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Je constate alors qu'en deçà du rideau se trouve une large fenêtre ouverte. Et en deçà de la fenêtre la foret commence. Avouez que voilà réunis deux éléments bien tentants. Lorsque le monsieur-bourreau en a terminé avec moi, il m'abandonne aux tortionnaires.

Ils ont toujours la même formation, les Laurel et Hardy du convoyage. L'un se charge des menottes, tandis que l'autre le couvre en braquant son arquebuse dans mon panneau d'affichage.

Il se dit quoi t'est-ce, San-Antonio, mes poulettes ? Très exactement ceci : « Pour me mettre les menottes, il va falloir me détacher. S'il me détache la main droite en premier, j'aurai le temps de récupérer le tournevis dans ma poche pendant qu'il détachera l'autre. Ensuite, j'improviserai. » J'élève mon âme (nouvelle victoire du plus lourd que l'air) et je prie saint Antoine, mon patron et néanmoins ami de ne pas jouer au c… avec bibi. Par chance, sa ligne est libre et je l'ai au bout du sans-fil. Il prend ma commande illico. C'est donc bel et bien le poignet droit que le camarade gardien me détache. Tandis qu'il sectionne les lanières de cuir (de Russie), les quatre grands de l'aréopage constituent une réunion au sommet dans le coin le plus reculé de la pièce. Parfait. La conjoncture se présente bien. Ça risque de donner une séance d'accouchement sans douleur. Seulement, faut que la sage-femme (en l'occurrence la chance) y mette du sien.

J'ai donc le poignet droit libre. Je fais mine de laisser tomber mon bras sur ma hanche. Ma main se coule dans ma poche comme une vipère dans un tas de broussailles.

L'escogriffe délivre mon bras gauche. Maintenant, j'ai le tournevis en main, avant que d'avoir la situation. Je tiens la tige dans le prolongement de mon bras, tel le spadassin florentin préparant sa dague (à dague à dague tsoin tsoin). A la sauvette, je mate le mitrailleur. Il tient sa pétoire prête, mais il n'a pas l'influx nerveux. Toutes ces palabres auxquelles il n'avait pas à se mêler lui ont démobilisé le qui-vive, si j'ose dire (et comment que j'ose !).

Par conséquent, l'homme déterminé que je suis peut avoir raison de l'homme relâché qu'il est. La lutte du tournevis contre la mitraillette. L’essayer c'est l'adopter ; la couleur qui sort est la couleur gagnante, faites vos jeux ; rien ne va plus ! Au moment où le mercenaire number two s'apprête à me passer les poucettes, je lui colle ma boule dans la gargouille, ce qui, vu la violence du choc, la vitesse du vent et notre position par rapport au méridien de Greenwich, l'envoie valser dans le parterre. Dans le même élan (comme disait un autre mammifère de la famille des cervidés), je saute sur le braqueur et je lui plonge la tige du tournevis dans le gras de son bras qui tient la mitraillette.

Ça lui fait lâcher son arquebuse. Écoutez, mes drôles, je ne voudrais pas vous arquebuser, ni même vous abuser (seulement vous annoncer) en estimant à une seconde virgule quéque chose le temps utilisé pour cet exercice de style (qui constitue en fait un exercice de stylet).

C'est bien simple : les quatre personnes de l'état-major n'ont point encore eu le temps de se retourner que, déjà, je fais un plongeon de goal par la fenêtre.

Je me reçois dans un buisson d'Haicrevysse à fleurs persistantes, je signe un accusé (levez-vous) de réception, et je fonce en zigzag vers la forêt qui non seulement est proche, mais en outre imminente.

