Выбрать главу

Après qu’il eut écouté tous les participants de la congrégation, celui-ci s’adressa à Feldman  :

«  Rabbin, les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Nous allons convoquer une assemblée et résoudre ces différends."

Feldman accepta. Trois jours plus tard, un conseil fut convoqué en présence du président et de dix autres érudits en matière de judaïsme. Ils s’assirent autour d’une belle table en acajou et commencèrent à examiner un par un les points litigieux  ; à mesure que la réunion avançait, il devenait de plus en plus clair que le rabbin Feldman était seul sur ses positions.

Au bout de quatre heures de discussion, le président déclara  :

«  Je pense que cela suffît  ; nous allons voter, et la majorité décidera quelle est la meilleure voie à suivre."

Chacun reçut un morceau de papier, vota, et une fois le compte fait, le président reprit la parole.

«  Il y a onze voix contre vous, rabbin. Nous devrons revoir définitivement les positions adoptées."

Feldman se leva, manifesta son orgueil blessé, et levant les bras au ciel, dit d’une voix grave  :

«  Alors une simple majorité de voix vous permet de juger que je me trompe et que les autres ont raison  ? Non, messieurs, je ne peux accepter cela.

Je prie le Seigneur d’Israël de montrer sa force et d’envoyer immédiatement un signe, afin que vous tous ici sachiez que mon comportement est absolument correct  !"

Au même instant un coup de tonnerre assourdissant retentit. Un éclair frappa la pièce, fendant en plein milieu la belle table en acajou  ; tous ceux qui étaient présents furent jetés au sol par la puissance de l’explosion.

Des cris se firent entendre aux alentours, la fumée emplit la pièce  ; quand la poussière commença à retomber, on constata que le rabbin Feldman était resté debout, intact, un sourire sarcastique aux lèvres.

Avec beaucoup de difficulté le président se releva, remit en place ses lunettes qui pendaient à son oreille, ajusta ses cheveux décoiffés, arrangea ses vêtements couverts de poussière, et dit lentement  :

«  C’est bien  : onze voix contre une. Mais nous avons encore la majorité, et les règles seront modifiées."

La générosité et la récompense

Sensible à la pauvreté du rabbin Jusya, Ephraim glissait tous les jours quelques pièces de monnaie sous sa porte. Et il constata que plus il donnait à Jusya, plus il gagnait d’argent.

Ephraim se souvint que le rabbin Baer était le maître de Jusya, et il pensa  : «  Si je suis bien récompensé en donnant au disciple, imaginez tout ce que je gagnerai si je décide de soutenir son maître.  »

Il se rendit à Mezritch et couvrit de cadeaux le rabbin Baer. Et dès lors, sa situation se détériora tant qu’il faillit tout perdre.

Intrigué, il alla voir Jusya et lui conta ce qui était arrivé.

«C’est très simple  », dit Jusya. «  Tant que tu donnais sans penser à ce que tu recevais, Dieu en faisait autant. Mais quand tu as commencé à rendre visite à un personnage illustre pour lui faire tes dons, Dieu s’est mis également à en faire autant.  »

Le verre vide et le verre plein

Au cours d’un dîner au monastère de Sceta, le plus âgé des prêtres se leva pour servir de l’eau aux autres. Il alla péniblement de table en table, mais aucun n’accepta.

«Nous sommes indignes du sacrifice de ce saint «, pensaient-ils.

Quand le vieillard gagna la table de l’abbé Petit Jean, celui-ci lui demanda de remplir son verre à ras bord.

Les autres moines regardèrent effrayés. A la fin du dîner, ils firent des reproches à Jean  :

«Comment peux-tu te juger digne d’être servi par ce saint homme  ? N’as-tu pas compris la peine qu’il avait à soulever la bouteille  ? N’as-tu pas remarqué comme ses mains tremblaient  ?

