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Laura a le regard brillant. Elle me prend le cou.

— Tony, soupire-t-elle enfin, vous êtes vraiment un superman.

Je suis gêné par sa démonstration de tendresse.

Malgré la gravité de l'instant je pense à notre séance de la veille et, en présence de Curtis, ça me tracasse.

— Eh ben, Curt, l'interpellé-je, tu pourrais faire la bibise de retrouvailles à ton épouse au lieu de rester là comme un crapaud sur une feuille de nénuphar.

Il fronce les sourcils, me sourit d'un air indécis et murmure :

— Qu'est-ce que tu racontes, San-Antonio, je n'ai jamais été marié !

CHAPITRE VIII

Je vais apprendre une chose : la stupeur, ça a une odeur et ça fait du bruit. Elle sent le sucre caramélisé et elle craque comme du papier froissé, si bien qu'on se croirait tout à coup, à la fois dans le laboratoire d'un pâtissier et dans les cagoinses de Richelieu-Drouot.

Pendant le quart d'une fraction de seconde (impossible d'être plus précis) je me dis que la détention a perturbé le ciboulot de mon copain. Je le regarde avec cet effarement dont témoigne toujours une douairière lorsqu'elle trouve douze tirailleurs sénégalais en train de se sodomiser dans son lit à baldaquin, et je décide qu'il n'est point dingue. Néanmoins, pour la bonne règle, je laisse tomber un « qu'est-ce que tu débloques, Mec » qui me donne le temps d'étouffer mon incompréhension.

— La vérité, fait Curt Curtis, je suis un célibataire aussi endurci que toi, San-A. Où as-tu pris que j'avais convolé ?

Le con-volé, c’est vraiment mézigue, les gars. Je me tourne vers Laura. Changement à vue ; elle n'a plus son air tendre et anxieux. Je découvre un visage dur, fermé, avec toujours les mêmes yeux clairs, mais qui, maintenant, ont des reflets de glaciers.

— J’attends vos explications, Laura, dis-je, en chiquant les pères nobles lorsqu'ils sont outragés en apprenant que leur grande fille vient de déguster un moucheron dans l'abat-jour.

— Rien ne presse, Tony. Pour l'instant, nous avons des choses plus importantes à faire.

Je me penche pour zyeuter le chauffeur dans le rétroviseur. Cette bouille ne m'est pas inconnue. Je ne crois pas me gourer en vous disant qu'il s'agit du gros touriste qui voulait baratiner Laura chez le taulier-chimpanzé de l'hôtel borgne. Ça chancelle drôlement sous ma coiffe, mes amis. Bien que l'évasion de Curt ait réussi, je me dis que « rien ne va plus », Je m'explique maintenant le pressentiment angoissant qui me coupait les cannes avant d'agir. Mon camarade subconscient, un drôle de futé, avait plus ou moins subodoré tout ça. Il essayait de m'alerter, mais moi, belle poire, je ne pigeais pas ses signaux de détresse.

Bérurier s'est calé dans un coin du break et considère les autres passagers avec prudence.

— Tu crois pas que tu t'es fait repasser à la vapeur, San-A. ? me demande-t-il.

— Il me semble, reconnais-je avec cette immense loyauté qui est l'un des plus beaux fleurons de ma réputation.

L'auto déboule à cent vingt dans les rues populeuses. Je vais user d'une comparaison extraordinaire : elle fend le flot de la circulation, comme le soc d'une charrue fend la terre. C'est bath, non ? Faut se déballer les hémorroïdes pour métaphorer de la sorte. Je complèterai ce document littéraire en vous précisant que ladite circulation se referme derrière nous « comme le flot après qu'il est été labouré par l'étrave d'un bateau ». Oh ! que c'est beau ! Comme c'est académique ! Comme ça soutient la pensée ! Comme ça prolonge l'intelligence ! Comme ça intellectualise mon œuvre ! Comme ça ennoblit ma prose ! Comme ça la poétise ! Comme ça l'alexandrine !

Curt Curtis me sourit tendrement.

— Ecoute, my friend, me dit-il, Je ne comprends rien à ce qui se passe, mais je te dis un fameux merci. Tu as été formidable ! Comment as-tu su que j'étais dans cette pommade ?