Le meilleur des springboks n'a jamais marqué un essai dans un style pareil. Deux soldats qui coltinent une cantine me barrent la route, mais je les drible. C’est seulement lorsque j'atteins le couvert des arbres que la mitraillade éclate. Des pralines de fortes dimensions hachent les feuilles d'or (qui ne sont pas celles du roman d'espionnage) autour de moi. Sans m'arrêter de galoper, je me convoque pour un entretien à huis clos, et je m'apostrophe. Je me dis exactement ceci, sans y changer une syllabe : « Mon petit San-Antonio, tu viens de réussir la partie la plus délicate de l'opération-survie ; maintenant il faut que tu fasses travailler tes méninges si tu veux que le baromètre reste au beau fixe. Ces enfants de fumelard vont entreprendre une chasse à courre à côté de laquelle celle du marquis de la Glotte Quiremonte aura l'air d'une partie de pêche sur les bords de l'Oîse peinte par Manet. Tu ne connais pas d'autre jungle que celle de Paris et te voilà dans la Ménélas (comme disait Hélène) jusqu'au trognon. Si dans les dix secondes qui suivent tu retrouves pas une idée de première, c'est la terre vietnamienne qui bénéficiera de l'azote qui te constitue si harmonieusement (j'ai le style ampoulé depuis qu'on m'a posé des ventouses). On peut se causer tout en cavalant ; y a bien des mecs qui ont des instruments gros comme des lessiveuses et qui jouent Sambre et Meuse en marchant.

Rapidement, la sylve s'épaissit. Les arbres montent en fûts, les lianes guirlandent de plus en plus bas : une odeur opiacée monte de cette végétation qui serait exotique si elle poussait ailleurs qu'où elle se trouve (C.Q.F.D., et même C.Q. tout court, hein ?). Je pense que j'ai le choix entre continuer de galoper dans la jungle (mais je n'ai rien d'un jongleur indochinois), ou me planquer Je serais partant pour cette seconde alternative si je ne me disais que mes petits camarades ont sûrement des clébards à leur disposition et que les mignons cabots m'auront reniflé aussi vite qu'on renifle la présence de Bérurier dans un cinéma. Dans tous les films, et dans tous les bouquins traitant d'un fugitif coursé par des clebs, on voit celui-ci s'élancer dans un cours d'eau pour gommer sa piste. Il respire avec une paille, ou s'eaue (il existe bien le verbe se terrer, j’ai envie d’inventer le verbe s’eauer) au milieu des joncs. J'en ferais bien autant, croyez-le, car je ne répugne pas à recourir à certains conformismes d'action ; pourquoi faire la fine babouche quand on va à la mosquée ? Mais le hic, c'est qu'aucun cours d'eau n'a la bonne idée de passer par-là. Je ferais bien du ruisseau, seulement je risque d'attendre longtemps. Et comme, précisément, c'est le temps qui me fait le plus défaut, force m'est de trouver autre chose, et de le trouver immédiatement. Galopant à en perdre sa laine, je me prends les nougats dans une liane plus trainante que les autres. The good idée. Je m'élance, me balance, me hisse, m'élève, me juche. Mais il serait vain de me croire hors d'atteinte sous prétexte que je me trouve dans les hautes branches d'un fisquier polyvalent. Que c'est beau ! Qu’on a envie de chanter « La flore que tu m'avais jetée » en trois couplets et un tombé. A quelques centaines de mètres de là, un remue-ménage éclate : coups de fusil, coups de sifflets, cris, aboiements, il y en a pour tous les goûts, pour toux les tympans. Fissa, San-Antonio ! Remue-toi le prosper, mon gars ! Ne pleure pas ton huile de coude ! Du cran, économise ton souffle, tu te goinfreras d'oxygène plus tard ! Je joue les Tarzan. Une liane ! Un élan ! Et hop ! je me retrouve dans un nouvel arbre. Une autre liane, un autre élan : et re-hop ! Ainsi de suite… Je ne compte pas mes pirouettes. J'ai les mains en sang, le visage et le dos labourés d'estafilades ! J'ai dû parcourir une certaine distance ainsi. Le vacarme se rapproche. Cette fois, il s'agit de se tenir peinard. Justement, je me trouve dans les branchages touffus d'un pompidier panaché, cet arbre qui peut atteindre jusqu'à cinquante mètres de haut et six mètres de circonférence. Comble de bonheur, le tronc est creux. Je me love par une ouverture : I love you. C'est la première fois que je glisse une obole de cette nature dans le trou d'un tronc. Un écureuil dérangé se barre à toute vitesse tandis qu'une guenon au pelage cendré (c'est une mongolienne à tête chercheuse) me fait de l'œil et se cherche une puce pour me l'offrir. On ne vit pas assez près de la nature ; nous autres citadins. On fait les mariolles, mais on ne connaît rien des habitants de nos forêts, on ignore l'odeur des feuilles pourrissantes. Je me crois à Rambouillet ! Je reste immobile, logé dans ma cavité comme un ver dans son fruit.