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—  L’acteur Will Smith, dans les interviews pour la promotion de son nouveau film, parlait toujours de mon livre «l’Alchimiste  ».

—  Le film était basé sur un livre que j’avais lu des années plus tôt et beaucoup aimé  : «Moi, Robot  », d’Isaac Asimov. J’ai décidé d’aller le voir, en hommage à Smith et à Asimov.

—  Le film passait dans une petite ville du sud-ouest de la France dès la première semaine d’août. Mais une série de choses sans importance m’a empêché de me rendre au cinéma   – jusqu’à ce dimanche.

J’ai dîné tôt, partagé une demi-bouteille de vin avec ma femme, invité ma bonne à venir avec nous (elle a résisté, mais a fini par accepter), nous sommes arrivés à temps, nous avons acheté du pop-corn, nous avons vu le film et l’avons aimé.

J’ai pris la voiture pour un trajet de dix minutes jusqu’à mon vieux moulin transformé en maison. J’ai mis un CD de musique brésilienne et j’ai décidé d’aller assez lentement pour que, pendant ces dix minutes, nous puissions entendre au moins trois chansons.

Sur la route à deux voies, traversant des villages endormis, je vois -surgissant du néant   – deux phares dans le rétroviseur à côté du conducteur. Devant nous, un croisement, dûment signalé par des poteaux.

Je tente d’appuyer sur le frein, sachant que cette voiture ne parviendra pas à ses fins, les poteaux interdisent totalement toute possibilité de dépassement. Tout cela dure une fraction de seconde   – je me souviens que j’ai pensé «ce type est fou  ! «-, mais je n’ai pas le temps de faire de commentaire. Le chauffeur de la voiture (l’image qui est restée gravée dans ma mémoire est une Mercedes, mais je n’en suis pas certain) voit les poteaux, accélère, me fait une queue de poisson et, alors qu’il essaie de corriger sa direction, se retrouve en travers de la route.

Dès lors, tout paraît se dérouler au ralenti  : il fait un premier, un deuxième, un troisième tonneau sur le côté. Ensuite, la voiture est jetée sur le bas-côté et continue ses tonneaux   – faisant cette fois de grands sauts, les pare-chocs avant et arrière frappant le sol.

Mes phares éclairent tout, et je ne peux pas freiner brusquement -j’accompagne la voiture qui fait des culbutes à côté de moi. Cela ressemble à une scène du film que je viens de voir   – sauf que, mon Dieu, tout à l’heure c’était une fiction, et maintenant c’est la vie réelle  !

La voiture regagne la route et s’arrête enfin, renversée sur le flanc gauche. Je peux voir la chemise du chauffeur. Je me gare à côté de lui, et une seule idée me passe par la tête  : je dois sortir, l’aider. A ce moment-là, je sens les ongles de ma femme se planter profondément dans mon bras  : elle me supplie, pour l’amour de Dieu, de continuer, de me garer plus loin, la voiture accidentée risque d’exploser, de prendre feu.

Je fais cent mètres de plus, et je me gare. Le disque de musique brésilienne continue de passer, comme si rien n’était arrivé. Tout semble tellement surréel, tellement lointain. Ma femme et Isabelle, ma bonne, se précipitent vers le lieu de l’accident. Une autre voiture, venant en sens inverse, freine. Une femme en sort, nerveuse  : elle aussi, ses phares avaient éclairé cette scène dantesque. Elle me demande si j’ai un mobile, je dis oui. Alors appelez les secours d’urgence  !

Quel est le numéro des secours  ? Elle me regarde  : Tout le monde le sait  ! Trois fois 51  ! Le mobile est éteint   – avant le film, on nous rappelle toujours que nous devons le faire. J’entre le code d’accès, nous téléphonons aux secours - 51 51 51. Je sais exactement où l’événement s’est produit  : entre les hameaux de Laloubere et Horgues.

Ma femme et la bonne reviennent  : le garçon a des égratignures, mais apparemment rien de grave. Après tout ce que j’ai vu, après six tonneaux, rien de grave  ! Je suis sorti de la voiture à moitié abasourdi, d’autres automobilistes se sont arrêtés, les pompiers arrivent dans cinq minutes, tout va bien.