Je désigne la mystérieuse Laura d'un hochement de menton.

— Madame est venue me trouver, elle se prétendait ton épouse : et m'a montré une lettre de toi dans laquelle tu lui conseillais de me demander mon précieux conte…

Curt fronce le nez.

— J'ai jamais rien écris de semblable et je ne connais pas cette fille. Qui êtes-vous ? demande-t-il à la jeune femme.

Elle ricane :

— Nous avons toutes les forces américaines à nos chausses et vous réclamez des explications avant de savoir seulement si nous allons nous en tirer !

— Justement, Laura, plaisanté-je, on risque de déguster une volée de balles d'une seconde à l'autre et l'on ne voudrait pas quitter ce bas monde sur un mystère…

— Je n'aime pas parier lorsque j'agis.

— Vous avez tort de m'envoyer aux bain turcs, avertis-je en caressant la crosse de ma mitraillette. Je pourrais très bien mal le prendre.

Elle me donne une petite caresse du front sur mon épaule. Une sensuelle, cette Laura.

— Tony, grand fou, vous êtes aussi crétin que téméraire. N'oubliez pas que pour l'instant nos intérêts se trouvent étroitement liés, car je ne vous souhaite pas de tomber entre les mains de vos amis yankees.

— Vos amis yankees ! C'est un trait de lumière.

— De quelle nationalité êtes-vous donc, Laura ?

— Centre-Europe, sourit-elle. Mon père Hongrois et ma mère Ukrainienne. Mon véritable nom est Olga Svarvas.

Je tressaille.

— L'agent soviétique plus connue sous le surnom de l'Ange blond ?

— Exact, cher commissaire. Vous connaissez, je vois, le Who's who de l'espionnage international.

Je m'apprête à lui poser d'autres questions seulement mon attention est sollicitée par une jeep qui vient de débouler d'une rue agaçante (Bérurier dixit) et qui fonce sur nous comme, pendant the last war, une torpille japonaise sur un cuirassé américain.

— Attention, Dimitri ! fait la fausse Laura (que je devrais appeler à partir de dorénavant la vraie Olga afin de ne pas me prendre le stylo dans les pédales).

Le gros conducteur, dont le cou fait des vagues, a un muet acquiescement. Je le vois actionner une manette. Je pige pas ce qui se produit, mais imaginez-vous que, quasi instantanément, un immense brasier flambe au mitant de la chaussée, comme si tout un séminaire de bonzes se faisait roussir pour faire suer les Amerloques.

— Qu'est-ce à dire ? interroge le Gros.

Olga condescend à le renseigner :

— Napalm, fait-elle. Il y en a un réservoir sous la voiture. C'est idéal pour décourager des poursuivants.

— Mince, mais les James Bond vont jusque chez vous ! m'exclamé-je, la bagnole truquée, à c't'heure ! Que comporte-t-elle encore comme gadgets.

— Ceci ! dit-elle.

Elle appuie sur un bouton astucieusement dissimulé à l'intérieur du cendrier. Très vite, une vitre s'élève de la banquette avant, isolant le conducteur de ses passagers.

— Et alors ? questionné-je.

Elle étend la main vers le plafonnier. L'appareil pivote comme le couvercle d'une boîte et une sorte d'étui jaune tombe du pavillon de l'auto. L'étui est relié au toit de la voiture par un tuyau de caoutchouc.

— Regardez bien ! nous dit Olga.

Elle tire un coup sec sur le conduit et se plaque l’étui contre la bouche. Il s'agit en réalité d'un masque respiratoire, comme ceux existant à bord des Boeings pour permettre aux passagers de recevoir de l'oxygène en cas de dépressurisation.

— A quoi jouez-vous, Ol…

Impossible d'en dire plus. En dégageant son masque elle a déclenché une émission de gaz. Et c'est pas une émission sans provision ! On en morfle plein les trous de nez, Curt, le Mastar et moi ! On a un geste pour abaisser les vitres du véhicule, mais les poignées tournent à vide. Ça noircit rapidos sous nos coiffes. On a la bigoudaine qui fait roue libre. On oublie le temps qu'il fait, la hausse des pris, les misères de la guerre et les dix commandements. Tchao, tchao, bambino, comme chantait l’autre.