Beau petit discours, n'est-ce pas ?
Pour moi, because mon étoupe dans les cornets, ça n'a été qu'un fade murmure, mais j'ai cependant pigé chaque mot.
— Olga, lui dis-je, si Dieu vous prêtait vie, ce qui m'étonnerait avec le métier que vous faites, je pense que vous finiriez dans la peau d'une dame patronnesse !
Ça ne l'amuse pas.
— Ecoutez moi, Tony, vous êtes un homme intelligent, vous, pas un utopiste. Vous comprenez parfaitement que vous êtes en notre pouvoir, tous les trois, et que seul un miracle peut vous sauver. Ce miracle se produira si vous nous aidez. Personnellement, vous n’êtes pas impliqué dans notre problème. Vous ne jouez qu'un rôle de témoin. Restez dans ce rôle et vous aurez tous les trois la vie sauve. A quoi bon prendre parti ?
Je lui vote un pauvre petit sourire anémié.
— Écoutez, Olga, en effet, je ne suis pas concerné par tout ça et je n'ai pas à prendre parti, alors je vais vous révéler un truc inouï : Curt Curtis n'a rien à vous dire ! Il ne m'a pas fait de confidences, du moins pas d'autres que celle qui consiste à me dire qu'il ne comprenait rien à vos questions. Comme je m'étais aperçu qu'il y avait des micros dans les bouches d'aération de la cellule, j'ai fait semblant de recevoir sa confession afin que vous me convoquiez ici. Mon but ? Avoir une conversation franche et honnête avec vous autres. Curt ne sait rien. Alors moi, je vous pose à mon tour une question : que voulez-vous donc savoir ?
Olga allonge ses mains fines sur le faux cuir gris du bureau et contemple un instant ses ongles. Après quoi elle se lève et sort de la pièce en compagnie de l'homme aux lunettes noires. En voyant ce dernier debout, l'impression que je le connais est encore plus nette. Le couple reste out quelques minutes, puis rentre et chacun reprend la place qu'il occupait.
La jeune femme est plus grave, me semble-t-il, qu'avant de sortir. Une expression soucieuse plisse son front.
— Écoutez, Tony, j'ai impression que l'affaire s'engage mal, me dit-elle, car de deux choses l'une : ou bien Curt vous a confié la vérité et vous refusez de nous la répéter ; ou bien il ne vous l'a pas dite, auquel cas il s'est moqué de vous en prétendant ne rien savoir.
— Mais Tonnerre de Brest, dis-je, ému au passage par cette référence au port breton, si lointain, et que je devine alangui sous la pluie ; tonnerre de Brest, reprends-je avec véhémence, si vous me disiez un peu ce que vous souhaitez apprendre de lui, vous ne croyez pas que ça gagnerait du temps ?
Le Chinois (ou assimilé) chuchote quelque chose à son voisin aux lunettes noires. Ce dernier fait un signe de la main, le genre de geste qui veut dire « minute » et l'homme au regard en forme de traits d'union n'insiste pas.
Olga reste silencieuse. Pour le coup, c'est moi qui insiste. Poilant comme la situation suit une curieuse renversée. Ces messieurs-dames constituaient un jury de tortionnaires pour m'extirper les vers du nez, et c'est moi qui poursuis l'interrogatoire. C'est moi qui tempête. C'est moi qui exige. Ah ! San-Antonio, je te reconnais bien là !. Diable d'homme, va ! ajouta-t-il en s'attendrissant sur lui-même car il était enclin à la bienveillance.
— Je ne sais pas quel jeu vous jouez, Tony laisse-t-elle tomber d'une voie détachée (à l'essence de térébenthine).
— Je joue à cartes sur table, ma jolie ! Vous prenez vos quatre vérités dans le paquet de brèmes et vous les étalez sur le tapis, facile, non ?
Réfléchissez, je demande, quoi ? Ce que vous attendez de Curtis. Si je le savais, pourquoi vous poserais-je la question ? Cela rimerait à quoi ? gagner un peu de temps ? A quoi bon ? Tandis que si je sais ce que vous voulez, je peux l'interroger en conséquence et lui arracher la vérité. A vous de décider.
