J’ai pu voir tout cela au Brésil, en France, en Angleterre, en Suisse, au Maroc, au Japon. Et qu’arrive-t-il à la plupart des personnes qui réussissent, disons, à interférer dans les lois « immuables » de la nature ? La société les considère toujours comme un phénomène marginal : si elles ne peuvent pas expliquer, alors elles n’existent pas. La grande majorité de ces personnes ne comprennent pas non plus pourquoi elles sont capables de faire des choses surprenantes. Et redoutant d’être accusées de charlatanerie, elles finissent étouffées par leurs propres dons.
Aucune d’elles n’est heureuse. Elles attendent toutes le jour où elles seront prises au sérieux. Elles espèrent toutes une réponse scientifique à leurs propres pouvoirs (et, à mon avis, ce n’est pas la bonne voie). Beaucoup cachent leur potentiel, et finissent par souffrir – car elles pourraient aider le monde et n’y parviennent pas. Au fond, je crois qu’elles attendent aussi le « pardon officiel » pour leur différence.
En séparant le bon grain de l’ivraie, en ne nous laissant pas décourager par le fait qu’il existe beaucoup de charlatanerie, je pense que nous devons nous demander de nouveau : de quoi sommes-nous capables ?
Et, sereinement, aller à la recherche de notre immense potentiel.
5.
Le respect du mystère
Les Grecs ont décrit en grands maîtres le comportement humain à travers des petites histoires que l’on a coutume d’appeler des « mythes ». Toutes les générations qui sont venues ensuite, jusqu’à la psychanalyse de Freud (avec le complexe d’Œdipe, par exemple) et les films d’Hollywood (comme le Morphée de Matrix) ont finalement bu à cette source.
Durant une grande partie de ma vie, l’une de ces histoires m’a beaucoup intrigué : le mythe de Psyché.
Il était une fois... une belle princesse, admirée de tous, mais que personne n’osait demander en mariage. Désespéré, le roi alla consulter le dieu Apollon ; ce dernier conseilla que Psyché fût laissée seule, en vêtements de deuil, en haut d’une montagne. Avant que le jour commence à poindre, un serpent viendrait à sa rencontre pour l’épouser. Le roi obéit, et toute la nuit la princesse attendit, terrorisée et mourant de froid, l’arrivée de son mari.
Finalement elle s’endormit ; à son réveil, elle était dans un beau palais, devenue reine. Toutes les nuits, son mari venait la retrouver, ils faisaient l’amour, mais il avait imposé une seule condition : Psyché aurait tout ce qu’elle désirait, mais elle devait lui accorder une confiance totale, et elle ne verrait jamais son visage.
La jeune fille vécut heureuse très longtemps ; elle avait le confort, la tendresse, la joie, elle était amoureuse de l’homme qui lui rendait visite toutes les nuits. Cependant, elle redoutait parfois d’être mariée à un horrible serpent. Un matin, alors que son mari dormait, elle éclaira le lit avec une lanterne, et elle vit, couché près d’elle, Éros (ou Cupidon) - un homme d’une beauté extraordinaire. La lumière le réveilla, il découvrit que la femme qu’il aimait n’était pas capable de satisfaire son seul désir, et il disparut.
Chaque fois que je lisais ce texte, je me demandais : serait-ce que nous ne pouvons jamais découvrir le visage de l’amour ?
Il fallut que de nombreuses années passent sous les ponts de ma vie pour que je comprenne que l’amour est un acte de foi en l’autre, et que son visage doit demeurer enveloppé de mystère. On doit le vivre et en jouir à chaque moment, mais chaque fois que l’on tente de le comprendre, la magie disparaît.
Quand j’ai accepté cela, je n’ai plus laissé un langage étrange, que j’appelle « signes », guider ma vie. Je sais que le monde me parle, je dois l’écouter, et si je le fais, je serai toujours guidé vers ce qu’il y a de plus intense, de plus passionné et de plus beau. Bien sûr, ce n’est pas facile, et je me sens parfois comme Psyché sur le rocher, gelé et terrorisé ; mais si je suis capable de passer cette nuit et de m’abandonner au mystère et à la foi en la vie, je finis toujours par me réveiller dans un palais. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de faire confiance à l’Amour, même si je cours le risque de me tromper.