—  Comment puis-je empêcher que le bien se manifeste  ? «  répondit Jean. «  Vous qui vous croyez parfaits, vous n’avez pas eu l’humilité de recevoir, et le pauvre homme n’a pas eu la joie de donner. «

La loi de Jante

«Que pensez-vous de la princesse Martha-Louise  ?  »

Le journaliste norvégien m’interviewait au bord du lac de Genève. Généralement je refuse de répondre à des questions qui sortent du contexte de mon travail, mais dans ce cas sa curiosité avait un motif  : la princesse, sur la robe qu’elle portait pour ses 30 ans, avait fait broder le nom de plusieurs personnes qui avaient compté dans sa vie, et parmi ces noms se trouvait le mien (ma femme trouva l’idée si bonne qu’elle décida de faire la même chose pour son cinquantième anniversaire et plaça dans un coin de son vêtement le crédit suivant  : «  inspiré par la princesse de Norvège).

«Je trouve que c’est une personne sensible, délicate, intelligente «, ai-je répondu. «J’ai eu l’occasion de la rencontrer à Oslo, quand elle m’a présenté à son mari, écrivain comme moi.  »

Je me suis arrêté un peu, mais il me fallait aller plus loin  :

«Et il y a une chose que vraiment je ne comprends pas  : pourquoi la presse norvégienne s’est-elle mise à attaquer le travail de son mari après son mariage avec la princesse  ? Auparavant les critiques lui étaient favorables.  »

Ce n’était pas à proprement parler une question, mais une provocation, car j’imaginais déjà la réponse  : la critique a changé parce que les gens éprouvent de l’envie, le plus amer des sentiments humains.

Mais le journaliste poussa plus loin encore  :

«Parce qu’il a transgressé la loi de Jante.  »

Évidemment je n’en avais jamais entendu parler, et il m’expliqua ce dont il s’agissait. Poursuivant le voyage, j’ai compris que dans tous les pays Scandinaves, il est difficile de rencontrer quelqu’un qui ne connaisse pas cette loi. Bien qu’elle existât depuis le commencement de la civilisation, elle ne fut énoncée officiellement qu’en 1933 par l’écrivain Aksel Sandemose dans le roman Un réfugié dépasse ses limites.

Triste constatation, la loi de Jante ne se limite pas à la Scandinavie  : c’est une règle appliquée dans tous les pays du monde, même si les Brésiliens disent «  cela n’arrive qu’ici «, ou que les Français affirment «  dans notre pays, malheureusement c’est ainsi «. Comme le lecteur doit déjà être irrité parce qu’il a lu plus de la moitié de ce texte sans savoir exactement ce que signifie la loi de Jante, je vais tenter de la résumer ici, avec mes propres mots  :

«Tu ne vaux rien, personne ne s’intéresse à ce que tu penses, la médiocrité et l’anonymat sont le meilleur choix. Si tu agis ainsi, tu n’auras jamais de grands problèmes dans la vie.  »

La loi de Jante concerne, dans son contexte, le sentiment de jalousie et d’envie qui donne parfois beaucoup de maux de tête aux gens comme Ari Behn, le mari de la princesse Martha-Louise. C’est l’un de ses aspects négatifs, mais il y a beaucoup plus dangereux.

C’est grâce à elle que le monde a été manipulé de toutes les manières par des gens qui n’ont pas peur des observations des autres et finissent par faire tout le mal qu’ils désirent. Nous venons d’assister à une guerre inutile en Irak, qui continue de coûter nombre de vies  ; nous voyons un grand abîme entre les pays riches et les pays pauvres, l’injustice sociale partout, une violence incontrôlée, des gens qui sont obligés de renoncer à leurs rêves pour cause d’attaques injustes et lâches. Avant de provoquer la Seconde Guerre mondiale, Hitler avait donné divers signes de ses intentions, et s’il a pu aller plus loin, c’est qu’il savait que personne n’oserait le défier à cause de la loi de Jante.

La médiocrité peut être confortable, jusqu’au jour où la tragédie frappe à la porte, et alors les gens se demandent  : «  Mais pourquoi personne n’a-t-il rien dit, alors que tout le monde voyait que cela allait arriver  ?  »