Elle se penche, regarde l'homme aux lunettes noires. Il fait un mouvement affirmatif du menton.
— Nous avons la preuve que Curt Curtis appartient à une nouvelle organisation dont l'idéologie est basée sur la défense des droits de l'homme…
— Ça ne devrait pas heurter vos convictions, gentille Olga, riposté-je.
Elle hausse les épaules.
— Il vaut souvent mieux avoir affaire à un ennemi acharné qu'à un velléitaire trop passionné, monsieur le commissaire. Je crois qu'il existe un proverbe qui dit : « Mon Dieu, protège-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis ».
— Donc, murmuré-je, selon vous, Curtis aurait bel et bien eu partie liée avec les Vietcongs pour ramener son appareil piégé ?
— Exactement.
— Vous devriez le décorer, alors ?
Elle a un éclat sauvage dans la prunelle.
— Auparavant, nous aimerions avoir la liste des membres de son organisation, laquelle est d'origine chinoise !
Je pige. Un sourire intérieur m'inonde l'âme. Les popofs ne veulent pas se laisser écarter du gâteau par les secrètes manœuvres chinetoques. Pour contrôler la situation, ils tiennent à rafler toute las gloires. Conclusion, le Nord Viêt Nam est partagé entre deux tendances.
— Les Américains ne se posent pas de questions ?
— Si, mais Curtis a aidé à bloc.
— Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il ment ?
— Nous le savons.
— Peut-être vous trompez-vous ?
— Non !
— Je connais Curt et je…
Olga frappe le bureau de ses jolies doigts. Ça claque comme la lanière d'un fouet d'écuyer.
— Vous avez connu Curtis il y a plusieurs années, bien avant que ne se pose pour lui ce problème ; ignorez-vous que les hommes évoluent, San-Antonio ? Leur vie est malléable ; elle se disperse, elle se modifie. Un officier qui se met à penser est pratiquement perdu pour son pays. Curtis a subi des influences extérieures. Il a connu une Chinoise à San Francisco, une certaine Chou Poû Ri, taxi-girl dans une boîte de la ville. Il en est tombé amoureux, et cette fille qui était en réalité une espionne de la République Populaire, a usé de la passion qu'elle lui inspirait pour le gagner à sa cause ; vous voyez que nous sommes au courant de pas mal de choses.
— Je vois, Olga, je vois…
J'ai eu du mal à entendre, à cause des brins d'étoffe qui calfeutrent mes trompes d'eustache, heureusement qu'aucun bruit étranger ne vient troubler le débit d'Olga.
— Curtis ne vous avait parlé de rien.
— D'absolument rien, certifié-je avec d'autant plus de sincérité que c'est la vérité vraie. Maintenant, je vais avoir matière à discussion… Plus la peine de nous chambrer avec votre panoplie à la docteur Nô, ma chérie, il vous suffira d'écouter la retransmission qui va avoir lieu en direct de ma cellule.
— Nous allons entendre, en effet, dit-elle.
— Vous entendrez, du moins si Curt s'est remis de la piqûre que vous lui avez faite !
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! proteste la jeune femme, nous ne lui avons fait aucune piqûre.
— C'est ce qu'il prétend. Il a même tourné de l'œil…
Elle se dresse, mauvaise :
— Voilà bien la preuve que votre cher ami vous ment ! clame-t-elle. C'est pour éluder les questions qu'il feint l'évanouissement ! Il vous pigeonne comme il nous pigeonne nous-mêmes !
Je me sens tout chose. Qu'y a-t-il de vrai dans toutes ces giries, les mecs ? Vous avez une petite idée sur ce micmac-maison, vous ? Moi pas.
Un bref instant d'incertitude. Le gnace aux bésicles teintées fait claquer ses doigts. L'homme jaune s'approche de moi pour me débarrasser de ses appareils. J'en profite pour me dire que je pourrais jouer ma grande scène du III.
Ne serait-ce que pour faire plaisir à Bérurier.
CHAPITRE XI
Ce qui me décide c'est que, en même temps que le gars au regard en code me dépincette les volets, le Russe blond, qui jusqu'alors n'a rien dit ni rien fait, se lève pour aller tirer les rideaux car la chaleur régnant dans la pièce est devenue suffocante.