec elle. Et puis elle les quitte, vu que c'est une capricieuse maîtresse qui n'aime pas se laisser chahuter trop longtemps. Sur le moment, le ci-devant veinard pense qu'il s'agit d'un accident, d'une erreur. Il glapit à la maldonne. Il lui faut beaucoup de temps pour piger qu'il l'a dans le fion, bien profond et définitivement. Cornard, il est devenu. Bon à nibe côté réussite. Ses entreprises lui claquent dans les pattes aussi aisément qu'elles aboutissaient naguère. Il vient d'écoper de la cerise. Le voilà incorporé dans les rangs lamentables des pas-vergeots, des paumés, des locdus ; promu sociétaire à part entière dans la compagnie de la mouscaille en branche.

— Imaginez, se délecte le Dabe, que nos petits amis avaient reçu une dénonciation informant qu'on allait débarquer une malle-cabine truquée d'un long-courrier de la ligne d'Orient et que cette malle contenait trente kilos d'héroïne. Ils se postent donc à Orly et, lorsque le Boeing signalé se pose, ils vérifient les bagages. Effectivement une grosse malle est dégagée de la soute. Ils l'explorent, découvrent qu'elle possède une double paroi. et mettent la main sur l'héroïne annoncée. Ravis de l'aubaine, nos braves collègues laissent la marchandise en place et courent se poster dans la salle des douanes où les passagers vont récupérer leurs bagages. Leur intention, vous l'avez devinée…

— Est de filer le coffre pour remonter le réseau de trafiquants, complété-je…

— Naturellement, ratifie le Vioque, naturellement..

Il jubile, il se pourlèche, matou vicieux, vieux mouilleur, gentil requin d'eau de boudin.

Je devine qu'ils se sont fait mochement doubler, les copains des stupes, pour que l'homme à la casquette en peau de fesse se marre pareillement, pour qu’il glousse, pour qu'il époustoufle, pour qu'il maroufle, pour qu'il s’essouffle de la sorte. La grosse traque lamentable. Le chat qui fait joujou avec la souris traquée et qui la voit se débiner par un trou propice.

— Deux hommes sont venus prendre livraison du colis, reprend-il.

— Connus ? l'interromps-je.

— Non. Les policiers ne les avaient jamais vus sur aucun fichier.

— Ensuite ?

C'est pourléchant, en effet, comme histoire lorsqu'on connaît la fin. On sait que les matuches ont eu droit à leur certificat de Pommes-à-l'eau mais on se demande de quelle manière s'est passé l'examen.

Ça doit être vachement hilarant, décidément à la façon que cet homme d'ordinaire si gris se fend le tiroir-caisse !

— Ils ont franchi la douane sans incident étant donné que les inspecteurs avaient fait le nécessaire auprès des douaniers pour que ceux-ci n'ouvrent pas la malle. Les deux hommes, une fois hors de l'aérogare, se sont mis en quête d'une voiture-camionnette capable de transporter leur volumineux fardeau… Ils ont fini par trouver une fourgonnette du genre break Citroën qui a accepté de charger la malle. Vous me suivez ?

— Mieux que nos collègues n'ont suivi les deux types, si j'en juge à vos réactions, monsieur le directeur, susurré-je (car, soit dit entre nous, un petit coup de lèche en passant n'a jamais fait de mal à personne).

Le déboisé de la colline se met à tambouriner son sous-main avec un coupe-papier, je crois pas me gourer en affirmant qu'il interprète « la Marche Lorraine ».

— Vous me faites languir, Patron ! geins-je.

Il a pitié.

— C’est plus beau que tout ce que vous pouvez imaginer, mon cher ami. Le taxi a traversé Paris sans s'arrêter pour gagner l'aéroport du Bourget. Une fois là, les deux hommes ont déchargé la malle-cabine et l'ont fait enregistrer pour l'avion de Madrid qui devait décoller à 12 h 35 le même jour…

Il abandonne son coupe-papelard pour dessiner des choses confines sur son bloc. Il fait des tortillons, des panaches, Il trace des lettres majuscules.