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Eve se promenait dans le jardin d’Eden, quand le serpent s’approcha.

«  Mange cette pomme  », dit le serpent.

Eve, très bien instruite par Dieu, refusa.

«  Mange cette pomme, insista le serpent, tu dois te faire belle pour ton homme.

—  Ce n’est pas la peine, répondit Eve. Il n’a pas d’autre femme que moi.

  »

Le serpent rit  : «  Bien sûr que si.  »

Et comme Eve ne le croyait pas, il l’emmena jusqu’en haut d’une colline, où se trouvait un puits.

«  Elle est dans cette caverne. Adam l’y a cachée.  »

Eve se pencha et vit, reflétée dans l’eau du puits, une belle femme. Sur-le-champ, elle mangea la pomme que le serpent lui offrait.

Selon la même tribu marocaine, celui qui se reconnaît dans le reflet du puits et n’a plus peur de lui-même retourne au Paradis.

Je suis à New York

Je suis à New York, je me suis réveillé tard, j’ai un rendez-vous, et quand je descends, je découvre que ma voiture a été remorquée par la police. J’arrive en retard, le déjeuner se prolonge plus qu’il ne le devait, je sors en courant pour me rendre au Service de la Circulation, payer une amende qui va me coûter une fortune.

Je me souviens du billet d’un dollar que j’ai trouvé par terre hier, et j’établis une relation apparemment folle entre ce dollar et tout ce qui s’est passé le matin.

J’ai peut-être ramassé le billet avant que la bonne personne ne le trouve.

J’ai peut-être retiré ce dollar du chemin de quelqu’un qui en avait besoin.

J’ai peut-être interféré dans ce qui est écrit.

Je dois m’en défaire. Je vois un mendiant assis sur le sol, je lui remets le dollar   – il semble que j’aie réussi à rééquilibrer les choses.

«  Un moment, dit le mendiant. Je ne demande pas l’aumône  ; je suis un poète.  »

Et il me tend une liste de titres, pour que je choisisse une poésie.

«  La plus courte, parce que je suis pressé.  »

Le mendiant se tourne vers moi et récite  :

«  Elle n’est pas de moi, mais elle est très jolie, et elle dit ceci  :

«  Il existe pour vous un moyen de savoir si vous avez déjà accompli votre mission sur Terre  : si vous êtes toujours en vie, c’est que vous ne l’avez pas encore accomplie.  »  »

Gagner une seule nuit

À l’âge de douze ans, Milton Ericksson fut victime de la poliomyélite. Dix mois après avoir contracté la maladie, il entendit un médecin dire à ses parents  : «  Votre fils ne passera pas la nuit.  »

Ericksson entendit sa mère pleurer. «  Qui sait, si je passe cette nuit, peut-être ne souffrira-t-elle pas autant  », pensa-t-il. Et il décida de ne pas dormir jusqu’à ce que le jour se lève.

Au matin, il s’écria  : «  Regarde, mère  ! Je suis encore vivant  !  »

La joie fut si grande à la maison que dès lors il décida de toujours résister une nuit de plus, pour remettre à plus tard la souffrance de ses parents.

Il mourut en 1990, à 75 ans, laissant une série de livres importants sur l’énorme capacité qu’a l’homme de vaincre ses propres limites.

Restaurer la toile

À New York, je vais prendre le thé en fin d’après-midi avec une artiste hors du commun. Elle travaille dans une banque à Wall Street, mais un jour elle a fait un rêve  : elle devait aller dans douze endroits du monde, et dans chacun de ces lieux, faire un ouvrage de peinture ou de sculpture à même la nature.

Jusqu’à présent, elle a réussi à réaliser quatre de ces ouvrages. Elle me montre les photos de l’un d’eux  : un Indien sculpté dans une caverne en Californie. Tandis qu’elle attend les signes à travers ses rêves, elle continue à travailler à la banque   – elle trouve ainsi de l’argent pour voyager et poursuivre sa tâche.

Je lui demande pourquoi elle fait cela.

