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Si vous le verriez ; Béru ! Oh, la noble figure ! Comme il est généreux ! Plein du sang d'autrui.

Il en verse parfois mais il en garrotte ! Il est surtout remué par un petit garçonnet d'une dizaine d'années qu'on a trouvé blessé sur le bord d'une route, avec un pansement à la tête et l'air si désemparé qu'on le garde avec nous.

Sa Majesté en est folle de ce mouflet. Il est tout malingre, avec un pauvre visage de ouistiti mal nourri, faut dire. Il ferait chialer une brique réfractaire, je vous assure.

Au petit matin, un Scoubidou de la compagnie Yhahour à valvos réacteurs est là, qui nous attend. Curt prend alors congé de nous.

— Tony, me dit-il, je regrette d'avoir entaché ta conscience, ça n'est pas ma faute, car je ne suis pas allé te chercher, mais je te remercie pourtant d'être venu.

— Nous sommes quittes, lui dis-je.

On se sourit. On a peut-être les yeux qui brillent, ou alors c'est la rosée du matin (à laquelle Béru préfère le rosé de Provence). On voudrait ajouter des trucs, pas se larguer commak ; se parler de l'avenir, se promettre encore des amitiés futures, mais maintenant, hein, après ce pastaga sidérant, et ces révélations abasourdissantes, on serait pas à notre aise. Cherchons pas à péter une pendule : la vie continue chacun pour soi. Nos routes se sont croisées une première fois, puis une seconde et dernière fois, l'un a fait à l'autre le plus chouette des cadeaux : sa vie.

Dans le fond, ma mission était sacrée et je l'ai remplie. Je rentre au port meurtri mais apaisé.

— Dites voir, m'sieur Machin-en-ski, fait Béru à Curt en s'approchant, je voudrais vous demander une faveur.

Elle lui est accordée.

Vous saurez ce dont à propos de quoi il s'agit dans les pages suivantes.

En attendant, je prends l'avion.

EPILOGUE

C'est un Pinuche radieux que je trouve dans le bureau. Il m’aperçoit et me sourit.

— Ah, te voilà, fait-il, justement, je rédigeais mon rapport à propos de cette affaire de stupéfiants…

— Tu as progressé, Pépère ? demandé-je à la Vieillasse pavanante.

— Et comment : j'ai retrouvé la camelote, imagines-toi.

Je bondis.

— Quoi, la malle à double fond bourrée d’héroïne ?

— Yes, monsieur.

Ça c'est fort, je dois convenir, incidemment.

— Figure-toi que l'autre soir, j'étais distrait, je laisse ma voiture devant une porte cochère. Le lendemain matin, j'arrive : plus d'auto ! J'ai cru au vol et je me suis rendu au commissariat où l'on m'a appris qu'elle avait été emmenée à la fourrière. Tout flic que je sois, j'ai dû aller la chercher et payer l'amende. Tandis que je m'exécutais, continue la Vieillasse, mon attention, toujours en éveil, tu le sais…

— Oh, pour l'amour du ciel, abrège, tonné-je. Tu me scies les nerfs, Pinuche !

— Je t'en prie, se rebiffe-t-il, je te rapporte strictement les faits, dans leur ordre purement chronologique, et…

Je l'agrippe par son veston.

— Tu accouches, oui ?

Pincé, il rajuste son col.

— Mon attention, toujours en éveil, tu le sais, reprend-il, imperturbable, m'a fait remarquer un break Citroën rangé juste à côté de mon auto… Tu connais ce vieil instinct, qui…

— Fantastique, m'écrrié-je, c'était le faux taxi à la malle ?

— Comment as-tu deviné ? déplore le cher homme.

— Bast, fais-je, simplement ce vieil instinct que tu connais pour le posséder toi-même en plus faible quantité. Et la came se trouvait à l'intérieur ?

— Oui. Figure-toi que les trafiquants avaient laissé leur voiture devant la porte cochère du ministère des Autodéterminés. C'était recta l'envoyer à la fourrière. A la fourrière, comprends-le, on met les scellés sur les véhicules. Ils étaient donc tranquilles, les malins : leur marchandise se trouvait sous la protection de la police !

— La suite, Pinaud, la suite, tonné-je.

— Je suis retourné devant le ministère et j’ai trouvé une piste.