Pour conclure le mythe grec : souhaitant désespérément le retour de son amour, Psyché se soumit à une série d’épreuves que lui imposa Aphrodite (ou Vénus), mère de Cupidon (ou Éros), jalouse de sa beauté -elle devait entre autres lui livrer un peu de cette beauté. Curieuse de savoir ce que contenait la boîte renfermant la beauté de la déesse, Psyché, de nouveau, ne parvint pas à supporter le Mystère – elle décida de l’ouvrir. Elle ne trouva dans la boîte aucune beauté, mais un sommeil infernal qui la laissa inerte et la paralysa.
Éros/Cupidon, lui aussi amoureux, se repentit de n’avoir pas été plus tolérant envers sa femme. Il réussit à entrer dans le château, la réveilla de son profond sommeil de la pointe de sa flèche et lui dit encore : « Tu as failli mourir à cause de ta curiosité. » Voilà la grande contradiction, Psyché qui voulait trouver l’assurance dans la connaissance avait trouvé l’insécurité.
Ils allèrent tous deux supplier Jupiter, le dieu suprême, que cette union ne fût jamais défaite.
Jupiter plaida ardemment la cause des amants et obtint l’accord de Vénus. Depuis ce jour, Psyché (l’essence de l’être humain) et Éros (l’amour) sont ensemble à tout jamais. Celui qui n’accepte pas cela et cherche toujours une explication aux magiques et mystérieuses relations humaines perdra ce que la vie a de meilleur.
6.
De l’importance du regard
Au début, Lex Maars était seulement un type insistant. Pendant cinq ans, il a envoyé religieusement une invitation à mon bureau à Barcelone, me conviant à une causerie à Haia, en Hollande.
Pendant cinq ans, mon bureau répondait invariablement que l’agenda était complet. En réalité, l’agenda n’est pas toujours complet ; cependant, un écrivain n’est pas nécessairement quelqu’un qui parle bien en public. En outre, tout ce que j’ai à dire se trouve dans les livres et les colonnes que j’écris – c’est pourquoi j’essaie toujours d’éviter les conférences.
The découvrit que j’allais enregistrer une émission pour une chaîne de télévision en Hollande. Quand je suis descendu pour le tournage, il m’attendait dans le salon d’attente de l’hôtel. Il s’est présenté et m’a proposé de m’accompagner, disant :
« Je ne suis pas quelqu’un qui ne peut pas entendre un refus. Je crois seulement que je m’y prends mal pour atteindre mon but. »
Il faut lutter pour ses rêves, mais il faut savoir également que quand certains chemins se révèlent impossibles, mieux vaut garder ses énergies pour parcourir d’autres routes. J’aurais pu simplement dire « non » (j’ai déjà prononcé et entendu ce mot très souvent), mais j’ai décidé de chercher un moyen plus diplomatique : mettre des conditions impossibles à satisfaire.
J’ai dit que je donnerais la conférence gratuitement, mais que le billet d’entrée ne dépasserait pas deux euros et que la salle devrait contenir au maximum deux cents personnes.
Lex a accepté.
« Vous allez dépenser plus que vous ne gagnerez, l’ai-je alerté. Pour ce qui me concerne, rien que le billet d’avion et l’hôtel coûtent le triple de ce que vous recevrez si vous parvenez à remplir la salle. De plus, il y a les coûts de promotion, la location du local. »
Lex m’a interrompu, disant que rien de tout cela n’avait d’importance : il faisait cela à cause de ce qu’il voyait dans sa profession.
« J’organise des événements parce que j’ai besoin de continuer à croire que l’être humain est en quête d’un monde meilleur. Je dois apporter ma contribution pour que ce soit possible. »