«  Pour maintenir le monde en équilibre, répond-elle. Cela peut paraître une sottise, mais il existe une chose ténue, qui nous unit tous, et que nous pouvons améliorer ou rendre pire à mesure que nous agissons. Nous pouvons sauver ou détruire beaucoup de choses d’un simple geste qui parfois semble absolument inutile.

Il se peut même que mes rêves soient des sottises, mais je ne veux pas courir le risque de ne pas les suivre  : pour moi, les relations entre les hommes ressemblent à une immense et fragile toile d’araignée. Par mon travail, je tente de raccommoder une partie de cette toile.  »

2.

Comment avons-nous survécu  ?

Que nous tentions toujours d’améliorer notre santé, notre mode de vie et notre rapport à la nature, c’est très bien, mais je commence à trouver que l’on exagère un peu.

Je reçois par la poste trois litres de produits qui remplacent le lait  ; une société norvégienne veut savoir si je suis intéressé à investir dans la production de ce nouveau type d’aliment, vu que, de l’avis du spécialiste David Rietz, «  TOUT (les majuscules sont de lui) lait de vache contient 59 hormones actives, beaucoup de graisse, du cholestérol, des dioxines, des bactéries et des virus  ».

Je pense au calcium dont ma mère, quand j’étais petit, me disait qu’il était bon pour les os, mais le spécialiste me réplique  : «  Le calcium  ? Comment est-ce que les vaches peuvent acquérir assez de calcium pour leur volumineuse structure osseuse  ? Par les plantes  !  » Bien sûr, le nouveau produit est fait à base de plantes, et le lait est condamné sur la base d’innombrables études faites dans les instituts les plus divers répandus dans le monde.

Et la protéine  ? David Rietz est implacable  : «  Je sais que l’on appelle le lait viande liquide (je n’ai jamais entendu cette expression, mais il doit savoir ce qu’il dit) à cause de la haute dose de protéine qu’il contient. Mais c’est la protéine qui fait que le calcium ne peut être absorbé par l’organisme. Les pays qui ont un régime riche en protéines ont également un indice élevé d’ostéoporose (absence de calcium dans les os).  »

Le même après-midi, je reçois de ma femme un texte trouvé sur Internet  :

«  Les personnes qui ont aujourd’hui entre 40 et 60 ans montaient dans des voitures qui n’avaient pas de ceinture de sécurité, d’appui-tête ou d’airbag. Les enfants étaient en liberté sur la banquette arrière, chahutant et s’amusant à faire des bonds.

Les berceaux étaient peints avec des peintures «  douteuses  », puisqu’elles pouvaient contenir du plomb ou d’autres éléments dangereux.  »

Moi par exemple, je fais partie d’une génération qui pratiquait les fameux carrinhos de rolimâo (je ne sais pas comment expliquer cela à la génération actuelle   – disons que c’étaient des boules de métal attachées entre deux cercles de fer) et nous descendions les pentes de Botafogo, en freinant avec nos chaussures, tombant, nous blessant, mais fiers de cette aventure à grande vitesse.

«  Il n’y avait pas de téléphone mobile, nos parents n’avaient aucun moyen de savoir où nous étions  : comment était-ce possible  ? Les enfants n’avaient jamais raison, ils étaient toujours punis, et ils n’avaient pas pour autant des problèmes psychologiques de rejet ou de manque d’amour. À l’école, il y avait les bons et les mauvais élèves  : les premiers passaient à l’étape suivante, les autres étaient recalés. On n’allait pas chercher un psychothérapeute pour étudier leur cas, on exigeait simplement qu’ils redoublent.  »

Et pourtant nous avons survécu avec des genoux écorchés et quelques traumatismes. Non seulement nous avons survécu, mais nous nous rappelons, avec nostalgie, le temps où le lait n’était pas un poison, où l’enfant devait résoudre ses problèmes sans aide, se battre quand c’était nécessaire, et passer une grande partie de la journée sans jeux électroniques, à inventer des jeux avec ses amis.