Il se racle la gorge.

— Seulement, il va falloir que nous allions à Saigon, fait-il.

— En ce cas, ta piste, tu peux te la foutre au cumulus, tranché-je. Ou alors vas-y tout seul, je t'attends là. Saigon, je sors d'en prendre, Vieille.

La porte s'ouvre avec fracas sous la magistrale Bérurier.

— Ah, vieux, t'es là, dit le Gros à Pinuche. Il se tourne vers moi.

— Tu lui as parlé de la surprise ? me demande-t-il.

— Quelle surprise ? s'épanouit la Vieillasse.

— O n t'a rapporté quèque chose du Viêt Nam, déclare Bérurier. Quèque chose de pas banal et qui te fera de l'usage.

— Quoi donc ? s’étrangle-t-il. Une potiche ?

— Bien mieux que ça, Pépère : mate un peu, tes rêves vont z'être comblés.

Il repasse dans le couloir et s'annonce avec le petit vietnamien blessé que nous découvrîmes au bord de la route.

— Voilà un petit orphelin que tu vas adopter, Pinuche, sentence l'Hénorme. D'accord, il est passé au safran et il a les phares à iode dans le sens de la largeur, mais c'est un petit gars bien méritant : sur que tu deviendras pour lui un véritable père, aussi bien que tu l'aurais fabriqué à Mâme Pinaud un soir que t'aurais contrasté la jaunisse. Avant de te l'apporter, je suis passé le fringuer à la B.J. pour y acheter un costume mataf, vus qu'il avait sur lui que des nippes pas présentables et tachées de sang. Il est pas chou, comme ça ?

Entre nous et l'autre imbécile qui est à vos côtés, je le trouve un peu carnavalesque, le petit Vietnamien avec son béret marin posé sur son pansement, son pantalon bleu marine qui lui arrive au-dessous des genoux (sans pour autant ressembler à un Bermuda) et sa vareuse trop grande de deux tailles dont les boutons s'ornent d'ancres carolines. Mais enfin, comme dit la chanson (je me répète en vous le répétant) c'est pas l'objet qu'il faut regarder, c'est la façon de le présenter.

Abasourdi au début, Pinaud s'humidifie. Son attendrissement fait du bien à voir. Il se penche sur le bambin, le prend dans ses bras maigrichons et l'étreint avec une fougue déjà paternelle.

— Mon canard, mon poussin, mon bouton d'or, mon jaune d'œuf, mon gentil citron, comment t'appelles-tu ?

Bérurier se gratte l'entrejambe d'un air ennuyé.

— Y a deux os, fait-il, mais ça s'arrangera très vite. Primo, il cause pas français, ça tu lui apprendras. Deuxio, on ignore son nom, mais t'auras qu'à le baptisée comme tu voudras… T’aurais pas une idée, toi qu'en as toujours ? ajoute-t-il en s'adressant à moi.

— Si, fais-je illico. Etant donné qu'il est jaune et loqué en petit marin, appelons-le Pamplemousse.

Ainsi fut faite l'adoption de Pamplemousse. Participent aux festivités : M'man, son fils unique et les Bérurier.

Mme Pinuche, toute fofolle, toute joyce depuis qu'elle est maman, a mis les pieds plats dans l'écran (selon Béru). Elle nous confie qu'ils adorent Pamplemousse. C’est un petit gars intelligent dont elle sent se développer les qualités morales. Elle rêve pour lui d'une situation élevée plus tard couvreur ou aviateur. Qui sait : s'il est malin deviendra-t-il peut-être promoteur immobilier et député s’il ne l'est pas. Seulement, quelque chose déroute nos hôtes : depuis son installation chez les Pinaud, le petit Vietnamien réclame on ne sait quoi avec une véhémence qui effraie ses nouveaux parents. Afin de savoir de quoi il retourne, j'ai demandé à Lathuile de se joindre à nous, car le crack de France-flash (que je viens de retrouver à Paname et auquel, fidèle à ma promesse, je fournis des éléments de papier plus ou moins fantaisistes) parle couramment cent vingt-huit langues ou dialectes, parmi lesquels le nord-vietnamien : il radine aux hors-d'œuvre, essoufflé, la cravate de travers, avec deux boutons de sa braguette non ajustés.