Tout va bien. A une fraction de seconde près, il m’aurait rattrapé, m’aurait jeté dans le fossé, tout irait très mal pour l’un et pour l’autre. Très très mal.

De retour chez moi, je regarde les étoiles. Parfois certaines choses se trouvent sur notre chemin, mais parce que notre heure n’est pas venue, elles nous effleurent en passant, sans nous toucher   – bien qu’elles soient suffisamment claires pour que nous puissions les voir. Je remercie Dieu de m’avoir donné la conscience de comprendre que, comme le dit l’un de mes amis, ce qui devait arriver est arrivé, et rien n’est arrivé.

13.

Le pianiste au centre commercial

Je me promène, distrait, dans un centre commercial, accompagné d’une amie violoniste. Ursula, née en Hongrie, est actuellement en vedette dans deux philharmoniques internationales. Brusquement, elle me prend le bras  :

«Ecoute  ! «

J’écoute. J’entends des voix d’adultes, des cris d’enfant, des sons de téléviseurs allumés dans des magasins d’électroménager, des talons frappant contre les carreaux du sol, et cette fameuse musique, omniprésente dans tous les centres commerciaux du monde.

«Alors, n’est-ce pas merveilleux  ?  »

Je réponds que je n’ai rien entendu de merveilleux ni d’inhabituel.

«Le piano  ! dit-elle, me regardant d’un air déçu. Le pianiste est merveilleux  !

—  Ce doit être un enregistrement.

—  Ne dis pas de bêtise  ! «

Si l’on écoute plus attentivement, il est évident que c’est de la musique en direct. Le pianiste joue à ce moment une sonate de Chopin, et maintenant que je parviens à me concentrer, les notes semblent recouvrir tout le bruit qui nous entoure. Nous marchons dans les couloirs pleins de visiteurs, de boutiques, d’offres, de choses dont la publicité dit que tout le monde les possède   – sauf vous ou moi. Nous arrivons au carré de l’alimentation  : des gens qui mangent, conversent, discutent, lisent des journaux, et une de ces attractions que tout centre commercial s’efforce d’offrir à ses clients.

Cette fois, un piano et un pianiste.

Il joue encore deux sonates de Chopin, puis Schubert, Mozart. Il doit avoir une trentaine d’années  ; une plaque placée près de la petite estrade explique qu’il est un musicien célèbre en Géorgie, une des ex-

Républiques soviétiques. Il a dû chercher du travail, les portes étaient fermées, il a perdu espoir, s’est résigné, et maintenant il est là.

Mais je ne suis pas certain qu’il soit vraiment là  : il a les yeux fixés sur le monde magique où ces morceaux ont été composés  ; de ses mains, il partage avec tous son amour, son âme, son enthousiasme, le meilleur de lui-même, ses années d’étude, de concentration, de discipline.

La seule chose qu’il semble n’avoir pas comprise  : personne, absolument personne n’est venu là pour l’écouter, ils sont venus acheter, manger, s’amuser, regarder les vitrines, rencontrer des amis. Un couple s’arrête à côté de nous, causant à voix haute, et s’éloigne aussitôt. Le pianiste n’a rien vu   – il est encore en conversation avec les anges de Mozart. Il n’a pas vu non plus qu’il avait un public de deux personnes, et que l’une d’entre elles, violoniste talentueuse, l’écoutait les larmes aux yeux.

Je me souviens d’une chapelle où je suis entré un jour par hasard et où j’ai vu une jeune fille qui jouait pour Dieu  ; mais j’étais dans une chapelle, cela avait un sens. Ici, personne n’écoute, peut-être même pas Dieu.

Mensonge. Dieu écoute. Dieu est dans l’âme et dans les mains de cet homme, parce qu’il donne le meilleur de lui-même, indépendamment de toute reconnaissance, ou de l’argent qu’il a reçu. Il joue comme s’il se trouvait à la Scala de Milan, ou à l’Opéra de Paris. Il joue parce que c’est son destin, sa joie, sa raison de vivre.